Découvrez l'histoire de la danse de salon, cette pratique autrefois réservée aux élites
La valse, le tango, le slow fox… Ces danses emblématiques et scandaleuses ont inspiré des générations de danseurs professionnels et amateurs, transformant un loisir autrefois réservé aux élites en une activité dont tout le monde pouvait profiter.
Des personnes dansent et swinguent au Savoy Ballroom à Harlem, le 24 avril 1953. Ce quartier de New York connut une explosion des expressions culturelles au début du 20e siècle, ce qui donna naissance au Lindy Hop, toujours populaire parmi les danseurs et danseuses de swing aujourd’hui.
La piste de danse est un lieu de bons moments : les gens se mélangent entre eux, se lâchent, et s’adonnent parfois à des danses de société telles que le tango, le slow fox ou encore le jitterbug.
Autrefois réservées à l’élite, les salles de danse furent affectées par les bouleversements du 19e siècle, donnant naissance à de nouveaux types de mouvements s’inspirant de nombreuses cultures à travers le monde, et démocratisant ainsi l’accès à la piste de danse. Voici comment certains des mouvements les plus célèbres de l’histoire de la danse virent le jour et furent transmis aux danseurs et danseuses de notre époque.
« La valse à Mabille », 1870. L’arrivée de la valse scandalisa les conservateurs du 19e siècle, qui n’appréciaient pas le fait qu’elle encourage les participants à s’enlacer. Avant la valse, la danse ne permettait pas de mouvements plus proches que de tenir la main de son ou sa partenaire.
Avec son rythme entraînant à trois temps et ses gracieuses variations, la valse peut sembler être un symbole de statut social dépassé incarnant la richesse et le bon goût. Cependant, c’est en réalité dans les classes populaires que la quintessence de cette danse de salon trouve ses origines.
La valse est le plus ancien pas de danse à être reconnu dans les compétitions de danse de salon modernes. Sa création remonte aux danses de séduction des roturiers d’Allemagne et d’Autriche au 18e siècle. Tirant son nom du terme allemand walzer, qui signifie « tourner en rond », cette danse défie les mœurs sociales de la classe supérieure par la liberté de mouvement qu’elle requiert. Lorsque les aristocrates découvrirent les pas de danse de leurs domestiques en assistant à leurs fêtes endiablées, ils décidèrent de s’y essayer. Et ils y prirent goût.
Contrairement au menuet, une danse plus distante et soigneusement chorégraphiée qui était très populaire à l’époque, la valse permettait aux partenaires d’avoir un contact étroit et d’improviser, ce qui conduisit à la création de la salle de danse publique à la fin du 18e et au début du 19e siècle. Là-bas, les participants pouvaient se mêler à des inconnus et tournoyer jusqu’au petit matin sur les airs de compositeurs tels que Johann Strauss. Comme le relève l’historienne Ruth Katz, la valse offrait la possibilité de s’offrir une dose de liberté, de romantisme et de mixité sociale.
Cette danse était si populaire qu’elle suscita un véritable engouement au 19e siècle, et ce malgré les mises en garde contre son caractère trop léger et sensuel. « La valse ne permit pas seulement à différents types d’individus de se réunir sur une base égalitaire, elle rendit également possible une forme "d’évasion" de la réalité au travers du vertige palpitant offert par ses mouvements tourbillonnants, dans un monde autrement privé de sensualité », écrit Katz.
Le danseur de salon légendaire Vernon Castle soulève sa tout aussi emblématique femme et partenaire Irene dans les airs, alors qu’ils dansent devant un grand miroir dans un studio à New York, en 1914. Les mouvements gracieux du couple inspirèrent une légion de danseurs à se lancer dans le slow fox.
LE SLOW FOX
Si les salles de danse virent le jour à Vienne, elles se répandirent rapidement dans le monde entier. Qu’elles soient publiques ou privées, elles offraient aux participants la possibilité de se lâcher, ce qui lança une mode de la danse ainsi qu’une explosion de nouvelles formes de danse de société. Au début du 20e siècle, les couples avaient inventé des danses « animalières » portant des noms originaux tels que le bunny hug, le grizzly bear (ou pas de l’ours) et le turkey trot, et qui se pratiquaient souvent sur des musiques de ragtime, un précurseur du jazz créé par des artistes et auteurs-compositeurs afro-américains.
Avec ses rythmes syncopés, le ragtime donna naissance au slow fox, un pas lent-lent-vite-vite qui devint célèbre grâce à Irene et Vernon Castle, deux danseurs de salon connus pour leurs pas glamour et légers. Avec l’aide du cinéma muet et des médias, les Castle devinrent des références dans leur domaine, et de nombreux danseurs imitèrent leurs vêtements, leurs coiffures et leurs pas. Lorsque Vernon Castle fut tué dans un accident tragique d’avion pendant la Première Guerre mondiale, le slow fox s’était déjà bien installé sur les pistes de danse du monde entier.
Rudolph Valentino danse le tango avec la danseuse espagnole Beatrice Dominguez devant une salle pleine dans une scène du film « Les Quatre cavaliers de l’apocalypse », sorti en 1921. Le film contribua à déclencher un engouement pour le tango.
LE TANGO
Au début du 20e siècle, un nouveau pas venu tout droit d’Argentine provoqua un nouvel engouement dans le monde de la danse. Le tango, qui vit le jour dans les années 1880 dans les bâtiments de villes portuaires pauvres du pays, mélangeait des caractéristiques des danses africaines et européennes. Sensuel et scandaleux, ce type de danse demandait aux partenaires de se rapprocher d’une manière qui défiait les normes sociales de l’époque. L’Argentine étant alors dominée par les hommes, le tango était souvent pratiqué par deux hommes en privé, et devint ainsi un pas emblématique de la culture gay, explique Michael Trenner, professeur et historien spécialisé dans cette danse, à Quartz. Il se répandit ensuite à Paris et à Londres, déclenchant une obsession pour le tango qui finit également par gagner les côtes américaines.
Dans les années folles, le tango était connu dans le monde entier, notamment grâce au film Les Quatre cavaliers de l’apocalypse sorti en 1921, dans lequel l’acteur Rudolph Valentino dansait le tango avec la danseuse espagnole Beatrice Dominguez. Cette danse donna aux hommes et aux femmes une occasion sans précédent de bouger leur corps sur des rythmes érotiques, dont le caractère scandaleux ne fit que captiver aussi bien les danseurs que le public.
Lee Moates et Tonita Malau montrent leurs mouvements de danse lors d’un concours de Lindy Hop au Savoy Ballroom de Harlem, le 24 avril 1953. Ce style de danse était apparu quelques dizaines d'années plus tôt, pendant la Grande Dépression, lorsque des marathons de danse permettaient de se disputer des récompenses monétaires.
LE LINDY HOP
Grâce à Hollywood, les cinéphiles avaient la possibilité de voir des danseurs professionnels comme Fred Astaire et Ginger Rogers exécuter des versions raffinées et glamours des danses de société qu’ils connaissaient bien. Toutefois, les danseurs amateurs ne se tournèrent pas uniquement vers le grand écran pour trouver de l’inspiration. La culture afro-américaine eut une profonde influence sur la danse de salon américaine, et donna naissance à l’un des styles de danse les plus célèbres du 20e siècle : le Lindy Hop.
Ces nouveaux pas de danse furent créés à partir d’une autre tendance de l’époque : le marathon de danse. Dans les années 1920 et 1930, période de la Grande Dépression, les danseurs tentèrent d’établir des records des plus longues danses, se balançant sur la piste pendant des heures, voire des jours ou des mois, dans l’espoir de remporter des prix monétaires, ou la célébrité. « Plus le concours était long, plus les enjeux étaient élevés », écrit Carol Martin, historienne de la danse.
En 1928, George « Shorty » Snowden et sa partenaire Mattie Purnell participaient à un marathon de danse de 68 heures à Harlem lorsqu’ils se lâchèrent la main, violant ainsi une règle de la compétition. Pour masquer la faute, Snowden effectua un rapide jeu de jambes, puis ramena Purnell à lui par la main. L’innovation plut à la foule et, bien que l’on ne sache pas exactement qui décida de la baptiser ainsi, le nom « Lindy Hop » fut donné à cette nouvelle danse en hommage à Charles Lindbergh, un aviateur alors célèbre pour ses « sauts » en avion au-dessus de l’Atlantique.
Cette danse était également appelée le jitterbug et donna naissance à d’autres formes de swings. Gymnastique, et même acrobatique, cette danse dynamique fut empruntée par des danseurs blancs. Lorsque la mode du swing s’estompa après la Seconde Guerre mondiale, le Lindy Hop survécut pendant des décennies grâce aux danseurs afro-américains, et ce jusqu’à ce qu’une résurgence du swing lui offre une nouvelle popularité dans les années 1990.
Le duo de Miami Beach, Lucille et Tony Colon, danse le cha-cha-cha, une danse latine de la famille du mambo connue pour ses torsions, ses tours et ses rythmes entraînants.
LE CHA-CHA-CHA
Une autre danse emblématique, le cha-cha-cha, trouve ses origines à Cuba, auprès du violoniste, compositeur et chef d’orchestre Enrique Jorrín. Dans les années 1950, les danses cubaines comme le mambo et la rumba gagnèrent en popularité sur les pistes américaines et, au début de la décennie, Jorrín s’inspira d’un genre musical plus ancien, le danzón, qui reposait sur un rythme en 2/4 et présentait des influences afro-caribéennes.
La danse en trois parties devint la danse officielle de Cuba. Cependant, Jorrín la transforma en quelque chose de nouveau lorsqu’il ajouta un nouveau rythme à sa dernière partie dans certains spectacles, à la fin des années 1940. Les pieds des danseurs traînaient alors sur le sol en un triple pas énergique, un mouvement que le chef d’orchestre appelait le « cha-cha-cha » et qui créa un nouvel engouement, à la fois pour la musique et pour la danse.
Bien que de nombreuses formes de danse plus anciennes aient perdu de leur popularité au fil du temps, on continue de retrouver le cha-cha-cha dans les compétitions de danse de salon et dans les clubs modernes, où sa cousine, la salsa, a également trouvé sa place. Aujourd’hui, les immigrants qui introduisirent le cha-cha-cha et tant d’autres danses populaires de la fin du 19e et du 20e siècle aux États-Unis continuent de perpétuer ces traditions, et s’assurent que le dip, le swing et le fast-stepping ne disparaîtront pas de sitôt des pistes de danse.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.