Comment expliquer l'esclavage aux enfants ?

Selon les experts, il est essentiel d'adapter à l'âge de l'enfant la manière dont on aborde le sujet de l'esclavage. Il est également important de faire comprendre aux plus jeunes en quoi ce système et son héritage ont façonné nos sociétés modernes.

De Cassandra Spratling
Publication 31 janv. 2023, 17:18 CET
Father and Son - Talking to Kids About Slavery

Un père et son fils se sont rendus à une exposition sur l’esclavage au Musée national d’histoire et de culture afro-américaines à Washington, DC.

PHOTOGRAPHIE DE Ruddy Roye, National Geographic Image Collection

L’année dernière, Chandra et Brandon Carr ont visité avec leurs enfants le Charles Wright Museum of African American History, à Détroit : une fois devant la réplique d’un navire négrier rempli de mannequins taille réelle représentant des esclaves noirs enchainés, la mine de leur fille de six ans s’est assombrie et elle a demandé à partir. 

« Je me souviens l’avoir prise dans mes bras et lui avoir dit qu’elle avait le droit d’être triste, et que ce qui était arrivé à ces personnes n’était pas juste », raconte Chandra Carr, administratrice au sein de la Wayne State University. Quelques jours plus tard, les Carr, des parents afro-américains de la banlieue de Détroit, ont eu une conversation avec leurs enfants au sujet des horreurs de l’esclavage, mais aussi des efforts héroïques menés notamment par les populations noires pour lutter contre celle-ci ; et en quoi leurs efforts pour rendre la vie plus juste pour tout un chacun se poursuivaient aujourd’hui.

Les enfants ne sont jamais prêts à être confrontés à un sujet comme l’esclavage. Adapter le sujet à l’âge de l’enfant pour qu’il ou elle saisisse le contexte de sa mise en place (à l’époque comme aujourd’hui) peut l’aider à développer son empathie et son sens critique. En se concentrant sur la longue histoire de l’esclavage aux États-Unis, voici comment les experts préconisent d’aborder ce sujet complexe.

 

ADAPTER LE SUJET À L'ÂGE DE L'ENFANT

L’éducatrice Rebekah Gienapp, autrice de Raising Antiracist Kids: An Age-by-Age Guide for Parents of White Children (littéralement, « Enfants non racistes : un guide âge par âge pour les parents d’enfants blancs »), encourage le fait d’avoir des conversations sur l’esclavage dès la maternelle, voire encore plus tôt si le sujet arrive sur la table. Plus un enfant est grand, plus les conversations peuvent être profondes et explicites.

Beverly Daniel Tatum, présidente du Mount Holyoke College, dans le Massachusetts, et psychologue spécialisée dans les questions liées à l’ethnie et à l’éducation, affirme par exemple qu’il est impératif, avec les enfants de 5 ans ou moins, d’insister sur le fait que l’esclavage a eu lieu « il y a très longtemps ». À cet âge-là, les enfants ont du mal à faire la distinction entre ce qu’il s’est passé il y a des siècles et les événements d’aujourd’hui et peuvent donc, par conséquent, craindre que quelque chose de similaire n’arrive à leur propre famille.

Tatum recommande, avec les enfants de tout âge, d’admettre que ce passé est douloureux tout en exposant un avenir meilleur.

« Reconnaissez qu’il est triste que ces personnes aient été traitées ainsi », explique Tatum, également autrice de livres sur le sujet comme Why Are All the Black Kids Sitting Together in the Cafeteria? (littéralement « Pourquoi tous les enfants noirs s’assoient-ils à la même table à la cantine ? »). « La bonne nouvelle, c’est que nous vivons à une époque dans laquelle nous sommes plus conscients de ces sujets. »

 

ATTENTION AUX TERMES EMPLOYÉS

Évitez les termes déshumanisants ou qui renforcent la supériorité d’une ethnie sur l’autre.

Par exemple, au lieu de dire « esclaves », employez l’expression « personne réduite en esclavage » : cela aide les enfants à mieux comprendre que ces personnes avaient une vie et une personnalité, même si elles étaient asservies. Plutôt que de parler des « maîtres ou maîtresses d’esclaves », utilisez le mot « esclavagistes », qui n’insinue aucune forme de supériorité sur les personnes réduites en esclavage.

« En utilisant un langage précis, vous aidez les enfants à comprendre que l’esclavagisme était un système », explique Gienapp, qui était par ailleurs volontairement oppressif.

 

PARLEZ D'ETHNIE, PAS UNIQUEMENT D'ESCLAVAGE

Les enfants remarquent et commentent les différences ethniques et raciales à un jeune âge. Les experts conseillent aux parents de ne pas fuir ces conversations : ainsi, leur introduction à l’histoire des communautés noires ne se fera pas au travers de l’histoire de l’esclavage.

« Faites en sorte d’avoir de nombreuses conversations sur l’ethnie qui n’ont pas de lien avec ce passé traumatique et difficile », souligne Gienapp. Autrement, les enfants pourraient penser que l’histoire des personnes noires ne se résume qu’à la violence et à la tristesse.

 

METTEZ EN AVANT L'HISTOIRE NOIRE D'AVANT L'ESCLAVAGE

Comprendre l’histoire des populations noires en dehors de l’esclavage constitue une leçon primordiale à la fois pour les enfants et pour les adultes, explique la journaliste Nikole Hannah-Jones, récompensée du prix Pulitzer et autrice du livre pour enfants The 1619 Project: Born on the Water, inspiré de sa série « The 1619 Project » pour le New York Times.

« Parfois, en racontant l’histoire de l'esclavage, on déshumanise d’autant plus nos ancêtres », affirme Hannah-Jones. « Pour aider les enfants à comprendre tout ce que l’on a perdu, il faut leur montrer tout ce que l’on avait avant. »

Born on the Water, livre coécrit avec Renee Watson, raconte par exemple les vies des Africains avant qu’ils ne soient réduits en esclavage. Les parents peuvent également raconter la vie d’autres cultures comme l’Empire du Mali en Afrique centrale et occidentale, dont les chefs supervisaient de complexes systèmes politiques et des centaines de milliers de personnes du 13e au 16e siècle.

« Il faut que tous les enfants sachent que les personnes réduites en esclavage avaient une histoire et une culture en Afrique », soutient Tatum.

 

DONNEZ AUX ENFANTS UNE VISION D'ENSEMBLE

Les enfants entendent souvent parler de la vie quotidienne des personnes réduites en esclavage, c’est pourquoi il est nécessaire, selon Tatum, de leur parler également de la manière dont elles luttèrent contre leur asservissement. Ainsi, les enfants ne s’imagineront pas que ces personnes étaient des victimes passives.

En leur peignant un tableau plus complet, on évite aussi qu’ils ne pensent que tous les Blancs étaient de mauvaises personnes. « Les esclavagistes se rendaient-ils à des marchés aux esclaves et jugeaient des êtres humains comme s’ils étaient des marchandises ? Oui, ça arrivait. Mais certains Blancs ne trouvaient pas ça juste. Certains étaient impliqués dans le Chemin de fer clandestin pour aider les gens à s’échapper. »

Aussi horrible que fût l’esclavage, les enfants devraient aussi savoir que ce système a donné lieu à une quête courageuse pour la survie.

« Cette histoire est patriotique et triomphale », explique Hannah-Jones. « Notamment car elle raconte comment ces personnes [...] ont été arrachées à leurs terres, sont arrivées ici et se sont battues pour l’égalité de tous les Américains. »

 

CONNECTEZ LE PASSÉ AU PRÉSENT

Les effets de l’esclavage aux États-Unis ne se sont pas arrêtés après la Guerre de Sécession, et les enfants doivent comprendre de quelle manière ses conséquences durables se manifestent encore aujourd’hui. Voici un exemple d'échange que vous pourriez avoir avec un enfant pour l’aider à comprendre les disparités économiques qu’il serait susceptible de remarquer en grandissant : 

« Les personnes réduites en esclavage n’étaient pas payées et ne pouvaient donc pas s’enrichir. Les éduquer était aussi illégal. »

« Pendant ce temps, les personnes qui profitaient de ce travail non rémunéré, elles, gagnaient de l’argent et pouvaient donc acheter plus de biens et inscrire leurs enfants dans de bonnes écoles. » 

« Après l’esclavage, les personnes noires avaient très peu d’argent pour subvenir à leurs besoins, et n’avaient toujours pas accès à l’éducation. Elles avaient peu d’héritage à transmettre à leurs enfants et leurs petits-enfants. Les esclavagistes, eux, avaient de l’argent à transmettre. »

« Aujourd’hui, les personnes noires sont plus susceptibles d’être pauvres, sous-éduquées, en moins bonne santé et de vivre dans des logements modestes que les personnes blanches. »

Selon Tatum, expliquer aux enfants l’histoire de l’esclavage ainsi que les lois Jim Crow mises en place après l’abolition de l’esclavage peut les aider à contextualiser les moins bonnes conditions dans lesquelles de nombreuses personnes vivent aujourd’hui. 

« Si l’on ne parle pas du racisme structurel qui a mené au contexte actuel, les enfants pourraient penser que les disparités sont la conséquence des erreurs des personnes qui souffrent de ces disparités », affirme-t-elle.

La Walt Disney Company est le propriétaire principal de National Geographic et de Hulu.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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