Lincoln a été assassiné sous leurs yeux... leur supplice ne faisait que commencer.
Pour Henry Rathbone et Clara Harris, la soirée d’avril où Abraham Lincoln fut assassiné alors qu'il assistait à une pièce de théâtre ne fut que le début d’une tragédie qui allait les poursuivre jusqu’à la mort.
L’assassinat d’Abraham Lincoln fut une tragédie nationale. Mais ce fut aussi le début d’une tragédie personnelle pour Henry Rathbone et Clara Harris qui accompagnaient ce soir-là les Lincoln au théâtre Ford où sont aujourd’hui encore exposés bon nombre des effets que Lincoln avait dans sa poche au moment de sa mort.
Si ses vacances s’annonçaient reposantes, Henry Rathbone était tout sauf détendu. Nous étions au mois de décembre 1883 et lui et sa famille – son épouse Clara Harris et leurs trois jeunes enfants – séjournaient en Allemagne.
Ainsi qu’en ont témoigné plus tard des amis et membres de leur famille, la crainte d’une catastrophe imminente ne les quittait pas, la crainte d’une catastrophe semblable à celle qu’ils avaient connue voilà près de vingt ans. En effet, en 1865, Henry Rathbone et Clara Harris étaient assis dans la loge présidentielle du théâtre Ford lorsque Abraham Lincoln fut assassiné.
Ce soir-là, Henry Rathbone avait été incapable de sauver le président américain, un épisode qui le tourmentait encore. Pour le couple, la violence de cette nuit-là ne fut toutefois qu’un préambule.
GAGNER L’AMITIÉ DES LINCOLN
Témoins de l’un des drames les plus marquants de l'histoire américaine, Henry Rathbone et Clara Harris étaient demi-frère et demi-sœur et venaient tous deux des familles les plus éminentes d’Albany, capitale de l’État de New York. À l’âge adulte, leurs liens devinrent des liens d’amour et ils se fiancèrent.
En 1865, tous deux habitaient Washington. Henry Rathbone, qui avait officié dans l’armée américaine lors de certaines des batailles les plus sanglantes de la guerre de Sécession, occupait un poste administratif dans la hiérarchie militaire, tandis que Clara Harris était arrivée dans la capitale après que son père, Ira Harris, devint sénateur de l’État de New York en 1861.
En sa qualité de fille de sénateur, Clara Harris côtoyait la haute société washingtonienne et comptait parmi ses amies une certaine Mary Todd Lincoln. Ainsi qu’elle l’écrivit en avril 1865, elle et la Première dame « avaient l’habitude de se faire conduire à l’opéra et au théâtre ensemble ».
Il n’était pas rare que les Lincoln invitent Clara Harris et son fiancé à assister à une pièce de théâtre. Celle jouée ce 14 avril était intitulée Our American Cousin.
Le jeune couple n’était toutefois pas le premier choix des Lincoln ce soir-là. En effet, le couple présidentiel avait initialement prévu de se faire accompagner par Ulysses S. Grant et par son épouse Julia. Mais ces derniers se désistèrent et les Lincoln durent leur trouver des remplaçants au pied levé.
Leur choix se porta finalement sur Clara Harris et Henry Rathbone qui acceptèrent avec joie l’invitation. La joyeuse troupe arriva au théâtre Ford à 20h30.
UNE SOIRÉE AU THÉÂTRE
Mary Todd Lincoln se reposa contre son époux et lui laissa lui tenir la main, qu’importe qu’ils ne fussent pas seuls dans la loge présidentielle.
« Que va penser Miss Harris du fait que je m’accroche ainsi à vous ? », demanda Mrs. Lincoln à son époux.
« Elle n’en pensera rien », la rassura-t-il.
Il s’agit peut-être là des derniers mots d’Abraham Lincoln.
À 22h30 environ, John Wilkes Booth se glissa dans la loge présidentielle et tira une balle dans la tête du président américain.
Henry Rathbone réagit aussitôt. Il tenta d’appréhender l’assassin, mais ce dernier sortit un couteau et lui lacéra le bras, lui sectionnant une artère. Le sang de Henry Rathbone jaillit sur sa fiancée, et John Wilkes Booth réussit à s’enfuir.
Cette illustration représentant l’assassinat d’Abraham Lincoln montre Clara Harris assise à côté de Mary Todd Lincoln alors que son fiancé, Henry Rathbone, tente d’empêcher John Wilkes Booth de tuer le 16e président des États-Unis.
Henry Rathbone et Clara Harris prirent conscience de ce qui venait d’arriver à Abraham Lincoln. Ils se mirent à crier que le président venait d’être abattu. La panique s’empara de la salle, et des médecins se résolurent à emmener le président dans la pension qui se trouvait de l’autre côté de la rue.
Alors que le chaos régnait autour d’elle, Clara Harris, tachée du sang de son époux, tenta de réconforter Mary Todd Lincoln. Mais chaque fois qu’elle s’approchait d’elle, la veuve s’écriait : « Oh ! Le sang de mon mari, le sang de mon époux adoré ! »
Pendant ce temps, Henry Rathbone s’affaiblissait à cause du sang qu’il perdait. Clara Harris lui confectionna un garrot de fortune avant qu’il ne s’évanouisse. Il fut emmené au pas de charge au domicile de Clara Harris où un chirurgien, aidé de cette dernière, soigna sa blessure presque fatale et lui sauva la vie.
Près de deux semaines plus tard, elle fit état de ces scènes frappantes qui la tourmentaient encore dans une lettre adressée à une amie. « Je ne parviens pas à me concentrer sur quoi que ce soit d’autre », écrivit-elle.
TENTER DE VIVRE À NOUVEAU
Après l’assassinat, Henry Rathbone et Clara Harris firent ce qu’ils purent pour recoller les morceaux de leur vie. Ils se marièrent le 11 juillet 1867.
Malgré tout, l’horreur de ce dont ils avaient été témoins, l’horreur de n’avoir rien pu faire pour Lincoln, pesait sur le moral de Henry Rathbone. Il contracta des troubles respiratoires et était accablé par des palpitations cardiaques, des affections auxquelles on ne parvint pas à attribuer de causes physiques.
L’assassinat du président Lincoln tourmenta le major Henry Rathbone qui faillit perdre tout son sang en essayant d’appréhender l’auteur du crime. Il passa le restant de ses jours dans la peur, une angoisse qui ne prit fin qu’avec la commission d’un acte tragique pour sa famille.
Mathew Brady, célèbre photographe de la guerre de Sécession, réalisa ce portrait de Clara Harris après l’assassinat de Lincoln. La photo servit plus tard à la réalisation du tableau « The Last Hours of Lincoln » peint par Alonzo Chappel.
Alors que trois enfants étaient venus agrandir la jeune famille, l’état anxieux de Henry Rathbone empira. Il vivait dans la peur que son épouse et ses enfants soient en danger.
En 1883, son état s’était considérablement détérioré. Comme le rapporta l’Elmira Daily Adviser, Henry Rathbone était devenu « morose, mélancolique, irritable et follement jaloux de son épouse » et était persuadé qu’elle allait le quitter. Bientôt, il se montra violent.
UN ULTIME MEURTRE
Le 23 décembre 1883, alors que les Rathbone séjournaient en Allemagne, Henry se troubla. Craignant apparemment que ses enfants lui soient soustraits, il tenta d’entrer dans leur chambre, armé d’un pistolet chargé.
Prise d’une vive inquiétude, Clara ordonna qu’on ferme à clé la chambre où les enfants s’étaient réfugiés, et Henry fut pris d’une crise. Il abattit son épouse et la poignarda avant de retourner le poignard contre lui. Elle mourut sur leur lit.
Lui survécut, quoique dans un état de confusion permanente, d’après certaines informations. Ainsi que le rapporta quelques jours après le meurtre le Sunday Morning Tidings, journal de la ville d’Elmira, dans l’État de New York, Henry Rathbone « croit que ses enfants ont été enlevés, et qu’il a été blessé en luttant avec leur ravisseur ». Il n’avait aucun souvenir d’avoir tué son épouse.
Henry Rathbone fut jugé en Allemagne où il fut reconnu coupable et incarcéré à l’asile Hildesheim d’Hanovre. Il y mourut le 14 août 1914, quarante-six ans après la soirée du théâtre Ford qui l’avait tant tourmenté.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.