Il y a 800 000 ans, un astéroïde géant a frappé la Terre. Mais on ne sait pas encore où...
Le cratère d’impact produit par la chute de la dernière grosse météorite ayant frappé la Terre se serait formé à la suite d’une collision catastrophique qui aurait, semble-t-il, projeté des débris de la Chine à l’Antarctique.
Des dépôts de débris éparpillés sur la majeure partie de l’Asie du Sud-Est et de l’Australie ont aidé des scientifiques dans leur recherche du cratère d’impact manquant de la toute dernière chute majeure d’astéroïde sur Terre il y a 800 000 ans.
En 2011, le géologue Kerry Sieh et son mari faisaient les magasins à Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam, quand ils sont entrés dans une petite bijouterie pour regarder les rubis et spinelles qui font la réputation du pays. Mais une fois à l’intérieur, une série de petites masses d’aspect vitreux et noir, accrochées sur le mur derrière le comptoir, ont attiré le regard du scientifique.
« Des tectites », a annoncé le caissier qui lui a alors tendu un document photocopié indiquant qu’elles s’étaient formées lors d’un mystérieux impact d’astéroïde ; le dernier impact majeur à avoir frappé la Terre, une collision catastrophique dont de très anciens cousins hominidés ont peut-être été témoins. Alors que Kerry Sieh était en train de lire des informations au sujet d’un champ de débris colossal couvrant 20 % des terres émergées, de la Chine à l’Antarctique, il s’est rendu compte qu’il manquait un détail crucial.
« Je me suis dit : "Oh, mon dieu !" Comment se fait-il qu’on n’ait jamais trouvé le cratère ? » Une dizaine d’années plus tard, Kerry Sieh est convaincu de l’avoir enfin trouvé.
Après cette heureuse trouvaille, Kerry Sieh a étudié la littérature scientifique et a examiné des images satellites de la région à la recherche de caractéristiques géologiques particulières. Il a commencé à soupçonner le plateau des Bolovens, dans le sud du Laos, d’abriter le cratère manquant, qui se serait formé il y a 800 000 ans environ sous un champ de lave jeune mais étendu.
Cette région est aujourd’hui connue pour ses cascades ahurissantes de près de 100 mètres de hauteur et pour ses innombrables plantations de café et de thé. Mais les dernières recherches de Kerry Sieh, publiées en décembre 2023 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, suggèrent que la région a eu un passé cataclysmique. Cette nouvelle étude identifie une disposition récurrente de dépôts d’éjecta qui s’épaississent et qui s’étendent sans discontinuer des plaines du sud du Laos et de l’est de la Thaïlande vers le centre du plateau lui-même, indiquant par-là un possible site d’impact.
Ces dépôts rocheux, qui font près de 10 mètres d’épaisseur près du centre du plateau, contiennent des graviers de galets et de rochers à leur base que Kerry Sieh pense être le produit d’une explosion due à un impact ayant éventré la Terre. Des tectites, un type de verre naturel qui se forme lorsque des météorites frappent des surfaces sablonneuses, ont été découvertes près du sommet de ces graviers et sous un dépôt de cendres plus épais, preuve éventuelle de l’existence d’un panache géant propulsé vers le ciel par l’impact météoritique qui serait ensuite retombé sur le paysage.
Ces séquences géologiques ont été enregistrées et mesurées à des centaines d’endroits sur une zone de 500 km de diamètre couvrant le plateau et ses environs. Elles ont révélé un motif radial de dépôts de plus en plus épais qui converge vers le centre du plateau. Kerry Sieh décrit son hypothèse en faveur du plateau des Bolavens comme site d’impact comme désormais « quasiment incontestable ».
« Le fait d’être face à un dépôt chaotique et mal ordonné composé de choses que nous pensons provenir de l’endroit où se trouvait le cratère, le fait qu’il s’épaississe et s’alourdisse vers la source, vers le plateau […] me fournit une explication alternative », affirme-t-il.
Mais tous les scientifiques ne sont pas encore convaincus. Selon Fred Jourdan, géochronologue de l’Université Curtin, à Perth, en Australie, qui a daté l’impact à 788 000 ans avant le présent à l’aide de traces chimiques présentes dans les tectites, l’hypothèse de Kerry Sieh est « tout à fait possible », mais il croit que ces récents résultats ne font qu’offrir des preuves indirectes. Selon lui, l’étude « ne démontre pas avec une certitude absolue qu’il s’agit du bon endroit », et il fait remarquer que de nombreuses zones volcaniques actives d’Asie du Sud-Est présentent également une géologie de surface sablonneuse qui pourrait avoir produit des tectites après un impact.
Des chercheurs proposent déjà de retourner dans la région pour y effectuer des séjours qui confirmeraient sans l’ombre d’un doute si le plateau du sud du Laos est réellement l’emplacement du dernier grand impact de météorite sur Terre.
DES ÉCLATS DE DÉBRIS DUS À L’IMPACT
Les tectites telles que celles trouvées par Kerry Sieh dans la bijouterie se forment quand les fragments de matière fondue projetés par la chute d’une météorite sont propulsés dans l’air où ils se solidifient avant de retomber sur une vaste zone. En l’absence d’un cratère d’impact, les champs parsemés de tectites constituent la deuxième meilleure archive possible des chutes de météorites cataclysmiques.
La datation des tectites qu’a réalisée Fred Jourdan en 2019 – tectites que l’on retrouve aujourd’hui sur la vaste majorité du territoire australien et de l’Asie du Sud-Est – a mis en évidence le plus jeune des quatre champs de tectites majeurs sur Terre. La datation a nourri des spéculations selon lesquelles d’anciens hominidés asiatiques comme Homo erectus auraient pu être témoins de cet événement explosif. Si un registre fossile limité rend cela difficile à prouver, on avait de toute façon intérêt à se trouver loin de cette collision avec la Terre pour pouvoir l’observer. En effet, l’analyse de Fred Jourdan a montré que les tectites se sont formées à des températures pouvant atteindre 4 000 degrés Celsius.
« J’imagine sans mal des animaux être tout simplement emportés puis vaporisés », commente Kerry Sieh. Et à raison. En son temps, le géologue Sangard Bunopas avait documenté l’existence, dans des forêts pétrifiées et dans des fosses à fossiles, d’incendies gigantesques, d’inondations colossales, d’extinctions régionales et d’une mortalité animale de masse dues à l’impact.
Les tectites offrent également des indices concernant le cratère manquant lui-même. En 2007, Shyam Prasad, chercheur de l’Institut indien d’océanographie, a modélisé l’impact nécessaire pour engendrer une distribution de tectites de cette sorte. Il a formulé l’hypothèse d’un cratère de 32 à 120 kilomètres de diamètre, quoique des recherches complémentaires aient suggéré que la partie basse de cette estimation était davantage probable.
Cette estimation basse semble confirmer des prédictions formulées à partir de concentrations d’iridium par Gerhard Schmidt, géochimiste de l’Université d’Heidelberg. Les mesures réalisées par Gerhard Schmidt sur ce métal rare, qu’on sait présent en abondance sur les météorites et qui constitue la frontière géologique marquant l’extinction des dinosaures, l’avaient conduit à formuler l’hypothèse qu’un astéroïde de 1,5 milliard de tonnes aurait heurté la Terre et formé un cratère de 14 à 19 kilomètres de diamètre.
À LA RECHERCHE DU CRATÈRE PERDU
D’autres hypothèses quant au possible lieu de l’impact, par exemple Tonle Sap, plus grand lac d’eau douce d’Asie du Sud-Est, tombent dans une région où les tectites sont plus grosses, plus abondantes et moins fuselées par leur voyage dans l’atmosphère.
Kerry Sieh soupçonnait l’existence de preuves cruciales de l’impact invisibles au premier regard. Dans un article de 2020, il a montré que les couches de lave du plateau des Bolavens étaient suffisamment larges (jusqu’à 100 km de diamètre), épaisses (jusqu’à 300 m à certains endroits) et jeunes pour avoir enfoui le cratère d’impact australasien. Certaines des laves datées par Kerry Sieh étaient bien plus anciennes que l’impact, jusqu’à 16 millions d’années avant le présent, mais des éruptions ont pu se produire jusqu’à il y a 30 000 ans seulement. Selon Kerry Sieh, les laves datant d’avant l’impact peuvent permettre d’expliquer pourquoi les tectites contiennent des traces de matières volcaniques et sablonneuses absorbées avant que des éruptions ultérieures ne remplissent et ne couvrent le cratère.
Des affleurements rocheux situés sur un côté du plateau que Kerry Sieh a reliés à l’impact initial ayant pulvérisé la surface de la Terre fournissent des éléments de preuve supplémentaires. En outre, les résultats de 400 relevés gravimétriques réalisés sur le plateau ont révélé une importante anomalie de densité sous la surface. Kerry Sieh l’attribue à un cratère enfoui de 16 kilomètres de diamètre rempli de fragments rocheux moins denses.
Cet article publié en 2020 a reçu son lot de critiques. Selon Jiri Mizera, géochimiste membre de l’Académie tchèque des sciences, les laves des Bolavens ne possèdent pas certaines des signatures chimiques présentes sur les tectites australiennes, ce qui remet en cause le lien établi. Selon lui, le nouvel article de recherche est présomptueux quant à l’origine des dépôts dus à l’impact.
« Il pourrait très bien s’agir d’éjecta d’impact en lien avec un autre impact ayant eu lieu ailleurs et qui se serait déposé sur une couche située bien moins en profondeur, puis transporté du sommet du plateau vers son pied », explique Jiri Mizera.
Les tectites sont des morceaux de verre naturel riches en silice qui se formeraient lorsqu’une météorite tombe sur une région sablonneuse de la Terre. Les impacts importants peuvent faire fondre les matériaux présents à la surface du globe et les catapulter à plusieurs centaines de kilomètres du site d’impact où les matériaux se refroidissent et se solidifient pour former du verre. Ces tectites proviennent du district de Khon Kaen, en Thaïlande.
Toutefois, les idées de Kerry Sieh ont trouvé un soutien en la personne de Paul Carling, géologue des cours d’eau de l’Université de Southampton, en Angleterre, car elles l’ont aidé à donner du sens à d’inhabituelles séquences de roches riches en tectites découvertes dans le nord-est de la Thaïlande. Dans un article publié en 2022, Paul Carling, Toshihiro Tada, de l’Université de Tokyo, et leurs collègues ont fait état de l’existence dans cette région d’un affleurement présentant des séquences caractéristiques de tectites et de dépôts d’éjecta sur une base de graviers granuleuse, le tout sous un dépôt limoneux de type « loess ». Cette couche supérieure a, de nouveau, été attribuée à la retombée d’un panache qui a eu un effet dévastateur sur la faune et la flore de la région.
De plus, les trois couches de cet affleurement thaïlandais contenaient chacune des quartz choqués, un minéral déformé également présent dans les célèbres cratères d’impact de Barringer et de Chicxulub. « Un quartz choqué, c’est des grains de quartz qui subissent des ondes de choc qui sont enregistrées sous la forme de caractéristiques métamorphiques, comme des fractures ou des plumes », explique Toshihiro Tada ; autant de preuves supplémentaires que ces dépôts se sont formés lors d’un impact majeur de météorite.
À LA RECHERCHE D’INDICES COMPLÉMENTAIRES
Si Paul Carling n’a concentré les recherches pour son article que sur un seul site, il n’en a toutefois pas moins, selon ses dires, cartographié cette « séquence d’éjecta d’impact » sur toute la Thaïlande, le sud du Laos, le Vietnam et le nord du Cambodge. Il affirme également que ce travail de terrain a démontré un épaississement de ces dépôts vers le sud du Laos, ce qui étaye l’hypothèse de Kerry Sieh qui fait du plateau des Bolavens un site d’impact.
Paul Carling a l’intention de publier l’analyse de terrain de son équipe dans son entièreté l’année prochaine afin d’apporter davantage d’éclairages à cette énigme géologique. Pour Fred Jourdan, cependant, la preuve ultime ne peut être obtenue qu’en fouillant les profondeurs de la Terre. « Pour rallier l’ensemble de la communauté des cratères d’impact derrière cette hypothèse, ils devront creuser jusqu’à l’endroit où ils pensent que le cratère se trouve », fait-il observer.
Paul Carling croit qu’une exploration à 180 ou 200 mètres de profondeur pourrait suffire à découvrir d’autres caractéristiques comme des cônes de choc, des minéraux choqués et des roches fondues, autant de signes d’un impact majeur. « Nous pourrions également découvrir des fragments du météore lui-même », prévient-il.
Voilà des choses qu’on exposerait volontiers sur le mur d’une bijouterie.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.