Non, l'inversion des pôles magnétiques ne provoque pas le changement climatique
Des scientifiques nous expliquent en quoi les récentes théories conspirationnistes reliant les perturbations du champ magnétique terrestre et le réchauffement climatique sont totalement infondées.
Cette illustration représente les lignes de champ magnétique qui entourent la Terre et composent sa magnétosphère. Généré par les mouvements du noyau en fusion de la planète, ce champ magnétique protège la Terre du Soleil. En revanche, ses fluctuations ne sont en aucun cas à l'origine du changement climatique.
Lorsque le vent solaire et le rayonnement cosmique menacent la surface de la Terre, un vaste champ magnétique généré par le noyau externe de la planète nous protège contre les rayonnements néfastes en provenance de l'espace. Cet ensemble invisible est connu sous le nom de magnétosphère.
Les scientifiques ont conscience des fluctuations que connaissent les forces internes à l'origine du champ magnétique terrestre, ce qui se traduit par une oscillation de la puissance de ce dernier au fil du temps. Ce phénomène peut entraîner des changements progressifs d'intensité et de localisation des pôles magnétiques de la Terre, voire même à une inversion, lorsque les pôles Nord et Sud permutent.
Se pourrait-il que ces phénomènes géomagnétiques soient à l'origine des événements météorologiques extrêmes, des extinctions ou encore des catastrophes naturelles ? On peut lire çà et là sur Internet que le champ magnétique terrestre serait responsable du changement climatique, une théorie totalement infondée d'un point de vue scientifique.
« En l'état actuel des connaissances, il n'existe aucun mécanisme crédible qui pourrait justifier cette possibilité, » déclare Gavin Schmidt, climatologue et directeur du Goddard Institute for Space Studies de la NASA, à New York. « On ne se contente pas de rejeter d'éventuels effets magnétiques sur le climat sans y avoir pensé, nous avons considéré la possibilité de manière collective et cela n'a rien donné. »
DU BON USAGE DES PÔLES
Notre planète compte trois pôles nord : le vrai Nord, le nord géomagnétique et le nord magnétique.
Le premier correspond à une direction fixe sur le globe qui pointe directement vers le pôle Nord géographique. À l'inverse, le pôle nord géomagnétique n'est pas un point fixe, il se situe actuellement sur l'île d'Ellesmere au Canada et représente l'axe nord de la magnétosphère terrestre, occasionnellement sujet à des fluctuations. Le nord magnétique correspond quant à lui aux lignes de champ magnétique ; c'est le nord que l'on retrouve sur nos boussoles.
Depuis sa localisation par l'explorateur arctique James Clark Ross en 1831, le pôle nord magnétique de la Terre a progressé d'environ 1 000 kilomètres dans la direction nord-nord-ouest et sa vitesse de déplacement s'est accélérée, passant de 16 à 55 km par an, comme l'explique Alan Buis dans un article paru en 2021 sur le blog Ask NASA climate. Alors que ces changements peuvent avoir un impact sur les satellites et les outils de navigation magnétiques, des téléphones aux navires en passant par les avions de ligne, il n'existe aucune preuve d'une quelconque influence sur le climat terrestre.
Malgré tout, une théorie conspirationniste qui attribue les impacts du changement climatique aux perturbations du champ magnétique terrestre connaît un nouvel essor sur les réseaux sociaux, notamment Instagram et TikTok, sous l'intitulé The Adam and Eve Story (en français "l'histoire d'Adam et Ève", ndlr).
Cette théorie a fait l'objet d'un regain d'attention suite à son apparition dans un numéro du podcast américain « Joe Rogan Experience » diffusé en janvier dernier.
Entre janvier et avril 2023, l'organisme de surveillance des médias Media Matters a identifié sept vidéos virales reprenant les idées conspirationnistes de cet épisode et cumulant plusieurs millions de vues sur le réseau social TikTok.
Cette théorie infondée a vu le jour en 1965 sous la plume de Chan Thomas, un ex-employé de l'armée de l'air américaine dont l'ouvrage The Adam and Eve story suggérait que les inversions de pôles magnétiques étaient responsables de l'extinction de différentes civilisations historiques. À en croire l'auteur, une première crue se serait produite à l'époque d'Adam et Ève, une seconde coïnciderait avec l'Arche de Noé et la troisième n'aurait pas encore été observée.
EXCURSIONS MAGNÉTIQUES ET CLIMAT, QUEL RAPPORT ?
La NASA définit les excursions géomagnétiques comme des variations brèves et significatives de l'intensité du champ magnétique, dont la durée s'exprime en siècles ou en milliers d'années. Le dernier événement majeur, l'excursion de Laschamps, s'est produit il y a environ 41 500 ans. Au cours de cet événement, le champ magnétique de la Terre s'est brièvement affaibli et les pôles se sont inversés, pour finalement retrouver leur place initiale 500 ans plus tard.
Une étude parue en 2021 établit un lien entre l'excursion de Laschamps et le dérèglement climatique, une série d'extinctions et même une modification du comportement humain. D'après les hypothèses des scientifiques, à une époque où le champ magnétique était plus faible que la normale, une plus grande quantité de rayons solaires et cosmiques a pu pénétrer l'atmosphère de la Terre. Cela aurait ensuite affecté les niveaux d'ozone et entraîné divers changements climatiques ainsi que des extinctions.
Pour Schmidt, cette étude est, au mieux, spéculative. « Où sont les preuves d'une quelconque altération du climat survenue il y a 42 000 ans et associée à une extinction ? Aucun basculement n'apparaît dans les carottes de glace. Nous savons que le climat a connu de nombreuses variations durant la dernière période glaciaire et la chronologie est plutôt bien établie : rien ne coïncide avec cette excursion magnétique. »
Au cours des 70 000 dernières années, la Terre a connu trois excursions de champ magnétique notables : l'événement de la mer Norvège-Groenland survenu il y a 64 000 ans, l'événement de Laschamps, il y a 42 000 à 41 000 ans, et l'événement de Mono Lake, il y a environ 34 500 ans.
Pour Alan Buis, l'élément à retenir est le suivant : « Il n'existe aucune preuve d'un impact significatif des trois dernières excursions de champ magnétique sur le climat de la Terre ni d'aucune autre excursion survenue au cours des 2,8 derniers millions d'années. »
QU'EN EST-IL DES INVERSIONS ?
Lors d'une inversion de pôle, le nord et le sud magnétiques changent de place. Cela se produit tous les 300 000 ans environ, mais la dernière inversion remonte à près de 780 000 ans, selon les données de la NASA. Dans l'histoire géologique terrestre, les inversions de pôles sont plutôt fréquentes, avec près de 183 occurrences au cours des 83 derniers millions d'années.
Lorsque ce phénomène se produit, la puissance du champ magnétique diminue substantiellement, mais la Terre ne se retrouve pas sans défense pour autant. La magnétosphère et l'atmosphère unissent leurs forces pour dévier la majorité des rayonnements néfastes avant leur arrivée en surface. Certains scientifiques ont émis l'hypothèse que les inversions et leurs conséquences sur le champ magnétique pourraient affecter le climat mondial et provoquer des extinctions, mais les données actuelles ne permettent pas d'étayer ces affirmations.
« Il n'existe aucune preuve reliant les fluctuations magnétiques au climat, alors même que nous avons identifié plusieurs inversions magnétiques majeures ou des quasi-inversions dans le registre paléoclimatique, » indique Schmidt. « Ces événements ne sont associés à aucun changement climatique ni aucune extinction. »
Kirk Johnson a consacré la majorité de sa carrière à l'étude de l'extinction des dinosaures. Dans ses travaux sur le registre fossile et la chronologie entourant l'extinction Crétacé-Paléogène, l'actuel directeur du musée national d'histoire naturelle des États-Unis s'est intéressé à l'inversion magnétique survenue il y a 66,3 millions d'années.
Des échantillons de sédiments prélevés sur le plancher océanique font état d'un changement climatique majeur survenu à la même période, indique Johnson. Toutefois, cela coïncide également avec une éruption volcanique monumentale survenue en Inde, celle des trapps du Deccan, dont les coulées de lave figurent parmi les plus longues de l'histoire terrestre.
« Nous avons toujours attribué cette transition au dioxyde de carbone libéré par l'éruption des trapps du Deccan et à la hausse des niveaux de gaz à effet de serre, » explique Johnson. « Il y a deux événements parallèles : d'un côté, le champ magnétique est modifié ; de l'autre, les trapps du Deccan entrent en éruption et le climat se réchauffe. Dans ce cas, le changement climatique est une coïncidence. »
« La corrélation n'entraîne pas forcément la causalité, voilà ce qu'il faut retenir » conclut-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.