Catherine Sforza, la guerrière qui défia les Borgia
Audacieuse, courageuse et brillante, Catherine Sforza prit possession de châteaux par la force, forgea des alliances et se vengea de ses ennemis dans une quête de pouvoir sans fin.
Vers la fin de l'an 1499, une femme se tenait au sommet des murs de la Rocca di Ravaldino à Forlì, à environ 185 km au nord de Rome. Les troupes des Borgia, une puissante famille rivale, retenaient ses enfants en otage et menaçaient de les tuer si elle ne leur cédait pas la forteresse et ses terres. Mais elle refusa, releva ses jupes et cria : «Tuez-les si vous voulez, j'ai les moyens d'en faire d'autres ! Vous ne me ferez jamais céder. »
Le récit est peut-être apocryphe, mais compte tenu de ce que l’on sait de l’extraordinaire Catherine Sforza, il a un semblant de vérité. Une des figures les plus exceptionnelles de la Renaissance italienne, Sforza côtoie les génies artistiques et culturels de son époque. Elle défiait les conventions, étudiait l'alchimie et se félicitait de sa défiance envers les Borgia et d'autres puissantes familles italiennes.
ENFANT NATUREL
Catherine naquît en 1463 à Milan. Elle était la fille illégitime de Galéas Marie Sforza, futur duc de Milan. Malgré son illégitimité, elle fut élevée au centre du foyer de son père, où elle reçut une éducation empreinte de l'esprit humaniste du siècle. Comme d’autres filles de cette famille remarquable, elle étudia l'art militaire et les armes aux côtés des garçons.
En 1473, alors que la jeune Catherine n'avait que dix ans, sa famille forma une alliance politique et la promit à Girolamo Riario, un homme de vingt ans son aîné et neveu du pape Sixte IV. Seigneur d'Imola et de Forlì, une ville située au sud de Milan en Romagne, Girolamo emmena sa jeune épouse à Rome une fois ses quatorze ans révolus. Ce changement de décor leur permit de consolider leur place au centre de la cour papale.
Catherine donnerait bientôt naissance à plusieurs enfants et deviendrait un puissant intermédiaire entre Rome et Milan.
INTRIGUE ROMAINE
En août 1484, la mort du pape Sixte IV provoqua un chaos politique alors que les familles italiennes tentaient de placer l'un des leurs sur le trône de Saint-Pierre.
L'époux de Catherine se trouvait alors dans une position précaire : de nombreuses factions cherchaient à saisir ses terres après la mort de son oncle. Riario était parti de Rome pour faire campagne contre ces factions rivales, mais à présent, il était empêché de revenir en ville pour consolider sa position. Catherine, bien qu'enceinte de sept mois, se dressa contre l'adversité.
Elle commanda à ses forces de s'emparer du château Saint-Ange de Rome. Elle refusa de le céder ensuite, affirmant que le pape Sixte en avait cédé le contrôle à sa famille avant sa mort. La seule personne à qui elle confierait la possession du château serait le prochain pape. Sachant que les cardinaux redoutaient son artillerie, Catherine s'empara du château pour laisser à son mari le temps de parvenir à un accord. Catherine et Riaro quittèrent Rome après avoir obtenu 8 000 ducats en compensation et la reconnaissance de leurs domaines à Imola et à Forlì, ainsi que la nomination de Riaro en tant que capitaine général des troupes du Vatican.
Catherine eut l'occasion de faire montre de ses talents politiques dans son nouveau domaine de Forlì. Après l'assassinat de Riaro en 1488 par des partisans du nouveau pape, Innocent VIII, elle remplit les fonctions de régente pour son fils aîné, Ottaviano, qui n'était pas encore majeur. Elle baissa astucieusement les impôts pour s'assurer le soutien des citoyens. Elle noua de solides alliances avec les États voisins grâce à son second mariage et aux mariages de ses enfants. Elle prit également le commandement de l'entraînement militaire de son armée.
NOUVELLES ALLIANCES
Quelques mois après la mort de son époux, Catherine épousa en secret Giacomo Feo avec qui elle eut un fils, Bernardino Carlo. La passion qu'elle nourrissait pour ce jeune homme ambitieux se révéla être une faiblesse. Elle destitua son fils aîné, Ottaviano, et céda le contrôle de l'État à son nouvel époux. Elle donna également aux membres de la famille de Feo la charge des forteresses défendant la ville. Les partisans d'Ottaviano fomentèrent alors avec succès un complot visant à assassiner le deuxième mari de Catherine en 1495. Non vaincue, la veuve fit massacrer ses meurtriers et leurs familles en représailles.
En 1497, à 34 ans, Catherine obtint la permission de son oncle, le duc Ludovic Sforza, d'épouser Jean de Médicis, dit il Popolano, membre de la puissante famille florentine. Elle l'avait rencontré un an plus tôt lorsqu'il était venu à Forlì en tant qu'ambassadeur de Florence. Le mariage se termina par la mort et elle se retrouva une nouvelle fois veuve : à peine un an après que Catherine eut donné naissance à un fils, Jean (plus tard connu sous le nom de Jean des Bandes Noires, un célèbre commandant militaire), Jean le Popolano mourut d'une pneumonie au milieu d'un conflit opposant Florence et Venise.
DÉFIER LES BORGIAS
Peu de temps après, le pape Alexandre VI, un Borgia, entreprit d'élargir les États pontificaux en absorbant des villes de Romagne, qui comprenait les terres de Catherine à Forlì et à Imola. Catherine donna immédiatement l'ordre d'élargir ses défenses militaires, d'améliorer son armement et de créer de vastes réserves de vivres et de munitions afin d'être fin prête en cas de siège. César Borgia, duc de Valentinois, s'opposa à Catherine qui s'était installée dans la forteresse de Ravaldino, la Rocca di Ravaldino, située à proximité.
Fils du pape Alexandre, César Borgia était un puissant ennemi à la tête de forces majeures. Après la chute d'Imola et de Forlì, Borgia entreprit d'assiéger la Rocca di Ravaldino le 19 décembre 1499. Catherine commanda personnellement la défense avec l'aide de plus de mille soldats. Elle refusa les offres de paix les unes après les autres, même - comme le dit la légende - quand la vie de ses enfants fut en jeu.
Le 12 janvier 1500, après une défense âprement disputée, les troupes de Borgia s'emparèrent de Ravaldino et se saisirent de Catherine. Bien qu’elle demandât à être placée sous la garde du roi de France Louis XII, Borgia en fit sa prisonnière pendant deux ans.
Bientôt on l'envoya à Rome, où Catherine fut maintenue prisonnière par le pape Alexandre au palais du Belvédère, une belle villa située au Vatican. Le pape Borgia insista pour que sa prisonnière fût traitée comme une invitée d'honneur, conformément à son rang, mais toute l'attention qu'il lui prodigua ne parvint pas à briser l'esprit rebelle de Sforza. Après une tentative d'évasion infructueuse, la duchesse fut envoyée à Château Saint-Ange, la forteresse qu'elle avait saisie quelques années auparavant.
UNE FIN PAISIBLE
Le roi de France finit par intercéder en sa faveur et Catherine fut libérée en 1501. Elle se retira dans une villa familiale à Florence. C'est là, après la mort du pape Alexandre VI, qu'elle tenta de récupérer ses terres auprès du nouveau pontife, l'un des plus grands mécènes de la Renaissance, le pape Jules II. Mais les villes de Forlì et d'Imola s'opposèrent à son retour. Son destin passa donc entre les mains d'un noble du Vatican, Antonio Maria Ordelaffi.
Catherine passa les dernières années de sa vie avec ses enfants et continua d'étudier l'alchimie. En mai 1509, alors qu'elle n'avait que quarante-six ans, elle mourut d'une pneumonie. Elle fut enterrée dans le couvent de Santa Maria delle Murate, dans un caveau anonyme, comme stipulé dans son testament. Son petit-fils, Cosme Ier de Toscane, ordonna par la suite de placer une pierre tombale en marbre blanc sur sa tombe. En 1835, cette pierre fut détruite lors de la rénovation du plancher du couvent.
Catherine, semblait-t-il, ne devait pas être contredite, fut-ce même dans la mort.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.