Les secrets des cercueils de plomb de Notre-Dame
Découverts sous le transept de Notre-Dame au cours de fouilles préventives, deux cercueils de plomb ont récemment été ouverts par les archéologues de l'Inrap. Une découverte majeure qui pourrait apporter de nombreuses informations aux chercheurs.
À leur arrivée à l'Institut médico-légal (IML) de Toulouse, les cercueils ont été soigneusement nettoyés au pinceau avant leur ouverture. Au premier plan, on peut ici voir le cercueil du chanoine de Notre-Dame, Antoine de la Porte, et au second plan, celui d'un défunt inconnu surnommé « Le Cavalier ».
La découverte commence par une tragédie culturelle. Le 15 avril 2019 à 18 h 20, la cathédrale de Notre-Dame prend feu au milieu de Paris et brûle pendant près de quinze heures. Cette catastrophe a entraîné l’effondrement tragique de la flèche conçue par Eugène Viollet-le-Duc, et ne s’est achevée que le lendemain matin, grâce au travail acharné de plus de 600 pompiers.
Trois ans plus tard, le temps de la reconstruction est arrivé. Après une phase de sécurisation qui aura duré deux ans, les travaux de rénovation de la cathédrale ont commencé en septembre 2021 et devraient se poursuivre jusqu’en 2024. Face à l’immense valeur patrimoniale des lieux, la nécessité d’effectuer des fouilles préventives s’est néanmoins rapidement fait sentir.
« Pour reconstruire la flèche, la maîtrise d’œuvre devait décaisser une partie du sol de la croisée pour installer une dalle de fondation qui doit supporter 700 tonnes d’échafaudages », explique Christophe Besnier, responsable des fouilles de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). « Même si l’impact au sol était limité à 40 centimètres, il y a eu une prescription de fouilles […] au vu de l’importance des lieux. »
Bien que limitées à quelques mètres carrés, les fouilles du transept ont permis la découverte de nombreux artefacts. Parmi eux, les restes de l’ancien jubé médiéval de Notre-Dame de Paris et plusieurs sépultures en bois, mais aussi, et surtout, deux mystérieux cercueils de plomb.
Ces derniers ont été présentés à la presse le 8 décembre dernier et, en plus de révéler de précieuses informations sur l’identité des deux défunts, les premières analyses ouvrent de fascinantes pistes de recherche.
De nombreux résidus végétaux ont été retrouvés dans les deux cercueils, surtout dans celui du Cavalier. Les analyses en cours permettront d'identifier leur nature et potentiellement leur usage.
Plaque d'identification de la sépulture d'Antoine de la Porte, chanoine de Notre-Dame de Paris. Il s'agit de l'un des trois types d'indices archéologiques ayant permis par le passé l'identification formelle de défunts enterrés à Notre-Dame.
LE CHANOINE ET LE CAVALIER
Les deux artefacts ont été envoyés à l’Institut médico-légal de Toulouse pour y être étudiés. En effet, les cercueils étant en plomb, les opérations d’ouverture ont dû être effectuées à la cisaille et auraient ajouté plus de microparticules dans l’atmosphère d’un site déjà lourdement contaminé. Les conditions du chantier étaient par ailleurs incompatibles avec une étude détaillée des sépultures.
« L’un des cercueils était encaissé à 1 mètre de profondeur, et il était hors de question que les scientifiques travaillent autour », a présenté Christophe Besnier au cours de la conférence de presse. « L’IML [de Toulouse] a été choisi car il y avait eu un précédent de fouilles archéologiques […] il y a quelques années, lors d’une fouille à Rennes sur le cercueil d’une noble du 17e siècle. »
Selon les historiens et anthropologues, la présence des deux défunts est loin d’être un hasard : situés à la croisée du transept, ils ont été enterrés dans un lieu d’inhumation privilégié et réservé à une élite. Ce détail est particulièrement important pour les historiens, chaque inhumation étant soigneusement recensée et permettant, à condition d’avoir une datation précise, de retrouver facilement l’identité des morts.
« Les évêques et archevêques sont traditionnellement enterrés dans le cœur », précise M. Besnier. « Les sépultures les plus recherchées soit par les chanoines, soit par la haute société, se situent au plus près, à la croisée du transept. »
C’est dans cette catégorie que rentre l’un des deux défunts. Identifié comme le chanoine Antoine de la Porte par les archéologues, il a été enterré au pied de l'ancien jubé, juste en dessous de la croix qui ornait ce dernier, et dans l’axe parfait de la nef et du portail central de la cathédrale.
Trois éléments archéologiques ont permis de confirmer formellement son identité. Le premier est une grande plaque de plomb, placée directement sous la dalle du caveau, et portant une épitaphe latine. Le deuxième était une petite plaque de bronze scellée directement sur le cercueil, déclarant l’identité du chanoine accompagnée de la date de sa mort, le 24 décembre 1710, à 83 ans. Le troisième élément était un ensemble : trois médailles à son effigie, elles aussi déposées sur le cercueil.
Le deuxième défunt, quant à lui, reste pour le moment non identifié. Des deux cercueils, le sien est celui dont les formes humaines sont les plus marquées : on distingue clairement ses hanches, sa taille et ses épaules. En raison de cette distinction, les archéologues se sont interrogés sur le sexe du corps avant l’ouverture du cercueil.
Bien plus mystérieux que son voisin, ce défunt a été retrouvé dans des couches archéologiques datant du 14e au 17e siècles, une fourchette chronologique bien trop large pour espérer retrouver son nom dans les registres, faute d’autres indices archéologiques. De plus, comme le prouve sa position de biais sur des remblais, il est clair que le cercueil a été déplacé.
Les archéologues lui ont donné le surnom de « Cavalier », en raison d’une déformation osseuse de ses hanches que l’on retrouve chez des personnes qui pratiquent l’équitation dès leur plus jeune âge. Malgré un âge proche de la trentaine, les scanners révèlent également une fin de vie médicalement difficile, avec des traces de lésions osseuses dues à la tuberculose et à la méningite.
À L'INTÉRIEUR DES CERCUEILS DE PLOMB
Une fois les cercueils transportés à l’IML de Toulouse et un nettoyage minutieux effectué, les protocoles d’ouverture ont pu être mis en place. Des relevés par photogrammétrie ont été réalisés à chaque étape de l’ouverture dans le but de créer des modèles 3D des deux sépultures ainsi que des orthophotographies, dépourvues des déformations dues aux distances.
La découpe des cercueils a ensuite été réalisée de deux manières différentes : la dernière demeure du cavalier étant trop épaisse pour une simple cisaille, elle a nécessité l’usage d’une disqueuse. Plus de 200 prélèvements ont également été réalisés, localisés sur les orthophotographies, et envoyés à l’analyse.
Des morceaux de plomb, de tissus humains, d’os et de différents textiles retrouvés dans les deux tombeaux ont ainsi pu être récupérés et examinés ; à la clé, de nombreuses informations sur les méthodes d’inhumation, mais également sur la vie des deux défunts.
« Une étude complète des méthodes de montage des cercueils sera réalisée […]. Ils n’ont pas été fabriqués de la même façon et n’ont pas le même alliage », explique Camille Colonna, anthropologue de l’Inrap en charge des protocoles d’ouverture. « [Seront aussi étudiés] les textiles retrouvés dans les cercueils […] et les méthodes d’embaumement. »
Le but sera alors d’étudier la nature des textiles présents et de déterminer s’il s’agissait de vêtements ou de linges mortuaires. Les débris végétaux retrouvés dans les sépultures, et plus particulièrement dans la tombe du cavalier, représentent également des indices archéologiques importants.
Ils pourraient en effet permettre d’identifier la nature des matériaux végétaux utilisés pour remplacer les organes du défunt pendant l’embaumement.
Les analyses chimiques pourraient quant à elles permettre d’identifier les matériaux minéraux et d’en apprendre davantage sur les substances utilisées pour préserver les corps.
« Le rendu du rapport complet sera fait en juillet 2024 […], c’est le temps nécessaire pour recevoir toutes les analyses », précise Christophe Besnier. « Nous en recevrons certaines assez rapidement, comme la datation au carbone 14 […], mais d’autres seront plus longues, car elles relèvent du travail de spécialistes, et car il y a beaucoup d’échantillons. »
Plusieurs techniques d'études novatrices ont été utilisées sur les deux défunts de Notre-Dame de Paris, dont certaines de manière inédite, comme ici, avec l'utilisation de fluorescence sous ultraviolets.
DES TÉMOINS DE LEURS ÉPOQUES
Un autre aspect important de l’analyse est l’étude des corps eux-mêmes, qui s’est effectuée grâce à l’utilisation de différents scanners. L’analyse s’est faite en trois axes : les pratiques funéraires, le vécu des défunts et la recherche de données culturelles et sociales de l’époque.
« [Ces défunts] étaient [des personnes] importantes, y compris dans leur façon d’être inhumés », présente le professeur Éric Crubézy, médecin et anthropologue. « On pourra donc les inclure dans une évolution de ces tombes […], et également étudier l’évolution biologique de leurs pathologies. »
Pour ce faire, les scientifiques ont pu compter sur des technologies récentes, dont des méthodes inédites d’utilisation de la fluorescence se basant sur la médecine légale. Une nouvelle caméra a été mise au point pour permettre ce type d’observation en plein jour, et ce sans avoir recours à la lumière noire.
Les anthropologues ont ainsi pu détecter des traces de tartre, mais également de poils résiduels sur les crânes des défunts.
« L’état dentaire [d’Antoine de la Porte] est étonnant. S’il a perdu toutes ses dents du dessous, ses dents du dessus sont dans un état remarquable pour un sujet de cet âge […] et montrent des traces de brossage », explique le professeur Crubézy « [En ce qui concerne le cavalier], il a perdu presque la totalité de ses dents quand il avait la trentaine, dans les un à deux ans qui ont précédé son décès, à cause de son état inflammatoire. »
Ces détails médicaux précis pourraient permettre de faciliter un peu plus l’identification du cavalier.
Un autre détail sur le squelette de l’inconnu intrigue : une déformation crânienne, dite « toulousaine », qui serait due au port de bonnets serrés par les enfants en bas âge de la classe noble. Le crâne présente également la particularité d’avoir été scié lors de l’embaumement.
La fouille du transept à été autorisée afin de sécuriser une zone destinée à acceuillir les échaffaudages utilisés pour la reconstruction de la flèche. Ici, l'ouverture du caveau du chanoine Antoine de la Porte.
TRAVAILLER À LA LUMIÈRE DES VITRAUX
D’autres sépultures ont également été retrouvées sur le même site aux côtés des deux tombeaux, contenant par exemple des cercueils en bois et d’autres échantillons de tissus, parfois très précieux.
« Au fond de l’un des caveaux funéraires, qui a été vidé au 19e siècle, on a retrouvé des restes de textiles brodés au fil d’or », raconte Christophe Besnier. « On est sur quelque chose de très différent des cercueils de plomb, dans lesquels les tissus semblaient beaucoup plus sobres. »
Lorsqu’elle a été scannée dans le cadre d’un diagnostic effectué à la suite de l’incendie, la zone n’avait pas montré un potentiel archéologique à la hauteur des découvertes qui y ont été faites.
« Nous n’avions pas détecté d’anomalies à la croisée du transept, en dehors des réseaux de chauffages du 19e siècle. En général, cela est dû à la présence d’une couche argileuse […], mais quoi qu’il en soit, nous étions prêts à trouver des sépultures », se souvient l’archéologue. « Notre-Dame est un lieu de culte et de tourisme très fréquenté, des fouilles sur place sont des occurrences exceptionnelles. »
Autre découverte inattendue de ces fouilles : les restes du jubé de la cathédrale, qui avait été abattu lors des rénovations de Viollet-le-Duc. Selon les fouilles, ses débris ont été enterrés sur place.
« On a retrouvé plus de 1 000 fragments du jubé […]. Il y a une quantité phénoménale d’éléments sculptés très variés datant du début du 13e siècle […] et, en plus, il a conservé une grande part de sa polychromie. C’est la seule conservée de cette époque, c’est exceptionnel », s’enthousiasme le responsable des fouilles. « On ne connaissait que très peu de choses de ce jubé médiéval, c’est donc une découverte majeure pour l’histoire de l’art et de Notre-Dame. »