En 897, le corps de ce pape a été exhumé... pour être jugé

Connu sous le nom de « Concile cadavérique », le procès du pape Formose à titre posthume témoigne du chaos qui régnait au 9e siècle à Rome et au Vatican.

De Alberto Reche Ontillera
Publication 31 mai 2024, 15:13 CEST
Le peintre français Jean-Paul Laurens a représenté le Concile cadavérique, le corps du pape Formose vêtu ...

Le peintre français Jean-Paul Laurens a représenté le Concile cadavérique, le corps du pape Formose vêtu de ses robes papales et soutenu pour faire face à la Justice.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Imaginez la surprise du pauvre pêcheur romain qui, selon la légende, a repêché le corps d'un pape dans les eaux du Tibre. Peu alors s'attendaient à voir réapparaître les restes du souverain pontife neuf mois après sa mort. La dépouille dudit pape avait été au centre d'un des épisodes les plus singuliers de l'histoire de la papauté : le procès posthume d'un cadavre. L'histoire du pape Formose et les indignités infligées à sa dépouille font montre des calculs politiques propres à l'Europe de la fin du 9e siècle.

La longue liste des papes qui ont pris la tête du Vatican à cette époque est l'un des signes les plus visibles du chaos qui régnait alors à Rome et au sein de l'Église. Entre 872 et 965, pas moins de vingt-quatre papes se sont succédé (entre 896 et 904, il y avait à peu près un pape nommé chaque année !). Chaque nouveau pape prenait de fait le risque d'être destitué, jeté en prison ou assassiné sur fond d'intrigue politique et d'instabilité gouvernementale.

 

DUCS, MARQUIS ET ROIS

À la fin du 9e siècle, la papauté joua un rôle central dans les violentes luttes qui agitaient la péninsule italienne. Intervenant ouvertement dans les querelles familiales des dirigeants de Rome, les pontifes jouèrent également un rôle central dans la lutte régionale pour la suprématie. Ce conflit opposait, d'une part, les empereurs carolingiens qui, tout au long du 9e siècle, avaient la mainmise sur les royaumes d'Italie et se sont positionnés comme protecteurs de l'Église catholique. Leur suprématie a été de plus en plus contestée par les dynasties locales. Sous le règne du Carolingien Louis II d'Italie (850-875), titulaire de la dignité impériale, le pouvoir royal a un temps semblé renforcé. Mais à la mort de ce dernier sans héritier, le pouvoir tomba sous la dynastie des Widonides, qui détenait la charge du duc de Spolète et la dynastie des Unrochides, dont le représentant détenait la charge de marquis de Frioul.

Dès le début de sa carrière, Formose s'est empêtré dans ces conflits complexes. Après sa consécration comme évêque de Porto - diocèse situé à l'embouchure du Tibre - il a effectué de nombreuses missions diplomatiques au nom de la papauté, qui l'ont conduit en Bulgarie, à Constantinople et à la cour carolingienne. Formose a gagné les faveurs d'Arnulf de Carinthie, un roi franc de la dynastie impériale carolingienne qui aspirait à prendre le trône d'Italie.

La diplomatie menée par Formose déplaisait fortement à ses supérieurs. Le pape Jean VIII craignait que Rome perde son indépendance si d'aventure un roi d'une dynastie impériale aussi puissante devenait roi d'Italie. Le pape Jean fit excommunier Formose en 876 et le chassa de son diocèse. Lui et ses partisans furent contraints de fuir Rome sous la menace d'un procès pour corruption et immoralité. Ils trouvèrent refuge à la cour de Guy III de Spolète.

Formose fit profil bas pendant plusieurs années dans le nord de la Lombardie, attendant que la situation à Rome s'améliore. En 883, sous le bref pontificat de Marin Ier, l'excommunication de Formose fut levée et il fut réintégré à la tête de son ancien diocèse de Porto. Et quelques années plus tard, à la mort du pape Étienne V en 891, Formose devint pape.

 

ALLIÉ DE L'EMPEREUR

Formose devint pape dans un contexte politique dangereux. Peu de temps avant la nomination de Formose, Guy III de Spolète - son ancien protecteur - avait été couronné roi d'Italie à Pavie. Il s'était alors rendu à Rome pour forcer le pape Étienne V à le couronner roi d'Italie et empereur d'Occident. Après la mort d'Étienne V, Formose dut confirmer le couronnement de Guy III de Spolète et reconnaître son fils Lambert comme successeur légitime. Formose, cependant, se méfiant du nouveau roi d'Italie, repris des relations diplomatiques avec Arnulf de Carinthie, l'invitant à confronter Guy III de Spolète en Italie.

Pour faire main basse sur des terres qu'il pensait lui revenir de droit, Arnulf de Carinthie fit une première incursion à Milan et à Pavie en 893. Trois ans plus tard, Guy III de Spolète était mort et son fils Lambert de Spolète avait été couronné roi d'Italie et empereur d'Occident. En réponse, Arnulf assiégea la Ville éternelle. À l'intérieur de Rome, la faction Spolète fidèle à Lambert se rebella et fit emprisonner le pape Formose au château Saint-Ange. Mais ils ne purent repousser les envahisseurs. Formose fut libéré et quelques jours plus tard, il couronna l'empereur Arnulf dans la basilique Saint-Pierre. Quelques mois plus tard, le pape Formose mourut. Était-ce empoisonné ou simplement de vieillesse (il avait 80 ans) ? Nul ne le sait. Certains louèrent alors ce pape considéré comme juste et pieux quand d'autres ne pouvaient lui pardonner d'avoir favorisé l'allemand Arnulf au détriment du clan italien Spolète.

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    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    LA VENGEANCE DE LAMBERT

    L'histoire, cependant, ne s'arrête pas là. Même la mort n'a pas exempté Formose du cycle apparemment éternel d'intrigues et de luttes intestines. Formose fut remplacé par Boniface VI, qui ne vécut que 15 jours après son mandat. À Boniface succéda Étienne VI, un ancien disciple de Formose qui a également initialement soutenu l'empereur Arnulf.

    À peine Arnulf avait-il quitté l'Italie, cependant, qu'Étienne VI s'aligna sur les intérêts de la famille Spolète. Lambert de Spolète se rendit à Rome, qui avait déjà été reprise par ses partisans, pour convaincre le nouveau pape de condamner les actions de Formose et de ternir sa réputation à titre posthume.

    Cette condamnation, insistait Lambert, devait être faite en public pour jeter l'opprobre sur les partisans de Formose. Ce procès posthume serait conduit sous la solennité du droit canonique et tenu devant la curie papale et la noblesse romaine. Mais le plus étrange dans cette mise en scène, c'est qu'il a été décidé que le corps de Formose serait présent à son propre procès posthume.

     

    UN HOMME MORT PEUT-IL PARLER ?

    Le concile a été soigneusement préparé dans les moindres détails. Au début de l'année 897, le pape Étienne VI et Lambert de Spolète ordonnèrent que le cadavre de Formose soit exhumé et amené à San Giovanni in Laterano pour la procédure. Le concile réunit tous les cardinaux, évêques et autres dignitaires ecclésiastiques.

    Vêtu de ses vêtements papaux officiels, le pape défunt fut assis sur une chaise. Le cadavre accusé se vit attribuer un avocat de la défense et les chefs d'accusations lui furent lus. Parmi ceux-ci, celui stipulant que sa nomination en tant que pape était illégale, car il était à l'époque évêque de Porto, bafouant soi-disant le droit canonique. S'adressant directement au cadavre, le conseiller d'Étienne VI lui demanda : « En tant qu'évêque de Porto, pourquoi avez-vous, avec une grande ambition, usurpé ce Siège de l'Apôtre ? » Un diacre fut nommé pour parler au nom du défunt. Des sources disent qu'il lisait principalement des déclarations préparées.

    On ne sait pas si l'avocat de Formose osa réellement prendre sa défense. En tout état de cause, la sentence ne pouvait être soumise à un appel. Le synode signa l'ordre de destituer Formose, puis le condamna et révoqua toutes ses nominations, de sorte que tous les clercs ordonnés par lui furent forcés de renouveler leurs démarches de nomination.

    Le cadavre de Formose fut ensuite délaissé de ses vêtements papaux. Les trois doigts qu'il avait utilisés pour les consécrations et les bénédictions furent coupés. Le corps fut ensuite vêtu de vêtements ordinaires et enterré dans la tombe d'un homme du commun. Non content de cette victoire, Étienne VI fit à nouveau déterrer le corps pour le jeter dans le Tibre.

    Même pour les Romains de l'époque, habitués à des bouleversements politiques interminables, cette décision fut jugée inacceptable. Étienne VI fut emprisonné et étranglé à mort en prison quelques mois après le Concile cadavérique. Deux ans plus tard, le pape Jean IX rétablit le pape Formose et interdit toute forme de nouveaux procès contre les papes décédés.

    La création dans la religion catholique

    Le procès de Formose reste l'un des chapitres les plus étranges de la longue histoire de l'Église catholique. L'histoire de l'humble pêcheur tirant les restes du pape Formose du Tibre est peut-être un mythe, mais nous savons que le corps déshonoré de Formose put finalement reposer en paix : en 897, il a été enterré de nouveau avec tous les honneurs chrétiens.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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