Le mystère des Princes de la Tour, disparus il y a 540 ans, viendrait d'être résolu

À l'été 1483, Édouard V et son frère cadet Richard sont entrés dans la Tour de Londres et n’en sont plus jamais sortis. Leur disparition a souvent été attribuée à leur oncle Richard III, accusé pendant des siècles de les avoir assassinés.

De Philippa Langley
Publication 21 nov. 2023, 18:02 CET

Édouard V (1470-83) (à droite) et son frère Richard, duc d'York, ont disparu après être entrés dans la Tour de Londres en 1483. Peinture de John Everett Millais, 1878,  Galerie d'art de Royal Holloway, Université de Londres

PHOTOGRAPHIE DE Royal Holloway, University of London, Bridgeman Images

Philippa Langley, autrice et historienne enquêtrice britannique, a découvert où était enterré le corps de Richard III. Elle mène l'enquête afin de comprendre ce qu'il est advenu des Princes de la Tour. Dans cet extrait exclusif de son livre, elle emmène les lecteurs au cœur de son enquête et tâche de percer cet ancien mystère. 

Le 25 août 2012, la dépouille de Richard III d’Angleterre (1452-85) ont été retrouvées sous un parking à Leicester. L’annonce de cette découverte et d’une éventuelle réinhumation du roi a pris beaucoup d’ampleur et a atteint une audience mondiale estimée à plus de 366 millions de personnes. Le retour du roi a captivé l’imagination du monde entier mais comment l’expliquer ? Les recherches pour Richard III ont été lancées et menées non pas par un universitaire ou un archéologue mais par une écrivaine. 

L’initiative de recherche du projet Looking for Richard (Retrouver Richard, ndlr) a remis en question dogmes et idées reçues. Elle a prouvé que la rumeur des « ossements dans la rivière » était fausse. Pendant des siècles, le mythe disait en effet qu’à l’époque de la Dissolution des monastères, à la fin des années 1530, la dépouille de Richard III avait été exhumée de sa tombe, portée dans les rues de Leicester par une foule railleuse, puis réenterrée près de la rivière Soar. Plus tard, on a prétendu qu’elle avait à nouveau été exhumée et jetée dans la rivière. Sans preuve à l’appui, cette histoire a été répétée comme étant authentique et factuelle par d’éminents historiens. 

Le projet Looking for Richard a été annonciateur d’une nouvelle ère de recherches et d’analyses appuyées par des preuves. Il s’agissait d’une opportunité majeure pour la communauté universitaire et les historiens de premier plan de se servir de ce savoir nouveau pour pousser davantage leurs découvertes. 

Couverture du livre de Philippa Langley, The Princes in the Tower: Solving History's Greatest Cold Case (Les Princes de la Tour : venir à bout de l'une des plus grandes affaires non résolues de l'Histoire).

PHOTOGRAPHIE DE of Pegasus Books.

Le mardi 24 mars 2015, lors de la semaine de réinhumation, le Daily mail affichait en gros titre : « faire de cet assassin d’enfant un héros national est insensé : Richard III était l’un des tyrans les plus malfaisants et détestables que cette Terre ait jamais porté. » L’auteur, Michael Thorton n’a donné élément pour étayer son propos. Son texte a provoqué des commentaires venant du monde entier dont le plus juste résumé était celui de Catherine, de Chicago, déclarant : « Cet article témoigne d'un mépris total pour ce qui constitue une preuve historique. » 

Le 22 mars 2015, alors que la Cathédrale de Leicester recevait le cercueil de Richard III en vue de sa réinhumation, le présentateur de Channel 4, Jon Snow, a demandé à un historien des Tudors de donner des preuves de l’assassinat des Princes de la Tour par Richard III. L’historien lui a alors répondu que « la preuve [était] qu’il aurait été fou de ne pas le faire. »

Le 26 mars, au soir de la réinhumation du roi Richard, dans une autre interview télévisée présentée par Jon Snow, ce dernier m’a demandé : « Que va-t-il se passer ensuite ? ». « Une grande question demeure encore sans réponse », ai-je répondu, « qu’est-il arrivé aux fils d’Édouard IV ? »

 

POSER LES BONNES QUESTIONS

J’avais déjà remarqué que poser des questions pouvait changer ce que nous croyons savoir et ouvrir la porte à une plus ample compréhension et à d’importantes découvertes. Le roi avait été retrouvé ainsi.

La recherche historique est jalonnée d’idées reçues à déconstruire. Antonia Fraser a contribué à déconstruire le mythe de Marie-Antoinette invitant le peuple à « mange[r] de la brioche. » Virginia Rounding a réfuté l’affirmation selon laquelle Catherine II serait décédée en ayant des relations sexuelles avec un cheval. William Driver Howarth a démontré que le droit du Seigneur (prima nocta) n'existait pas dans l'Écosse médiévale, illustrée dans le film Braveheart, et Guilhem Pépin a établi que le massacre cruel de 3 000 hommes, femmes et enfants en 1370 à Limoges avait été perpétré par les forces françaises contre leur propre peuple et non, comme on l’a longtemps laissé penser, par le Prince noir d’Angleterre. Tous ont posé des questions réfléchies, rejeté les vieux mythes et ont posé de nouvelles bases.

Nous avons procédé de la même façon pour le projet Looking for Richard, en remettant en question ce que nous pensions savoir. Cette approche fonctionnerait-elle pour résoudre le mystère des Princes de la Tour ? 

Alors que je réfléchissais aux prochaines étapes, j’ai regardé Imitation Game (2014) avec grand intérêt. Ce long métrage multi-récompensé, dont le personnage principal est interprété par Benedict Cumberbatch, qui avait lu le poème évocateur « Richard » lors de la réinhumation en 2015, raconte la découverte du code Enigma pendant la Seconde Guerre mondiale en s’inspirant légèrement de la biographie d’Alan Turing écrite par Adrew Hodge. 

Lorsqu’on se pose les bonnes questions, ce qui peut sembler être un détail sans importance se révèle parfois être la clé de découvertes majeures. Une petite découverte, apparemment insignifiante pourrait-elle être la clé de la résolution du plus résistant des mystères ?

 

RICHARD ET « LES PRINCES »

Pendant presque trente ans, j’ai étudié la vie et l’époque de Richard III. Cette période historique fascinante a inspiré la série fantastique Game of Thrones de George R. R. Martin et, bien sûr, la célèbre pièce de Shakespeare. Là, semble-t-il, réside la dichotomie entre ces deux représentations, l’une en faisant le seigneur loyal du Nord et l’autre, un psychopathe meurtrier. Deux extrêmes, certes, mais la vie, comme nous pouvons tous en témoigner, est faite de nuances.

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    Avant la disparition des « Princes de la Tour », leur oncle Richard III était régent. Il a été couronné roi en juillet 1483. Cette peinture, réalisée vers 1520, est le plus ancien portrait qui subsiste de lui.

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman Images

    Je savais dès le départ que je devais me préparer à ce que j’allais peut-être découvrir. L’objectif du projet Looking for Richard était d’enterrer le roi. Il était temps d’enquêter sur la dernière grande question le concernant, dans l’espoir de faire la paix avec le passé. 

    À l'été 1483, deux enfants ont disparu : Édouard V, âgé de douze ans et son frère Richard, duc d’York, neuf ans. En reprenant les principes des enquêtes non résolues sur des personnes disparues, il fallait recueillir de nouveaux renseignements.

    La tâche n’était pas facile, loin de là. Chaque histoire liée à leur disparition semblait mener vers de fausses pistes et devait faire l’objet d’analyses. Ce projet ne pouvait souffrir d'aucun oubli, quelle que soit son insignifiance apparente. Tout devait être passé au peigne fin. 

     

    À LA RECHERCHE DES PRINCES

    Comment en savoir plus ? Les évènements ayant mené à cette disparition n’avaient-ils pas eu lieu il y a trop longtemps pour y appliquer une approche analytique moderne significative ? 

    J’ai découvert que la bonne façon de venir à bout d’une enquête non résolue était d’utiliser la méthode RRH. Il s’agit là d'oublier le Recul que nous avons, de Recréer le passé aussi précisément que possible en se mettant au cœur de l’action, et en introduisant le facteur Humain afin de mieux comprendre les informations récoltées. En résumé, on analyse qui a fait quoi, quand, où, pourquoi, avec qui et avec quelles conséquences. 

    Les enquêteurs de police anglais ont suggéré l’utilisation de méthodes reconnues comme TIE et ABC. TIE est l’acronyme pour « Trace, Investigate, Eliminate » (Retracer, Enquêter, Éliminer). Les témoins de cette disparition n’étant de toute évidence pas disponibles pour répondre à nos questions, la solution était d’établir une frise chronologique et une base de données approfondie afin de référencer et de recouper chaque fait et geste et d’éliminer des individus de l’équation. Le deuxième acronyme, ABC pour « Accept nothing, Believe nobody, Challenge everything » (ne rien Accepter, ne Croire personne, tout Remettre en question), permettait de s’assurer que chaque preuve avait été parfaitement corroborée. 

    Le projet Missing Princes (princes disparus) a commencé à l'été 2015 avec trois pistes d’enquête, qui se sont rapidement multipliées jusqu’à arriver à 111 hypothèses. 

    En juillet 2016, lors du festival de Middleham, le projet était officiellement lancé. Le site web avait été activé le 15 décembre 2015 et en quelques petites heures, il avait déjà attiré les huit premiers membres. Dans les semaines et mois qui ont suivi, 300 volontaires venant du monde entier se sont joints à nous. Des personnes ordinaires étaient prêtes à analyser des archives.

    Certaines d'entre elles avaient des connaissances pointues en paléographie (étude des écritures anciennes) et en latin, d’autres en langues européennes. Des membres des forces de police et des spécialistes du ministère de la Défense nous ont également accompagnés, ainsi que des historiens médiévaux et des spécialistes d’un certain nombre de domaines, y compris des anthropologues légistes de renommée mondiale. C'était à la fois passionnant et intimidant. La quête de la vérité venait de commencer. 

    La Tour de Londres a été construite dans les années 1070 en tant que forteresse mais son rôle a changé au fil des ans. Elle a servit de palais, puis de prison. Cette miniature, peinte vers 1500, montre Charles, duc d'Orléans, écrivant, debout à une fenêtre, et expédiant une lettre dans la cour.

    PHOTOGRAPHIE DE British Library Board, Bridgeman Images

     

    LES ENFANTS DISPARUS

    L’enquête a commencé par l’analyse de l’heure de la disparition des deux frères. Chaque moment a été examiné à l’aide du matériel contemporain à notre disposition permettant de mettre la lumière sur cette période. Les techniques scientifiques nous ont permis de nous rendre au dernier lieu où on les avait vus en vie, afin de dresser une liste de potentiels suspects parmi leur cercle. 

    Ces deux garçons venaient d’une grande famille et étaient connus de tous. Ils étaient blonds et avaient apparemment un certain charme. Le plus âgé, Édouard, âgé de douze ans, était pré-adolescent et n’était peut-être pas aussi robuste que son cadet. Il avait une appétence pour la poésie et la littérature et les traits de son visage ressemblaient à ceux de son père. Il semblait avoir une tendance à la mélancholie, sûrement liée au début de sa puberté et, très probablement, au changement angoissant de ses conditions de vie. Avant sa disparition, des Londoniens l’avaient aperçu faire une entrée cérémoniale dans la ville en tant que nouveau roi et, plus tard, se rendre dans les appartements royaux de la Tour. À ces deux occasions, il était accompagné de membres éminents de l’Église, de l’֤État et du peuple. 

    Richard, âgé de neuf ans, semblait être un enfant joyeux et énergique, d’une beauté incroyable et plutôt en bonne santé. Il s’intéressait à la musique, à la danse, au chant et, semble-t-il, au sport, notamment au tir à l’arc, puis au tennis. Contrairement à son aîné, Richard vivait dans la capitale. Juste avant sa disparition, des Londoniens l’avaient vu se rendre en bateau de Westminster à la Tour pour y rejoindre son frère. La flottille était composée de huit bateaux transportant des membres dirigeants de l’Église et de l’État. 

    Les deux garçons, qu’on peut considérer comme des célébrités, ont été vus pour la dernière fois en train de jouer dans les jardins de la Tour, très fréquentés. 

     

    CHRONOLOGIE ET PREUVES

    L’analyse de la chronologie de cette disparition a révélé une potentielle fenêtre de deux mois, du 18-21 juillet au 20 septembre, pouvant être allongée à trois mois, au 28 octobre. Notre enquête a révélé des disparités entre les témoignages locaux et ceux provenant de l'étranger au moment de la disparition.

    Une analyse plus large a révélé qu’un prétendant à la couronne d'Angleterre, Henri Tudor - futur souverain et fondateur de la dynastie Tudor - avait lancé la rumeur du meurtre des jeunes garçons par Richard III, juste avant la bataille de Bosworth. La rumeur a persisté jusqu'à la fin de la dynastie Tudor, lorsque des documents ont été mis au jour et que les descendants de plusieurs familles ont été interrogés. Ceux-ci ont émis l’hypothèse que les garçons avaient survécu. 

    Une analyse médico-légale plus poussée de la période postérieure à la bataille de Bosworth n'a révélé aucune preuve de meurtre ou de témoins directs. Ni les recherches rapides menées par Henri Tudor dans le nord du pays, ni ses investigations ultérieures à la Tour de Londres n'ont permis de retrouver les disparus.

     

    VICTIMES D’UN MEURTRE OU… SIMPLEMENT DISPARUS ?

    La suite de l’enquête a permis d'imaginer un scénario de l'élimination physique des princes, qui n'impliquait ni ne nécessitait aucune blessure.

    Alors que s’accumulaient les preuves de leur survie, l’enquête a été élargie, prenant en compte deux prétendants au trône. L’âge et la description physique de ces prétendants correspondaient à ceux des disparus. Le projet a ensuite mis au jour des preuves documentées de la présence des frères, le plus âgé en 1487 et l’autre en 1493. 

    Lorsque j’ai lancé le projet Missing Princes, on m’a demandé ce que j’espérais trouver. J’ai répondu que j'espérais mettre au jour un document écrit de la main d’un des deux garçons, expliquant en détail ce qu’il s’était passé. J’ai souri et le public a ri avec moi, espérant manifestement que nous fassions cette découverte, qui semblait pourtant impossible.  

    Cette lettre est la preuve qu'Édouard V était vivant en décembre 1497. Il y est écrit : « pour servir son neveu - fils du roi Édouard, feu son frère (que Dieu sauve son âme), [qui a été] expulsé de son royaume. »

    PHOTOGRAPHIE DE ArchivesDépartementales du Nord, Lille, France, ADN B 3521, 124564

    Quatre ans plus tard, c’est exactement ce qu’a découvert Nathalie Nijman-Bliekendaal dans les archives de Gelderland, aux Pays-Bas, et je n’oublierai jamais cet après-midi ensoleillé de novembre où, assise à mon bureau, j'ai reçu son mail. Oui, j’en ai eu des frissons. 

    Aujourd’hui, la chronologie correspondant au plus jeune disparu, Richard, duc d’York, est établie. Nous pouvons suivre la trace de son départ de la Tour de Londres le 11 août 1483 ou avant, ses voyages sur l'île de Texel en 1495, les invasions ultérieures de l'Angleterre et sa campagne de huit ans pour le trône.

    L'établissement d'une chronologie pour l’aîné des disparus, Édouard V, est un élément important. Les preuves actuelles suggèrent qu'Édouard a été placé dans les îles Anglo-Normandes fin 1485 ou avant, qu'il s'est rendu à Francis Lovell dans le Yorkshire en avril 1486 et qu'il était installé en Irlande au mois d'août de la même année. Il se serait ensuite rendu en Bourgogne avant de retourner en Irlande avec ses forces anglaises et continentales en mai 1487 pour le couronnement, l'invasion de l'Angleterre et la bataille qui s'ensuivit à Stoke Field. Les deux garçons ayant été séparés à la Tour vers le milieu ou la fin du mois de juillet 1483, le chemin d’Édouard entre cette date et le début de l'année 1486 n’est pas connu à l'heure actuelle.

    La première phase de notre enquête a été passionnante et la seconde promet de l'être tout autant. Elle vise à répondre à ces questions et, si possible, à localiser le lieu de repos éternel des deux princes. 

    Texte tiré de The Princes in the Tower: Solving History’s Greatest Cold Case, écrit par Philippa Langley. Publié par Pegasus Books. Copyright (c) 2023 Philippa Langley. Texte publié avec l'autorisation de l' autrice. 

    Philippa Langley MBE est une historienne et productrice primée, surtout connue pour avoir découvert la dépouille de Richard III en 2012. Elle est coautrice du best-seller The Lost King avec Michael Jones (publié pour la première fois sous le titre The King's Grave chez John Murray en 2013), et de Finding Richard III, le compte-rendu officiel de son projet Looking For Richard. En novembre 2023, le nouvel ouvrage de Philippa, The Princes in the Tower : Solving History's Greatest Cold Case (Les Princes de la Tour : venir à bout de l'une des plus grandes affaires non résolues de l'Histoire), devrait une fois de plus défier les livres d'Histoire. Basé sur sa nouvelle initiative de recherche remarquable, le projet Missing Princes, il a fait l'objet d'un long-métrage documentaire factuel diffusé par Channel 4, en Angleterre, PBS aux États-Unis et SBS en Australie.

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