Ces rares images en couleurs retracent la Marche sur Washington
Le 28 août 1963, un photographe du magazine National Geographic a pris sa journée pour documenter la Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté, durant laquelle Martin Luther King Jr. prononça son discours historique "I have a dream".
La marche de 1963 sur Washington pour l'emploi et la liberté a rassemblé des personnes issues d'organisations de droits civiques, de syndicats et de groupes religieux à travers tout le pays pour protester contre la ségrégation, l'inégalité et l'injustice économique. Comme le montre la pancarte demandant la fin des violences policières, bon nombre des problèmes qui ont motivé les manifestants ne sont toujours pas résolus.
Au matin du 28 août 1963, James P. Blair, photographe pour National Geographic, quitta son appartement situé à l'angle de la 17e rue et de la M Street à Washington, DC.
James P. Blair vivait à seulement un pâté de maisons de la National Geographic Society, où il travaillait comme photographe depuis un peu plus d'un an. Mais ce jour-là - un mercredi - il ne s'est pas rendu au bureau. Au lieu de cela, il s'est rendu au Washington Monument pour photographier la Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté.
Organisée par les leaders du mouvement des droits civiques, dont Martin Luther King, Jr. et John Lewis, la marche était l'aboutissement d'années de frustration face à la ségrégation et aux inégalités. Plus de 250 000 personnes y ont participé et des milliers de journalistes ont convergé avec elles vers le National Mall.
Martin Luther King, Jr., lève le bras vers la fin de son discours emblématique « I Have a Dream » lors de la Marche sur Washington. « Tout le monde a ressenti la puissance du moment », déclare le photographe James P. Blair.
« L'événement a attiré les photographes », explique Helena Zinkham, chef de la division des estampes et de la photographie à la Bibliothèque du Congrès. « Les gens savaient que c'était un événement qui ferait date. »
Les photographies prises ce jour-là sont depuis ancrées dans la mémoire nationale américaine. Les photos de Blair, qui n'ont pas été prises dans le cadre d'une couverture officielle par le National Geographic et n'ont que rarement été publiées, offrent un aperçu unique de l'un des moments les plus emblématiques de l'histoire récente du pays.
James P. Blair savait qu'il ne pouvait pas couvrir la marche pour National Geographic. « La dernière chose qui préoccupait le National Geographic à l'époque, c'était les droits civiques », dit-il. Et à l'époque, le magazine mensuel couvrait rarement les actualités au fur et à mesure de leur déroulement.
Au lieu de cela, il a pris la journée. « Une journée vraiment pour moi », se souvient Blair, maintenant âgé de 89 ans.
La foule pacifique rassemblant 250 000 personnes s'étendait du Lincoln Memorial, d'où la photo a été prise jusqu'au Washington Monument.
À ce moment-là, Blair était depuis longtemps attaché aux droits civiques. Pour un projet de dernière année universitaire à l'IIT Institute of Design, il a photographié une famille noire vivant dans un immeuble condamné du sud de Chicago - le commis des postes Armister Henton, sa femme et leurs filles jumelles. Il a passé plusieurs semaines avec eux dans leur appartement dans le cadre de ce projet.
« Leurs problèmes et leur courage m'ont beaucoup impressionné », dit-il.
Même si Blair n'assistait pas à la marche en tant que photographe du National Geographic, il pris avec lui son appareil photo et un téléobjectif. Et il s'est assuré d'être à l'avant de la foule pendant qu'elle marchait pour pouvoir facilement trouver une place au pied des marches lorsque celle-ci atteindrait le Lincoln Memorial.
De son point de vue, il pouvait voir l'immensité de la manifestation. « La foule s'est étendue le long du bassin et jusqu'au Washington Monument d'où nous venions », dit-il. Il faisait chaud ; des gens se rafraîchissaient les pieds dans le bassin.
Les manifestants soutenaient alors des revendications qui résonnent aujourd'hui encore. Les organisateurs de la marche ont déterminé quels seraient les messages des panneaux portés par les manifestants.
Au Lincoln Memorial, Blair a écouté Mahalia Jackson, Bob Dylan, Joan Baez et d'autres chanter, et Philip Randolph, John Lewis, Roy Wilkins et d'autres parler - et a pris des photos en continu.
Lorsque le révérend Martin Luther King Jr. a prononcé son célèbre discours « I have a dream » (J'ai fait un rêve en français, ndlr), Blair dit, « J'ai clairement entendu son message. Quand Martin Luther King Jr. a levé la main et dit : "Libres enfin. Enfin libres. Merci Dieu Tout-Puissant, nous sommes enfin libres". J'ai pris des photos sans m'arrêter. »
Blair venait de capturer un passage déterminant de l'un des discours les plus emblématiques de l'histoire des États-Unis, et il l'avait fait en couleurs, contrairement à la plupart des photographies prises ce jour-là.
La marche sur Washington pour l'emploi et la liberté a duré toute la journée du 28 août 1963, jusqu'à ce que l'ombre du Lincoln Memorial cache enfin le chaud soleil d'août.
« C'est ce qui rend ces photographies si tangibles et accessibles », déclare Aaron Bryant, conservateur au Musée national d'histoire et de culture afro-américaine du Smithsonian. « Elles vous donnent l'impression de faire partie du mouvement. »
Les photographies en couleurs de Blair rendent également la marche plus moderne, dit Bryant, qui collecte des photos personnelles de personnes qui ont participé à la marche.
Une des pancartes visibles lors de la marche hante tout particulièrement Blair aujourd'hui encore : « Nous exigeons la fin des violences policières maintenant ! »
« De quoi sommes nous en train de parler ? En 2020 ? Des violences policières », dit-il. « C'est épouvantable. »
Pourtant, sur cette même photographie, la foule dans sa vibrante diversité marchait main dans la main, bras dessus, bras dessous, et chantait.
Juste avant que James P. Blair ne photographie la Marche sur Washington, il avait passé six semaines en mission sur l'île de Tristan da Cunha, dans le sud de l'Atlantique.
À la fin de la marche, Blair, qui a pris sa retraite en tant que photographe du National Geographic en 1994, a donné ses photographies à la collection d'images de la National Geographic Society. Il fait toujours des photos.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.