Comment l’astronomie a-t-elle aidé les Afro-Américains à survivre ?
La connaissance des étoiles était indispensable pour les esclaves africains, que ce soit pour suivre les saisons ou trouver le chemin de la liberté. Aujourd’hui, leurs descendants se réapproprient ces liens avec la science.
La Voie lactée scintille au-dessus du lac Horseshoe partiellement asséché, à Mammoth Lakes, en Californie.
Les Afro-Américains ont toujours eu de bonnes raisons d’avoir peur de la nuit. Dans le sud ségrégationniste des États-Unis, en application des lois Jim Crow, les sundown towns (villes du coucher de soleil en français) ont instauré des couvre-feux pour les personnes de couleur, n’hésitant pas à brandir la menace de la violence et à passer à l’acte si ces dernières étaient encore présentes dans les rues au crépuscule.
Mais les personnes noires ont également trouvé du réconfort dans le ciel étoilé. « Le fait que les gens étaient séparés de force est l’une des choses les plus déchirantes concernant l’esclavage aux États-Unis, confie l’astronome Moiya McTier. Je pense qu’ils devaient trouver un certain réconfort en sachant que, quel que soit l’endroit où ils se trouvaient, ils voyaient tous les mêmes étoiles ».
Femme noire évoluant dans un domaine composé à 90 % de personnes blanches, Moiya étonne dans le monde de l’astronomie. Selon un article paru dans le magazine Forbes en 2020, on dénombre seulement 2 % d’astronomes noirs aux États-Unis.
Alors, comme bon nombre de ses collègues, la scientifique espère que la popularité grandissante de l’observation des étoiles constatée à la suite de la pandémie et le fait que des destinations promeuvent l’apprentissage de l’astronomie auprès d’un public de tout âge feront bouger les lignes.
DES LIENS HISTORIQUES
Le ciel étoilé avait une signification bien particulière pour les ancêtres des esclaves américains. La connaissance des étoiles et des planètes était l’une des rares choses que les ouest africains arrachés à leur continent ont pu emporter avec eux de l’autre côté de l’Atlantique.
Les constellations étaient à l’origine de leçons et de récits culturels importants, transmis de génération en génération. La tradition orale du conte est ainsi devenue un outil essentiel pour Harriet Tubman, Josiah Henson et tant d’autres, qui chantaient des indications détaillées pour guider les esclaves vers le Chemin de fer clandestin et la liberté. C’était notamment le cas de la célèbre chanson « Follow the Drinking Gourd » (« Suis la louche à boire » en français), l’expression « drinking gourd » étant le nom de code de la constellation de la Grande casserole, laquelle était utilisée pour trouver Polaris, ou l’étoile Polaire.
Savoir reconnaître les astres était indispensable à la survie des esclaves et des Africains libres qui travaillaient la terre aux États-Unis, puisque cela les aidait à déterminer le temps, la météo et les saisons. « Ils devaient avoir de nombreuses connaissances en astronomie d’observation pour savoir quand semer les cultures. On ne leur apprenait pas ces choses qu’ils étaient forcés de faire », souligne Moiya McTier, qui a étudié l’astronomie et le folklore à l’université d’Harvard.
Ce savoir ne date pas des débuts de l’esclavage ; il n’a pas non plus pris fin avec les lois Jim Crow. Selon Moiya McTier, les Grecs seraient à l’origine de l’identification des constellations que nous reconnaissons aujourd’hui dans le ciel, bien qu’ils se soient sans doute aidés de la mythologie égyptienne ou babylonienne.
SUSCITER L’INTÉRÊT DES JEUNES AFRO-AMÉRICAINS
En dépit de tout cela, rares sont les astronomes noirs de renom. Si vous avez peut-être entendu parler de Neil DeGrasse Tyson, le nom de Benjamin Banneker ne vous évoquera sans doute pas grand-chose. Astronome autodidacte, cet homme libre noir né au 18e siècle a écrit l’un des premiers véritables almanachs de l’histoire contemporaine. Il a également prédit une éclipse solaire et a mené des travaux d’arpentage qui ont conduit à l’élaboration du plan d’urbanisme de la ville de Washington.
Encourager un plus grand nombre d’astronomes amateurs et jeunes afro-américains à marcher dans les pas de Banneker et Tyson est devenu une priorité pour Ashley Walker, étudiante en sciences atmosphériques à l’université Howard. En 2020, pendant le Black History Month (Mois de l’histoire des Noirs), elle a lancé le hashtag #blackinastro pour mettre en contact les Afro-Américains passionnés d’astronomie. Cette initiative a depuis pris de l’ampleur et a conduit à la fondation de Black in Astro, une organisation de réseautage qui compte près de 6 000 abonnés sur Twitter à ce jour, dont l’objectif est d’inspirer et d’aider les étudiants noirs en astronomie.
« Nous avons des astronomes, des scientifiques planétaires, des astronautes dans l’espace, des chefs de file de l’industrie, des entrepreneurs et des avocats en droit spatial noirs, et ils sont formidables », énumère Ashley Walker.
L’intérêt croissant pour l’astronomie en tant que loisirs pourrait aider à pallier le manque de diversité dans le milieu. Savoir faire la différence entre la Grande Ourse et la Petite Ourse n’a jamais été aussi facile. Les applications telles que Skyview et Sky Safari, ou encore les sites Internet comme le site britannique Go Stargazing, constituent de véritables guides de poche célestes portables.
Les amateurs d’astronomie peuvent aussi se rendre dans les 195 réserves internationales de ciel étoilé que compte la planète pour y observer des pluies de météorites et les anneaux de Saturne dans des conditions optimales, sans forcément faire une croix sur le confort. Ainsi, à Phoenix, en Arizona, l’Adero Hotel se trouve au sein de la réserve, ce qui vous permet d’admirer les étoiles depuis le balcon de votre chambre. Au Four Seasons Scottsdale, un astronome de la NASA propose des conférences toutes les semaines (contactez l’hôtel pour obtenir la programmation). Enfin, les projets de sciences collaboratives tels que Zooniverse encouragent le partage d’observations avec des scientifiques, ce qui peut avoir un impact sur de nouveaux apprentissages.
Ces activités, espère-t-on, pourraient réveiller la curiosité et susciter très tôt un intérêt pour l’astronomie chez les jeunes afro-américains notamment, dont le décrochage dans les filières STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), essentielles pour faire carrière dans ce domaine scientifique, est disproportionnellement élevé par rapport aux autres groupes.
« Nous devons stopper cette hémorragie » d’étudiants en situation de décrochage, déclare Moiya McTier. « L’une des façons de le faire, c’est d’expliquer très clairement que les personnes noires, les Afro-Américains et nos ancêtres africains d’avant la traite des esclaves ont beaucoup apporté à l’astronomie ».
Contributrice régulière à National Geographic, Heather Greenwood Davis est journaliste indépendante et spécialiste voyages à la télévision américaine. Retrouvez-la sur Instagram et sur Twitter.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.