Pirates : Comment la suppression du statut de corsaire a mis le feu aux poudres
De 1713 à 1725, une nouvelle vague de piraterie en Atlantique va croître. Les traces écrites de cette période vont commencer à établir l'histoire noire des pirates qui sera par la suite romancée dans les livres et jusqu’au cinéma.
Un drapeau noir battu au vent : les voiles viennent d’être hissées. À bord du navire, des hommes barbus, le sabre tenu en bouche en contact avec une dent en or. Tel est l’imaginaire romancé autour de la figure du pirate qui s’est forgé au fil du temps, de la littérature comme celle de Defoe jusqu’à la saga Pirates des Caraïbes sur grand écran.
Si nous y réfléchissons bien, il est un peu délicat de réduire le phénomène de piraterie – aussi ancienne que les premières navigations – à un homme à la jambe de bois affublé d'un cache-œil. Cependant, cette photographie mentale de la piraterie partagée de tous n’est pas si éloignée de la vérité historique dans un certain contexte. Elle peut correspondre sur certains points à la situation des écumeurs des mers au début du 18e siècle en Atlantique.
UNE COURTE VIE POUR LES PIRATES DES CARAÏBES
La guerre de Succession d’Espagne éclate en 1701. Les Bourbons et les Habsbourg, les deux familles qui règnent sur l’Europe, vont s’affronter sur le vieux continent mais aussi via leurs colonies en Amérique.
Des corsaires des deux camps vont donc être recrutés – comme il est récurrent de le faire depuis le début de la colonisation – pour s’attaquer aux navires ennemis dans les Caraïbes. Pour motiver ces troupes, on augmente leur salaire et améliore leurs conditions de vie en mer comme sur terre. Cela ne contredit pas cependant le comportement économe des couronnes qui préfèrent payer ces « mercenaires » plutôt que de former de nouvelles flottes.
Mais les promesses ne vont pas durer. Les officiers de la marine royale vont souvent rafler le butin des corsaires. Pour ceux qui s’étaient engagés avec l’espoir d’une vie meilleure en partant vers le nouveau monde, la désillusion est forte : les inégalités entre les hauts gradés et les simples marins sont criantes.
La signature du traité d’Utrecht en 1713, qui met fin à la guerre de Succession d'Espagne, fait l'effet d'un coup de canon et sonne le début d’une nouvelle vague de piraterie : avec la fin de la guerre, les royaumes décident de congédier bon nombre de marins de la flotte royale et de supprimer les avantages accordés aux corsaires.
Certains vont se tourner vers la marine de commerce mais le traitement qui leur est réservé dans ce secteur n'est en rien meilleur et continue de pousser à la mutinerie. D’autres sont sans contrat et vont alors continuer leur ancienne activité : piller les navires adverses. Mais ils le font désormais sans protection du sceau royal. Ils ne s’attaqueront cependant jamais à un bateau de leur propre patrie. Dans un premier temps en tout cas…
Pour autant, cela ne va pas plaire aux différents gouvernements perdant le contrôle sur ceux qui penchent de plus en plus du côté de la piraterie pure et dure et mettent à mal la récente entente entre les royautés du vieux continent.
« Je vous prie d’être assuré que quand j’aurai quelques nouvelles de ces canailles dans ces mers, je vous en donnerai incessamment avis pour consulter avec vous les mesures les plus propres à être prises par les deux nations pour les détruire », disait le gouverneur dʼAntigua, Walter Hamilton, dans une lettre datée du 9 mars 1721 adressée au gouverneur-général des îles françaises, le chevalier de Feuquières. Cet échange épistolaire montre comment les dirigeants anglais et français vont accentuer la répression.
En réponse, ces gens de mer s’affirment de plus en plus dans l’idée qu’ils ne dépendent d’aucune patrie. Leur nombre d’ailleurs va augmenter jusqu’à atteindre environ 2000 individus qui naviguent dans les Antilles et le Golfe du Mexique.
UNE PIRATERIE INTERNATIONALE
C’est à cette époque que certains symboles ancrés dans notre imaginaire vont apparaître. Le Jolly Roger, par exemple, émerge vers 1700. C'est le fameux drapeau noir orné d’une tête-de-mort et souvent d’un sablier, ce dernier indiquant le peu de temps qui reste aux marins pour se rendre.
Nous imaginons facilement un abordage après que ce drapeau fut dressé. Pourtant, ces derniers sont exceptionnels. Le butin est désiré certes, mais personne ne veut faire un trou dans la coque de son bateau.
Le pavillon rouge qui a été arboré par les navires pirates avant l'apparition de Jolly Roger avait la même fonction d’inspirer la terreur. On le retrouve ponctuellement plus tard au 19e siècle dans la « flotte au drapeau rouge » commandée par la femme pirate Ching Shih en mer de Chine.
Galerie photo : Les découvertes faites sur le navire de Barbe Noire
Concernant Barbe Noire, surtout célèbre pour son apparence effrayante mise en scène avec son épaisse barbe noire et son habitude de tresser des mèches à canon allumées dans ses cheveux, il ne semble pas tant avoir bâti sa réputation sur ses prises qui n'étaient, de ce que l'on sait, pas exceptionnelles comparées à d’autres de cette période. (À lire aussi : La véritable histoire de Barbe Noire, la terreur des mers)
« Environ au même moment, du point de vue de la valeur des prises en tout cas, ce qui se passe en mer Rouge est beaucoup plus important. Dans cette région, les pirates s’emparent de riches navires transportant des pèlerins venus d’Inde. Mais dans ce cas-là, ce n’est pas l’Europe directement qui est touchée donc cette histoire a été moins considérée », commente Philippe Hrodej, historien spécialiste d’histoire maritime.
Une nouvelle période de paix entre la France et l’Angleterre durera de 1713 à 1744, marquant un coup d’arrêt à la piraterie. Dans les caraïbes, cet épisode se finira pour beaucoup la corde au cou. D’autres seront graciés. Cette parenthèse de paix renforcera le sentiment que la vague de piraterie qui l'avait précédée pouvait être considérée comme l’âge d'or des pirates. Il n’en est rien, mais ces années apaisées permettront aux premières légendes de prendre vie dans l'imaginaire collectif.