Cette découverte pourrait permettre à l’Homme d’hiberner lors de vols spatiaux
Le voyage de vingt-et-un mois vers Mars soulève une multitude de questions, notamment en ce qui concerne la santé des personnes présentes à bord. L’hibernation pourrait-elle constituer un début de réponse ?
Le voyage depuis la Terre jusque Mars durerait près de vingt-et-un mois.
Prochain pas de géant pour la NASA : l’agence prévoit d’envoyer des astronautes sur Mars d’ici les années 2030. Ce voyage de vingt-et-un mois présente des défis sans pareil, notamment celui de maintenir les personnes présentes à bord en bonne santé durant un si long voyage dans l’espace. Toutefois, ce qui semblait jadis solution impossible est aujourd’hui en germination : l’hibernation.
En hiver, nombre de mammifères entrent dans un état de torpeur, faisant chuter leur température corporelle et ralentissant leur métabolisme, ainsi que leur activité cérébrale, afin d’économiser de l’énergie. Cependant, l’être humain, lui, ne peut hiberner pour plusieurs raisons : notre corps ne peut stocker la graisse en quantité suffisante sans que cela ne lui nuise, fonctionner à des niveaux d’énergie et d’activité cérébrale aussi bas, ou encore survivre à une importante chute de la température corporelle.
Gerald Kerth, zoologiste à l’université de Greifswald, en Allemagne, étudie l’hibernation chez les chauves-souris, sur lesquelles, grâce à leur plus petite taille, il est davantage aisé d’effectuer des recherches que sur des ours bruns (Ursus arctos) par exemple.
Au cours de nouvelles expériences en laboratoire, lui et ses collègues ont découvert des différences majeures entre les chauves-souris et les humains concernant la manière dont leurs globules rouges se comportaient lorsqu’il faisait froid : à savoir, les cellules des premières se transforment radicalement, ce qui permet à l’organisme de l’animal d’optimiser l’oxygène et de survivre au froid.
Dans une récente étude, des scientifiques ont examiné de plus près le sang des roussettes d’Égypte (Rousettus aegyptiacus), espèce ici illustrée avec la photo d’un individu provenant du zoo et aquarium Henry Doorly, à Omaha, dans le Nebraska.
« Le rêve de mettre l’Homme dans un état de torpeur nous a motivés », indique Gerald Kerth, co-auteur de l’étude publiée il y a peu dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences.
« Maintenant que nous avons de nouveaux résultats fascinants, nous voulons comprendre davantage. »
DES SUPER-POUVOIRS CELLULAIRES
Dans les forêts aux environs du laboratoire de l’université de Greifswald, les scientifiques ont capturé trente-cinq noctules communes (Nyctalus noctula) sauvages, espèce qui hiberne en grandes colonies. Ils ont prélevé le sang de ces animaux en laboratoire avant de les relâcher dans la forêt. L’équipe a fait de même avec des roussettes d’Égypte de l’Institut Friedrich-Loeffler, un organisme fédéral allemand de recherche en santé et bien-être animal situé à proximité. Puis, pour finir, elle s’est procuré du sang humain auprès d’une banque du sang.
Au total, les auteurs de l’étude ont recueilli plus d’un demi-million de globules rouges chez les trois espèces.
Ils ont comparé les cellules humaines et celles des chauves-souris à l’aide d’un logiciel spécialisé qui analyse les cellules lorsqu’elles sont étirées et comprimées par une force extérieure.
« À ma connaissance, il n’y a jamais eu de comparaison aussi détaillée entre les globules rouges humains et ceux de la chauve-souris », précise Gerald Kerth.
Les noctules communes, répandues en Europe, en Asie et en Afrique du Nord, hibernent pendant l’hiver, leur permettant de survivre à des températures aussi basses que -7 degrés Celsius.
L’équipe a observé la manière dont les globules rouges des trois espèces réagissaient à trois températures différentes : 37 °C, soit à peu près la température corporelle centrale des êtres humains et des deux espèces de chauves-souris ; un peu moins de 23 °C, c’est-à-dire la température ambiante à l’intérieur des bâtiments ; et 10 °C, la température à laquelle les noctules communes sauvages commencent à hiberner.
À mesure que le froid s’intensifiait, les globules rouges des humains et des chauves-souris sont devenus plus gros et plus rigides, mais seuls ceux de ces dernières ont davantage grossi qu’ils ne sont devenus rigides. Plus le froid mordait, plus le rapport entre la taille et la rigidité des globules rouges appartenant aux chauves-souris était important. En revanche, en ce qui concerne ceux des êtres humains, celui-ci est resté identique.
Les auteurs de l’étude émettent l’hypothèse que ces cellules de chauve-souris plus résistantes présenteraient un avantage considérable : en restant plus longtemps dans les capillaires pulmonaires et les muscles à de basses températures, les cellules modifiées pourraient permettre une meilleure consommation et distribution d’oxygène dans l’ensemble de l’organisme.
Gerald Kerth ajoute que les roussettes d’Égypte tiendraient d’un ancêtre cette adaptation cellulaire qu’elles conservent aujourd’hui même si elles n’y ont plus recours pour hiberner.
DES DÉFIS RESTENT À RELEVER
Si les scientifiques parvenaient à modifier la membrane des globules rouges humains pour imiter ceux des chauves-souris, cela pourrait nous rapprocher de l’hibernation humaine.
Cette nouvelle « étude est l’une des nombreuses petites pièces du puzzle sur la voie de la torpeur chez l’Homme », déclare Marcus Krüger, un biologiste moléculaire qui effectue des recherches sur la médecine spatiale à l’université Otto von Guericke de Magdebourg, en Allemagne, et qui n’a pas participé à l’étude.
« Mais de nombreuses questions importantes restent sans réponse, en particulier sur la manière d’induire l’hibernation chez l’Homme. Est-ce une chose à laquelle on pourrait parvenir par l’accumulation de graisse, la privation de nourriture, un soutien pharmacologique ? »
On ignore également si un type de médicament pourrait ordonner aux cellules humaines de devenir beaucoup plus grosses proportionnellement à leur rigidité avant d’entrer dans l’état de torpeur.
Bien entendu, subsistent de nombreux autres problèmes avant qu’une personne ne puisse même se rendre sur Mars. Voyager dans l’espace signifie s’exposer aux radiations, subir des pertes au niveau physique et musculaire, ainsi que rester confiné. Cela sans parler de l’approvisionnement : il faudrait près de soixante-dix navettes pour transporter la nourriture et le carburant nécessaires au maintien en vie des personnes à bord pendant le voyage aller-retour pour Mars.
L’étude constitue néanmoins un développement intéressant, écrit dans un e-mail Mikkael A. Sekeres, hématologue à l’université de Miami, en Floride.
« Cela a des implications sur la possibilité pour les humains d’entrer dans un état de torpeur sur des périodes prolongées ; avec, espérons-le, une meilleure issue que pour les malheureux astronautes de la saga Alien ! » plaisante-t-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.