Et si notre système solaire comptait une neuvième planète ?
Dès 2025, l'observatoire Vera-C.-Rubin multipliera par dix le nombre d'objets connus dans notre système solaire en détectant de nouvelles comètes, des astéroïdes propulsés par d'autres étoiles et peut-être même l'insaisissable planète Neuf.
Présentée ci-dessus dans les étapes finales de son assemblage au Centre de l'accélérateur linéaire de Stanford à Palo Alto, aux États-Unis, la caméra de l'observatoire Vera-C.-Rubin renferme 189 capteurs individuels pour une résolution de 3,2 gigapixels, soit la plus grande caméra numérique jamais construite.
Notre système solaire regorge de mondes merveilleux autour desquels virevoltent de splendides satellites, des astéroïdes étincelants et de curieuses comètes. Pourtant, malgré l'emploi d'une myriade de télescopes pour sonder le ciel nocturne, la plupart de nos voisins célestes restent invisibles et méconnus.
Plus pour longtemps, car un nouveau télescope actuellement en construction sur le sommet chilien du cerro Pachón s'apprête à nous révéler de vastes parcelles inexplorées du système solaire. Du haut de ses 2 715 mètres d'altitude, l'observatoire Vera-C.-Rubin (VRO) ne va pas se contenter de faire progresser la discipline, il va révolutionner l'astronomie. Merveille d'ingénierie, d'informatique et d'ingéniosité scientifique, cette machine a été conçue avec un seul objectif en tête : documenter le ciel nocturne dans son intégralité.
L'ingénieur principal Travis Lange inspecte l'objectif de la caméra du VRO à l'aide d'une lampe haute puissance pour traquer la poussière. Véritable cœur du nouvel observatoire, cette caméra unique au monde photographiera l'intégralité du ciel de l'hémisphère Sud à plusieurs reprises au cours de sa mission.
Les scientifiques souhaitent notamment examiner le palpitement des étoiles, les explosions du cosmos et autres lointaines curiosités, mais aussi une multitude d'objets à l'intérieur même de notre système solaire qui échappent aux astronomes depuis la nuit des temps. « Ce sera un catalogue complet de tout ce que contient le système solaire et au-delà de Neptune », indique Mario Jurić, astronome à l'université de Washington travaillant sur le VRO.
Le nombre d'astéroïdes connus va immédiatement exploser. Le premier astéroïde a été découvert en 1801. Deux siècles plus tard, nous en connaissons un million. Le VRO va doubler ce chiffre en trois à six mois.
L'observatoire pourrait même nous aider à mettre la main sur l'hypothétique planète Neuf, un corps massif qui évoluerait masqué aux confins de notre système solaire selon certains astronomes. « Probablement dès la première année, nous pourrons voir si un objet se cache ou non dans cette région », témoigne Pedro Bernardinelli, également astronome à l'université de Washington.
Le VRO possède également tout l'équipement nécessaire pour détecter une multitude d'objets interstellaires, ces visiteurs en provenance d'autres systèmes stellaires. En étudiant ces éclats de roche venus d'ailleurs, « nous pourrons commencer à dresser le portrait d'autres systèmes planétaires », indique Juric.
Au cours de ses dix années de relevés qui devraient débuter en 2025, le VRO offrira aux astronomes une nouvelle encyclopédie du système solaire. « Ensuite, nous prendrons le temps de comprendre ce que tout cela signifie », indique Juric, notamment pour les origines et l'évolution de notre pouponnière galactique.
« Je pense que le VRO va réécrire les livres d'histoire », déclare Meg Schwamb, astronome au sein de l'université Queen's de Belfast, également impliquée dans le projet VRO.
L'ŒIL DU CHILI
Cofinancé par la Fondation nationale pour la science et le département de l'Énergie des États-Unis, l'observatoire Vera-C.-Rubin doit son nom à l'illustre astronome Vera Rubin qui a révélé l'existence de la matière noire, cette substance qui assure la cohésion des étoiles et des galaxies et qui attend encore d'être détectée. Conçu pour percer une myriade de secrets cosmiques, l'observatoire est un véritable monstre de technologies à vocation scientifique.
« Rubin, c'est le royaume des superlatifs », déclare Sandrine Thomas, directrice adjointe de la construction du VRO. « Le télescope est extrêmement rapide. La caméra est immense et incroyablement précise. Le détecteur est lui aussi très grand. Le nombre de pixels est gigantesque. »
La plupart des observatoires ont soit un grand angle de vue, pour observer une portion du ciel plus étendue, soit un grand miroir, ce qui permet d'absorber plus de lumière et donc de révéler des objets plus lointains, moins lumineux. Grâce aux prouesses de ses ingénieurs, le VRO est capable de l'un, comme de l'autre. Durant ses dix années d'enquête, l'observatoire ratissera l'intégralité du ciel nocturne de l'hémisphère Sud à plusieurs reprises. Presque rien ne pourra lui échapper.
« C'est l'avancée de la génération », déclare Bernardinelli.
AU-DELÀ DU VOILE
La plupart des objets ciblés par le VRO évolueront dans la ceinture d'astéroïdes. « C'est là que se trouvent les débris laissés par la formation des planètes, » illustre Schwamb.
L'observatoire ne manquera probablement pas d'identifier des astéroïdes de taille modeste circulant à proximité de la Terre, du genre qui aurait échappé aux chasseurs d'astéroïdes. Le VRO pourrait donc trouver d'éventuels futurs impacteurs avant qu'ils ne posent problème, nous laissant ainsi le temps d'éviter un impact catastrophique… ou du moins d'essayer.
D'autres astéroïdes pourraient également être détectés à l'intérieur de l'orbite de la Terre, peut-être ceux d'un hypothétique réservoir de roches cosmiques flottant aux abords de Vénus. Si le VRO s'apprête à lever le voile sur le système solaire interne, il sera également le premier à nous en dire plus sur l'architecture du système solaire externe.
Outre les nouvelles lunes de Jupiter et de Saturne que l'observatoire portera à notre connaissance, la seconde en comptant déjà 146, le VRO sera également capable de déceler à plus grande distance les comètes qui entrent dans leur phase de vaporisation. À l'exception de rares comètes particulièrement volatiles en raison de leur taille éléphantesque, la détection de ces corps de glace venus de loin s'effectue généralement à l'approche des régions baignées de lumière du système solaire interne, lorsque leur queue de débris glacés prend forme sous l'effet de la chaleur.
Grâce au VRO, les astronomes réaliseront peut-être un rêve de longue date : poser les yeux sur une comète avant sa toute première rencontre avec le Soleil. Ils découvriraient ainsi un témoin vierge, inaltéré de la naissance du système solaire. Avec suffisamment d'avance, les astronomes pourraient même la suivre avant son embrasement. « Nous pourrons envoyer une sonde pour être au plus près de la scène », imagine Schwamb.
Les comètes proviennent principalement de deux réservoirs : le nuage d’Oort et la ceinture de Kuiper. Le premier est un ensemble hypothétique de mondes glacés situé à une distance impénétrable du Soleil ; il n'a jamais été observé directement et le VRO n'y changera rien. Pour ce qui est du second réservoir en revanche, la ceinture de Kuiper sera photographiée en détail par le VRO ; celle-ci forme un tore au-delà de Neptune contenant divers objets glacés, notamment la planète naine Pluton.
Cet imposant compartiment étanche protège les filtres de la caméra du VRO. L'azote qui circule en permanence dans la chambre est plus sec que l'air naturel et empêche les déformations du verre.
À ce jour, seuls quelques milliers d'objets de la ceinture de Kuiper, ou KBO, ont été identifiés. Le VRO devrait au moins doubler ce chiffre. Les observations permettront de révéler la véritable structure et le contenu de cette ceinture oubliée par le Soleil, tout en offrant la possibilité de résoudre l'un des grands mystères de notre système solaire : « Combien de planètes compte-t-il réellement ? » interroge Schwamb.
Au cours des dix dernières années, certains astronomes ont suggéré que les orbites singulières des objets évoluant en marge du système solaire indiqueraient la présence d'une planète de la taille de Neptune dans cette lointaine région, bien plus loin que Pluton. Il est très peu probable que les télescopes dont nous disposons à ce jour parviennent à détecter un monde aussi reculé, mais le VRO devrait être en mesure de localiser cette hypothétique planète Neuf… si elle existe.
« Dans deux ans, il pourrait y avoir une nouvelle planète dans notre système solaire. Imaginez un peu, ce serait fascinant », jubile Bernardinelli.
VISITEURS VENUS D'AILLEURS
En 2017, les astronomes ont fait une incroyable découverte : le tout premier objet interstellaire, 1I/ʻOumuamua, un astéroïde ou une comète de forme allongée qui s'est arraché à l'attraction gravitationnelle d'une autre étoile. Il est entré et sorti de notre système solaire à une vitesse incroyable, ne laissant aux scientifiques que quelques jours pour l'étudier. Puis, en 2019, un nouveau voyageur intersidéral nous a rendu visite, la comète 2I/Borisov.
Avec deux objets au compteur, les scientifiques n'ont pu glaner que très peu d'informations sur la nature de tels visiteurs interstellaires. Ils rappellent à Schwamb ces vieilles cartes portant l'inscription « Ici vivent les dragons » sur les régions encore inexplorées.
Là encore, le VRO devrait trouver quelques nouveaux objets interstellaires chaque année. Ces missives envoyées par d'autres systèmes stellaires contiennent de la matière forgée dans des environnements stellaires et planétaires différents des nôtres.
« Ce sont les échantillons du processus de formation des planètes qui orbitent d'autres étoiles de la galaxie », indique Michele Bannister, astronome à l'université de Canterbury en Nouvelle-Zélande.
L'observatoire Vera-C.-Rubin se dresse sous le ciel étoilé de son site au Chili. La construction de l'observatoire doit permettre de réaliser le Legacy Survey of Space and Time (LSST). Ce relevé astronomique observera le ciel de l'hémisphère Sud plusieurs nuits par semaine au cours d'une décennie, capturant environ 1 000 images par nuit.
L'objectif sophistiqué du VRO permet de visualiser une vaste plage de couleurs, ce qui implique que les scientifiques pourront non seulement détecter les objets interstellaires à une distance considérable, mais également se faire une idée de leur composition. En confiant au VRO ce rôle d'éclaireur, les scientifiques pourront utiliser d'autres télescopes avec un champ de vision réduit et un meilleur grossissement pour observer de plus près ces capsules temporelles venues d'ailleurs.
« Si nous détectons l'un de ces objets lors de sa phase d'approche, de façon à pouvoir l'observer pendant un an par exemple, ce serait une occasion formidable », témoigne Juríc.
UNE RÉVOLUTION
Comme tous les observatoires terrestres, le VRO sera gêné par la prolifération des satellites hautement réfléchissants placés en orbite basse, notamment ceux envoyés par SpaceX pour former la mégaconstellation Starlink. Les 4 500 satellites actuellement en orbite dessinent déjà des traînées blanches sur bon nombre d'images astronomiques. SpaceX prévoit de lancer plusieurs dizaines de milliers de satellites supplémentaires à l'avenir, ce qui laisserait ce genre de graffitis sur près de 30 % des images capturées par le VRO.
Pour le moment, il n'existe pas de solution clairement définie à ce problème. « Nous devrons faire avec parce que nous n'avons pas le choix », témoigne Bernardinelli. Cependant, même si la pollution lumineuse causée par cette mégaconstellation entachera une partie des images du VRO, elle n'empêchera en aucun cas l'observatoire d'être le moteur de découvertes dont les astronomes rêvent depuis longtemps.
« Les détails que l'observatoire s'apprête à nous révéler, avec leur merveilleuse complexité… tout cela va aiguiser notre capacité à passer des généralités sur le système solaire » à un récit plus précis et mesuré, déclare Bannister. À l'heure actuelle, lorsque les scientifiques étudient la structure du système solaire externe, c'est un peu comme « deviner un visage dans les nuages ». Avec le VRO, « nous aurons le David de Michel-Ange. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.