Deux astronautes sont coincés dans l'espace (et ce n'est pas la première fois)

Sunita Williams et Barry Wilmore, deux astronautes de la NASA, devront passer huit mois supplémentaires dans l'espace à la suite de problèmes techniques dans leur vaisseau spatial. Une situation moins rare que l'on pourrait le croire.

De Tom Metcalfe
Publication 3 sept. 2024, 16:34 CEST
Astronauts stuck in space-Starliner

Les astronautes de la NASA (dans le sens des aiguilles d'une montre, en partant du bas) Matthew Dominick, Jeanette Epps, Sunita Williams, Mike Barratt, Tracy Dyson et Barry Wilmore posent pour une photo d'équipe à bord de la Station spatiale internationale le 11 juillet 2024. Lorsqu'ils sont arrivés lors du premier vol du Starliner de Boeing en juin, Williams et Wilmore ne devaient passer que huit jours environ dans l'espace.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

En raison de problèmes techniques liés à leur vaisseau spatial Starliner, Sunita Williams et Barry Wilmore devront passer beaucoup plus de temps que prévu à bord de la Station spatiale internationale (ISS). Ce n’est pas la première fois que des astronautes se retrouvent ainsi « coincés » dans l’espace, et ce ne sera probablement pas la dernière.

La capacité à faire face à de telles difficultés est essentielle chez les astronautes, et contrairement à ce que nous pourrions croire, il n’est pas impossible que Williams et Wilmore soient secrètement satisfaits de la situation.

« Les astronautes se sentent souvent "bloqués" lorsqu’ils sont sur Terre, donc c’est un énorme cadeau », affirme Chris Hadfield, ancien astronaute de la NASA, pilote de navette spatiale et ancien commandant de l’ISS. « C’est la raison d’être de notre profession. »

Que l’on qualifie la situation de blocage, de retard ou de prolongation, il n’est pas si rare que des astronautes passent plus de temps dans l’espace que prévu au moment de leur départ. Les raisons peuvent aussi bien découler d'aléas géopolitiques que de risques naturels, mais quelles qu’elles soient, les astronautes et les agences spatiales sont toujours préparés à cette éventualité.

 

UN SÉJOUR PROLONGÉ

Au moment de leur arrivée dans le cadre du premier vol du vaisseau Starliner de Boeing en juin, Sunita Williams et Barry Wilmore ne devaient passer que huit jours à bord de l’ISS.

Avant son lancement et lors de son voyage vers la station, le Starliner a cependant subi plusieurs fuites d’hélium, un gaz utilisé pour alimenter ses propulseurs. Les deux astronautes ont donc dû passer plus de deux mois sur la station spatiale pendant que la NASA et Boeing tentaient de trouver une solution au problème.

Le 24 août, la NASA a finalement annoncé que le Starliner effectuerait une descente en automatique, et donc à vide, et que Sunita Williams et Barry Wilmore reviendraient sur Terre à bord d’un vaisseau spatial SpaceX Dragon.

Les deux astronautes devront donc probablement rester à bord de l’ISS jusqu’en février 2025, soit environ huit mois après leur arrivée, prochaine date à laquelle il est prévu qu’une capsule Dragon redescende sur Terre.

Selon Hadfield, ancien pilote d’essai pour l’armée de l’air et de la marine des États-Unis, il faut toujours s’attendre à des problèmes lors du premier vol d’un engin spatial. L’ancien astronaute confie par ailleurs comprendre pourquoi la NASA a pris des mesures afin d’assurer la sécurité de l’équipage.

Les astronautes aiment passer le plus de temps possible dans l’espace. « On s’entraîne pendant des décennies pour avoir l’occasion de passer de longues périodes dans l’espace. Cette situation a transformé leur vol de courte durée en un vol de longue durée. »

Astronauts stuck in space-Sergei Krikalev
Astronauts stuck in space-Valery Polyakov
Gauche: Supérieur:

L'Union soviétique s'est officiellement disloquée en plein milieu de la mission du cosmonaute Sergueï Krikaliov à bord de la station spatiale Mir en 1991, prolongeant son séjour dans l'espace de 150 à 311 jours.

PHOTOGRAPHIE DE Georges DeKeerle, Sygma via Getty Images
Droite: Fond:

Le cosmonaute Valery Poliakov est monté à bord de la station spatiale Mir le 8 janvier 1994 et l'a quittée le 22 mars 1995, établissant un record mondial de 437 jours et 18 heures de temps consécutif passé dans l'espace.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

En tant qu’astronautes expérimentés, il est probable que Sunita Williams et Barry Wilmore aient eu une réaction positive en apprenant qu’ils allaient devoir rester plus longtemps là-haut, estime Hadfield, qui écrit désormais des romans à suspense se déroulant sur Terre et dans l’espace.

« À la fin de chacun de mes vols spatiaux, si quelqu’un m’avait annoncé que je devais passer trois mois supplémentaires là-haut, j’aurais été ravi », admet-il.

 

DES RECORDS DE TEMPS PASSÉS DANS L’ESPACE

La NASA insiste sur le fait que, techniquement, Sunita Williams et Barry Wilmore ne sont pas « coincés » dans l’espace, car ils s’attendaient à ce que le premier vol du Starliner soit confronté à de tels problèmes.

En effet, les deux astronautes ne sont pas les premiers à faire face à des obstacles les obligeant à rester dans l’espace plus longtemps que prévu.

L’exemple la plus célèbre est celui de Sergueï Krikaliov, cosmonaute à bord de la station spatiale Mir au moment de la dissolution de l’Union soviétique, ou URSS. Krikaliov avait décollé le 18 mai 1991 de Baïkonour, dans la République soviétique socialiste autonome kazakhe, et prévoyait de passer environ 150 jours à bord de Mir. L’Union soviétique s’est toutefois disloquée en plein milieu de sa mission, et des problèmes liés au financement de son retour l’ont forcé à rester dans l’espace pendant pas moins de 311 jours consécutifs, un record mondial à l’époque.

Il arrive également que certains vaisseaux spatiaux rencontrent des problèmes lorsqu’ils sont amarrés à l’ISS, comme peut en témoigner l’astronaute américain Frank Rubio. Rubio et deux cosmonautes russes sont arrivés à l’ISS à bord d’un vaisseau spatial russe Soyouz en septembre 2022, et devaient repartir à bord du même véhicule en mars 2023.

Le Soyouz utilisé pour le voyage a toutefois subi des dégâts à la suite d’un impact de micrométéorite, et Rubio a donc dû faire le chemin de retour à bord d’un autre Soyouz en septembre 2023, soit six mois après la date initiale de retour.

Frank Rubio a ainsi passé 371 jours dans l’espace et est devenu l’astronaute de la NASA ayant passé le plus de jours consécutifs en orbite. Ce chiffre est néanmoins bien loin du record mondial, atteint par le cosmonaute russe Valery Poliakov, qui a passé pas moins de 437 jours, soit 14 mois consécutifs, à bord de la station spatiale Mir en 1994 et 1995.

 

BLOQUÉS APRÈS DES ACCIDENTS SPATIAUX

Deux astronautes américains et un cosmonaute russe ont également été bloqués à bord de l’ISS en février 2003 à la suite de l’accident de la navette spatiale Columbia, qui s’est désintégrée lors de sa rentrée dans l’atmosphère, provoquant la mort des sept astronautes à bord.

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    Astronauts stuck in space_Expedition6

    Les ingénieurs de vol Donald Pettit (premier plan) et Nikolai Budarin (second plan à gauche) et le commandant Kenneth Bowersox (second plan à droite) de l'Expédition 6 ont été retardés lors de leur retour de l'ISS après l'accident de la navette Columbia en 2003.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    Après la catastrophe, la NASA a suspendu tous les vols de navettes spatiales jusqu’à ce qu’elles soient toutes sécurisées, un blocage qui a duré plus de deux ans ; la navette Atlantis, qui devait ramener l’équipage sur Terre en mars, n’a donc pas pu décoller dans les temps. Les trois membres de l’équipage ont finalement passé trois mois supplémentaires à bord de l’ISS, avant de revenir en mai 2003 à bord d’un vaisseau russe Soyouz.

    Pendant un temps, le Soyouz était le seul véhicule spatial à pouvoir s’amarrer à l’ISS, et les problèmes qu’il a rencontrés ont parfois entraîné des retards dans le remplacement des équipages de la station spatiale, comme lors de la mission MS-10, qui a été interrompue peu après son lancement en octobre 2018.

    L’agence spatiale russe Roscosmos ne détaille toutefois que rarement de tels retards, et selon Hadfield, les changements dans les programmes de vols spatiaux sont monnaie courante.

    Le cas le plus dramatique de blocage dans l’espace remonte à la mission Apollo 13 en 1970, restée coincée après l’explosion d’un réservoir d’oxygène du module de commande, trois jours seulement après le début de son voyage aller-retour de six jours vers la Lune.

    Bien que l’explosion ait failli provoquer la mort des trois astronautes à bord, ces derniers sont parvenus à survivre en utilisant leur module lunaire comme « canot de sauvetage ». Les astronautes ont ensuite largué ce dernier juste avant son entrée dans l’atmosphère terrestre et ont utilisé leur module de commande doté d’un bouclier thermique jusqu’à leur amerrissage, sains et saufs, le 17 avril 1970, soit environ quatorze heures plus tard que prévu.

    Astronauts stuck in space-Apollo 13

    L'explosion d'un réservoir d'oxygène a soufflé un panneau entier du module de service d'Apollo 13 (ici détaché du module lunaire) en 1970. Pour survivre et revenir sur Terre, l'équipage a dû utiliser le module lunaire en guise de « canot de sauvetage ».

    PHOTOGRAPHIE DE NASA

     

    LES RISQUES DES VOLS SPATIAUX HABITÉS

    Selon Mike Gruntman, professeur d’astronautique à l’Université de Californie du Sud, passer plus de temps que prévu dans l’espace ne pose généralement pas de problèmes.

    Rester dans l’espace pendant de trop longues périodes peut néanmoins s’avérer plus dangereux pour les astronautes plus âgés, plus susceptibles de souffrir des effets de la perte musculaire et osseuse dans un environnement de microgravité, révèle-t-il.

    La situation du Starliner constitue un bel exemple de la capacité des astronautes expérimentés à faire face aux problèmes.

    Elle démontre toutefois également l’impact des questions géopolitiques sur les vols spatiaux, le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine rendant « irréaliste » l’idée d’un lancement d’urgence d’un vaisseau Soyouz pour ramener les astronautes.

    Barrett Caldwell, ingénieur astronautique à l’Université de Purdue, voit également dans la situation du Starliner un témoignage de la résilience des vols spatiaux habités.

    « La communauté spatiale impose à tout véhicule conçu pour les humains une importante charge supplémentaire en matière de sécurité et de gestion des risques. Les décisions récentes le démontrent bien. »

    En outre, l’exposition et la résolution de problèmes techniques font partie intégrante de tout programme relatif au lancement de nouveaux engins spatiaux. « Il s’agit là de la toute première mission d’un véhicule expérimental. Ce qui est en train de se produire fait partie du processus de développement et d’évaluation de celui-ci », poursuit Caldwell.

    Astronauts stuck in space_cupola

    Les astronautes à bord de l'ISS peuvent observer la Terre, ici la côte ouest du Chili, à travers les fenêtres d'un module d'observation appelé la Cupola.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA

     

    UNE AIDE APPRÉCIABLE POUR L'ISS

    Selon Tom Jones, ancien astronaute de la NASA, Williams et Willmore ont bien rejoint l’équipage déjà présent dans la station spatiale et passeront donc le reste de leur séjour dans l’espace à participer à leurs efforts.

    « La NASA et ses partenaires sont heureux de pouvoir profiter d’une productivité accrue à bord, avec deux cerveaux et deux paires de mains supplémentaires pour mener des recherches et assurer la maintenance de l’ISS, qui est très complexe », affirme-t-il.

    L’ISS disposait déjà de quatre mois de réserves d’urgence pour sept personnes, et deux vaisseaux cargo robotisés se sont déjà amarrés depuis juin, transportant probablement des réserves supplémentaires ainsi que des objets personnels pour les deux nouveaux membres de l’équipage, précise Jones.

    Selon Hadfield, Williams et Wilmore sont tous deux des astronautes expérimentés qui supporteront sans problème les désagréments liés à ces changements : « On ne devient pas astronaute pour le confort. »

    De plus, ils ont tous deux passé une grande partie de leur vie à s’entraîner pour ce type d’éventualité : « C’est le plus beau cadeau de Noël qu’ils puissent recevoir. J’échangerais ma place avec eux sans hésiter. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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