Olympias et Alexandre le Grand, histoire d'une mère toute-puissante
Entre ruses, ambition et détermination, Olympias a su rompre le sort destiné aux femmes de l'antiquité pour asseoir sa domination et celle de son fils.
Olympias est représentée de profil dans ce bas-relief italien du 18e siècle visible au palais impérial de Pavlovsk, près de Saint-Pétersbourg, en Russie.
Épouse de Philippe II, roi de Macédoine, et mère de l'illustre Alexandre le Grand, OIympias fut la première femme activement impliquée dans la vie politique de la péninsule grecque. Elle était une femme courageuse, habitée par un penchant pour le meurtre et la vengeance à l'image des hommes qui l'ont accompagnée tout au long de sa vie, mais l'histoire ne l'a pas traitée aussi noblement.
Une tétradrachme de Philippe II montrant le roi à cheval coiffé d'une kausia, un chapeau de feutre, et vêtu d'une cape, la chlamyde, deux accessoires typiques de la garde-robe macédonienne.
La violence qui caractérise le mari et le fils d'Olympias, tous deux responsables de centaines de milliers sinon de millions de victimes, est généralement acceptée, voire célébrée, alors que les ouvrages à la fois anciens et modernes reprochent souvent à Olympias son manque de gentillesse. Gentille, Olympias ne l'était pas, mais Philippe et Alexandre non plus.
Dans la plupart des ouvrages à son sujet, pourtant écrits plusieurs siècles après sa mort, Olympias est traitée avec hostilité, car elle ne correspondait pas à l'image de la femme dans la société grecque : silencieuse, docile, se tenant à l'écart de la vie publique et au plus proche de sa famille. Effectivement, Olympias n'était rien de cela. L'historien du 1er siècle Plutarque a beaucoup écrit à son sujet, en l'utilisant notamment comme faire-valoir d'Alexandre. Ainsi, dans l'œuvre de Plutarque, Alexandre reste maître de ses passions, alors qu'Olympias en est l'esclave, ce qui donne un portrait haut en couleur, quoique faussé, de cette avant-gardiste grecque.
MARIAGE POUR UN ROYAUME
C'est dans la région de l'Épire au cœur du royaume des Molosses qu'Olympias voit le jour vers 375 avant notre ère. Situé dans l'actuel nord-ouest de la Grèce, le territoire des Molosses était un lieu isolé et entouré de montagnes, célèbre pour l'oracle de Zeus érigé à Dodone. Le paysage y était plus vert, l'air plus frais et l'eau plus abondante que dans le centre et le sud de la Grèce.
L'amphithéâtre de Dodone dédié à Zeus, dans la région de l'Épire au nord de la Grèce, où Olympias est née. La divinité allait jouer un rôle clé dans les mythes qui entourent la conception d'Alexandre, le fils d'Olympias.
Le sud et le centre de la péninsule grecque étaient en grande partie divisés en cités-États, certaines étaient des démocraties et d'autres des aristocraties. Au nord, les Molosses et la Macédoine avaient conservé une monarchie héréditaire. Dans les deux cas, les femmes n'avaient aucun rôle à jouer, si ce n'est dans la religion. Les membres de la dynastie d'Olympias, les Éacides, se revendiquaient descendants du héros grec Achille qui livra bataille contre Troie. (À lire : Comment les archéologues ont découvert la mythique ville de Troie)
Le père d'Olympias, Néoptolème, régnait aux côtés de son frère Arybbas qui deviendra le gardien d'Olympias à la mort de son père. Pour lutter contre la menace que représentaient les Illyriens, un peuple du nord, les Molosses se sont mis en quête d'une alliance matrimoniale qui assurerait la protection de leur État. Olympias et son oncle Arybbas ont pris la direction de la lointaine île de Samothrace, au large de la Macédoine, pour convenir de son mariage avec Philippe II, roi de Macédoine.
Alors âgé de 23 ans, Philippe avait accédé au trône en 359 avant notre ère. Les Illyriens avaient également envahi la Macédoine et assassiné son frère, Perdiccas III, ainsi que 4 000 autres Macédoniens. Philippe était parvenu à les vaincre et à repousser plusieurs prétendants au trône, mais ses ennemis n'avaient pas dit leur dernier mot. Les noces de Philippe et Olympias allaient unifier les royaumes du nord et accroître la puissance du Roi.
DES MOLOSSES À LA COUR
En 357 avant notre ère, Olympias avait épousé Philippe II et rejoint le palais de Pella, la résidence principale du roi, en devenant l'une de ses sept femmes. La polygamie était fréquente chez les rois de Macédoine, mais Philippe la pratiquait à une plus grande échelle et y voyait avant tout la possibilité d'unifier son royaume et d'étendre son territoire.
En 356, Olympias donna naissance à un fils, Alexandre, puis un an ou deux plus tard à une fille, Cléopâtre, dont le nom très répandu au sein de l'élite macédonienne signifie « gloire de son père ». Philippe n'avait qu'un seul autre fils, connu sous le nom de Philippe III Arrhidée, avec une autre femme, et il est rapidement apparu qu'il souffrait d'un handicap mental. Tout semblait donc désigner Alexandre comme héritier du trône, ce qui faisait d'Olympias la plus prestigieuse des femmes de Philippe, même s'il n'existait pas officiellement de hiérarchie entre les épouses. Puisque les rois pouvaient avoir de nombreux fils et en l'absence de règles formelles de succession, il était du rôle des mères d'appuyer la succession de leur fils et c'est précisément ce que fit la mère d'Alexandre.
Olympias n'était pas la seule Molosse de la cour macédonienne : plusieurs de ses proches, notamment le futur Alexandre Ier d'Épire, son frère, lui avaient emboîté le pas. Cet Alexandre le Molosse s'installa plusieurs années à la cour. Vers 343, Philippe condamna Arybbas à l'exil afin de placer le frère d'Olympias sur le trône du royaume des Molosses. Le coup était la suite logique de l'alliance née des années plus tôt, sans nécessairement témoigner de l'influence d'Olympias sur son mari, mais il ne manqua pas d'accroître le prestige de celle-ci. Tout au long de sa vie, la princesse resta fidèle à ses racines molosses.
INSTINCT MANIPULATEUR
Philippe s'absentait fréquemment pour mener ses troupes en campagne et Olympias a donc joué un rôle majeur dans l'éducation de son fils, qui connaissait probablement mieux sa mère que son père. Selon Plutarque, la relation entre Philippe et Alexandre était un mélange de rivalité et d'affection. Philippe traitait Alexandre comme son héritier. Il lui choisit pour maître Aristote et avait pour habitude de laisser le jeune homme alors âgé de 16 ans à la tête de la Macédoine lors de ses campagnes militaires. Un peu plus tard, vers 338 avant notre ère, Philippe se tourna vers Alexandre, 18 ans à l'époque, pour jouer un rôle décisif dans la grande victoire macédonienne à Chéronée.
Malgré cela, la situation confortable dans laquelle se trouvaient Olympias et Alexandre semble avoir pris fin à l'occasion du septième mariage de Philippe avec la Macédonienne Cléopâtre Eurydice. Philippe s'était déjà marié à plusieurs reprises et un nouveau mariage n'était pas nécessairement un problème pour Alexandre qui fut invité aux festivités. Cependant, c'était la première fois que le roi épousait une Macédonienne et le tuteur de cette dernière avait pour elle de grands projets. Ce fut un nouveau mariage d'alliance, mais une alliance interne cette fois.
D'après Plutarque, Olympias n'était pas le nom donné à la reine des Molosses à sa naissance. Ce nom lui aurait été donné par Philippe après la victoire de l'un de ses chars aux Jeux olympiques.
Le jour du mariage, le vin coulait à flots pour Philippe et ses invités. L'oncle et tuteur de la mariée, un général macédonien prénommé Attale, porta un toast devant l'assemblée en souhaitant que la nouvelle union engendre un héritier légitime pour le trône de Macédoine. Fou de rage, Alexandre se leva pour demander à Attale s'il venait d'insinuer qu'il était un bâtard, tout en lui jetant sa coupe. Philippe tira son épée dans l'intention d'en découdre avec son propre fils, mais l'ivresse le fit tituber. Il n'en fallait pas plus pour s'attirer les moqueries d'Alexandre. Au terme de cette querelle avinée, Olympias et Alexandre regagnèrent le royaume des Molosses.
Aujourd'hui encore, personne ne sait exactement ce que voulait dire Attale en insultant Alexandre de la sorte. Accusait-il Olympias d'adultère ? Insinuait-il qu'Alexandre, en tant que fils d'une étrangère, n'était pas un successeur légitime ? Il aurait très bien pu vouloir dire que tout enfant né de ce nouveau mariage avec sa nièce aurait été plus légitime que le fils d'Olympias. Son message reste entouré de mystère, tout comme le raisonnement qui aurait poussé Philippe à prendre le parti d'Attale dans cette offense publique à son successeur de l'époque. (À lire : La fin de l'Empire d'Alexandre le Grand précipitée par la suspicion et les complots)
MEURTRE AU PALAIS
Philippe demanda finalement pardon et Alexandre retourna en Macédoine aux côtés de sa mère. Philippe fit organiser une cérémonie fastueuse pour le mariage de la fille d'Olympias, Cléopâtre, avec son oncle et frère d'Olympias, le roi d'Épire. L'union était censée rassurer Olympias et sa famille tout en persuadant le monde hellénique que l'invasion militaire de la Perse prévue par Philippe allait se poursuivre sans autres troubles d'ordre domestique.
Lors de cette journée où les tensions semblaient apaisées, Philippe fut brutalement assassiné par un jeune noble macédonien et ancien amant, Pausanias d'Orestis. D'autres rois macédoniens avaient péri aux mains de leur famille par le passé, c'est pourquoi beaucoup soupçonnent Olympias d'avoir commandité le meurtre afin de protéger l'accession au trône de son fils. Certains pensent qu'Alexandre était impliqué dans le complot, pour se venger de l'offense qu'il avait subie, mais aussi pour prendre la place de son père à la tête de l'invasion à venir.
Bien d'autres personnes souhaitaient la mort de Philippe, en espérant probablement que l'invasion et la domination de la Macédoine sur la péninsule grecque ne dureraient pas. Pausanias a-t-il été aidé ? Par qui ? Ces questions resteront à jamais sans réponse. Il ne fallut pas longtemps à Alexandre pour éliminer la moindre menace macédonienne et réprimer toute tentative grecque de renverser la mainmise de la Macédoine. Alexandre fit assassiner Attale et, avec ou sans son consentement, Olympias fit assassiner la nouvelle femme de Philippe et son enfant.
En 334, Alexandre prit la tête d'une armée composée de Grecs et de Macédoniens en direction de l'Asie, laissant derrière lui le général Antipater veiller sur la péninsule grecque. Olympias vivait en Macédoine et la sœur d'Alexandre, Cléopâtre, toujours mariée à son oncle, en Épire.
BATAILLE D'INFLUENCE
À mesure qu'il enchaînait les victoires, Alexandre envoyait le fruit de ses pillages à Olympias qui fit de somptueuses consécrations en son honneur à Delphes et Athènes. Comme le veut la tradition, Olympias prodiguait des conseils à son fils pendant qu'il était en campagne et l'aurait averti de diverses menaces, en tête desquelles Antipater. (À lire : Comment les archéologues ont découvert le mythique site de Delphes)
Ce camée à l'effigie d'Olympias et Alexandre a été taillé au 4e siècle avant notre ère dans la sardonyx, une ravissante pierre précieuse. Musée archéologique national de Florence.
De son côté, Antipater se plaignait également à Alexandre au sujet d'Olympias, avec pareille véhémence. Chacun semblait penser que l'autre outrepassait ses fonctions. Les auteurs de l'antiquité prêtaient à Olympias un caractère difficile et un excès de zèle, affirmant qu'Alexandre tolérait le comportement de sa mère sans la laisser influer sur la politique, tout du moins au début ; à la fin de son règne, la situation était différente.
Vers 330 avant notre ère, le conflit qui opposait Antipater à Olympias obligea cette dernière à se retirer en Épire. Olympias était désormais grand-mère : sa fille Cléopâtre avait donné naissance à un fils et une fille. En 334, le mari de Cléopâtre trouva la mort en Italie lors d'une expédition militaire. Cléopâtre faisait office de tutrice et probablement de régente pour son jeune fils, sans doute en partageant le pouvoir avec Olympias.
Parallèlement, la relation entre Antipater et Alexandre commençait à se détériorer. À son retour de la campagne indienne, un vent de révolte soufflait sur le royaume d'Alexandre. Profitant de la situation, Olympias et Cléopâtre formèrent une faction contre Antipater. D'après Plutarque, les deux femmes se seraient ensuite divisé le pouvoir, Olympias à la tête de l'Épire et Cléopâtre de la Macédoine, mais les véritables conditions de cet arrangement restent incertaines.
Le site de Pella, capitale de l'ancien royaume de Macédoine, se situe dans l'actuel nord de la Grèce. Olympias vécut à cet endroit en tant qu'épouse de Philippe II avant de donner naissance à Alexandre en 356 avant notre ère.
Selon Plutarque, Alexandre aurait félicité sa mère quant à sa décision de former une faction, car les Macédoniens n'auraient jamais supporté d'être dirigés par une femme. Peu de temps après, Alexandre ordonna à Antipater de renoncer à ses fonctions et de le rejoindre à Babylone. À la mort d'Alexandre en juin de l'an 323 avant notre ère, Antipater officiait encore en tant que régent, mais plusieurs de ses fils étaient au service d'Alexandre, notamment son échanson, l'officier chargé de lui servir à boire. Cette mort soudaine poussa bon nombre de sceptiques, Olympias en tête, à soupçonner que la famille d'Antipater avait empoisonné Alexandre. Cette hypothèse fait peu d'adeptes chez les historiens, mais comme pour la mort de Philippe II, il n'y a aucune certitude. (À lire : Égypte : de nouveaux indices sur le tombeau d'Alexandre le Grand)
UN EMPIRE DANS LE CHAOS
La mort de son fils laissa Olympias dans une situation précaire. Alexandre n'avait aucun successeur évident. Outre la nomination d'un régent, il fut décidé que l'enfant à naître de Roxanne, l'une des femmes d'Alexandre, co-régnerait avec le demi-frère du défunt roi, Philippe III Arrhidée, malgré sa déficience mentale. Roxanne donna naissance à un garçon, Alexandre IV, mais la succession allait être semée d'embûches.
Les généraux d'Alexandre, les « Diadoques », se jetèrent dans une bataille acharnée pour le contrôle de l'empire. Ils se divisèrent en factions rivales, chacune à la tête d'une région différente. Antipater parvint à garder le contrôle de la Macédoine et Olympias se retira en Épire. En l'absence d'Alexandre, il lui fallait une armée pour assurer la protection de sa famille. Son neveu, Éacide, semble avoir régné à cette époque aux côtés d'Alexandre IV, jeune petit-fils d'Olympias.
À la mort d'Antipater en 319, le nouveau régent, Polyperchon, sollicita le retour d'Olympias en Macédoine pour veiller sur son petit-fils Alexandre IV. Antipater avait ignoré son propre fils, Cassandre, et nommé Polyperchon en tant que successeur. Un conflit opposait donc les deux hommes et Polyperchon avait conscience de l'utilité d'une alliance avec OIympias. Méfiante envers les diadoques, Olympias refusa pendant plusieurs années avant de céder de peur qu'Alexandre IV ne soit assassiné par Philippe III Arrhidée et son épouse, Adéa Eurydice, de la dynastie des Argéades, alliés de Cassandre.
GUERRE DE FEMMES
À l'automne 317, Olympias arriva en Macédoine à la tête d'une armée aux côtés de Polyperchon et son neveu Éacide. Adéa Eurydice alla à sa rencontre avec ses propres troupes dans ce que l'historien grec Douris de Samos qualifia de première guerre entre femmes. L'histoire raconte qu'Olympias se déguisa en Bacchante et parvint ainsi à rallier les forces macédoniennes. Elle tua Philippe et Adéa Eurydice, ainsi qu'un grand nombre de partisans de Cassandre.
Le succès d'Olympias fut de courte durée, car Polyperchon se révéla être un piètre général et Cassandre un fin stratège. Ses victoires ont fini par éroder le soutien populaire dont bénéficiaient Olympias et Alexandre IV. Cassandre assiégea Olympias à Pydna et une fois obtenue sa capitulation, il la traîna en justice, refusa de lui donner la parole et la fit exécuter. Olympias affronta la mort avec courage. La dynastie des Agéades prit fin avec son exécution, même si Cassandre patienta quelques années avant d'assassiner Alexandre IV.
Première d'une longue lignée de femmes de pouvoir, Olympias a bouleversé les monarchies hellénistiques en offrant aux femmes une nouvelle place. Dans son sillage, il est devenu naturel pour les femmes de prendre la tête d'une armée, de codiriger des royaumes et de s'engager dans une bataille féroce pour la conquête du trône. Cléopâtre III, reine d'Égypte, a co-régné avec l'un de ses fils avant de s'en débarrasser pour partager le pouvoir avec un autre qui a fini par l'assassiner en 101 avant notre ère. Cléopâtre VII, la plus célèbre des Cléopâtre, a combattu deux de ses frères pour s'emparer du trône égyptien avant de le perdre au profit de Rome en 30 avant notre ère, mettant ainsi fin à la lignée fondée par Olympias des siècles plus tôt.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.