Des sacrifices humains ont-ils été organisés dans la Grande-Bretagne romaine ?
Des chiots morts, de potentiels sacrifices humains et des rites de fertilité... que se passait-il dans la Grande-Bretagne romaine ?

Les Romains domestiquaient les chiens, comme le montre cette mosaïque du deuxième ou troisième siècle après Jésus-Christ. Certains des ossements provenant du lieu sacrificiel à Surrey auraient appartenus à des chiens domestiques mais il n’est pas évident de savoir si leurs propriétaires étaient Romains ou Saxons.
Des chiots morts, de potentiels sacrifices humains et l’os peint d’un pénis de chien, enterrés sur un lieu sacrificiel situé dans une ancienne carrière, dans le sud de l’Angleterre, révèle ce à quoi les rites de fertilité ressemblaient durant les premières décennies de la conquête romaine.
« C’était plein d’un surprenant nombre d’ossements », explique Ellen Green, bioarchéologue de l’université de Reading. « On ne pouvait pas se déplacer sans marcher sur quelque chose. » Ellen Green a décrit cette découverte dans un article récemment paru dans l'Oxford Journal of Archaeology.
Cette fosse pleine d’ossements, le plus grand gisement rituel de ce type découvert datant de la période romaine, donne aux archéologues des indications quant à la façon qu'avaient (ou n'avaient pas) les Anglais conquis d’adopter les pratiques culturelles de Rome, dès le premier siècle de notre ère.
ÉTUDIER LA FOSSE À OSSEMENTS
Ellen Green et ses collèges menaient des fouilles archéologiques obligatoires à Ewell, une ville dans le comté de Surrey, au sud-ouest de Londres, avant la construction d’une maison de soin en 2015. Le village abritant une colonie romaine, ainsi qu’une carrière de silex et de craie, les archéologues supposaient que la zone pouvait contenir des restes de cette époque.
En creusant le sol, l’équipe a découvert un puits de quatre mètres de profondeur, contenant des milliers d’ossements. La couche supérieure était principalement constituée de restes de différentes espèces animales qui portaient les traces d’une consommation humaine, probablement d’anciens déchets ménagers. Mais alors qu'Ellen Green et ses collègues creusaient plus profondément, ils commencèrent à mettre au jour de plus en plus d’os de chiens, de chevaux, de cochons, et finalement d’humains.
Selon les estimations et analyses finales de la bioarchéologue, la fosse contenait environ 11 400 fragments d’os identifiables, incluant les restes d’au moins 21 humains enterrés dans le puits et de près de 282 animaux.
« De tous les sites que nous avons fouillés en Grande-Bretagne, rien ne ressemblait à cela », confie Ellen Green. Selon les estimations, le gisement d’os daterait d’une période s’étalant de 77 à 118 apr. J.-C., sur la base d’une combinaison de dates découvertes sur des pièces de monnaie enterrées avec les restes, et des techniques de datation au carbone 14.
Michael Fulford, archéologue spécialiste de la période romaine à l’université de Reading, qui n'a pas pris part aux fouilles, qualifie la découverte de « remarquable » et salue l’« étude méticuleuse des restes » menée par sa collègue.
La cause de la mort de ces humains et animaux n’est pas claire, mais Ellen Green estime que la manière dont ils ont été déposés dans le puits ne ressemble pas à des rites funéraires. Par exemple, à part la couche supérieure, où les ossements apparaissaient n’être que des restes de repas, presque aucun ne montrait des signes de traumatisme, si ce n’est les causes évidentes de la mort. Ellen Green raconte que les chiens, tout particulièrement, semblaient avoir des os reflétant leur parfaite santé au moment de leur mort, ce qui pourrait indiquer que beaucoup étaient des compagnons plutôt que des animaux errants.

Parmi les milliers d’os retrouvés dans le puits de la carrière à Ewell, les archéologues ont mis au jour le baculum d’un chien, l’os de son pénis, tâché d’ocre rouge sur la surface supérieure de l’os.
S’il est ardu de déduire exactement ce qui est arrivé à ces personnes et à ces animaux, Ellen Green ne peut éliminer la possibilité des sacrifices humains. Trancher la gorge était une méthode sacrificielle courante à l’époque, qui ne laissait pas forcément de traces sur les os.
LES OS FAISAIENT-ILS PARTIE D’UN RITUEL DE FERTILITÉ ?
Dans de nombreux cas similaires, déterminer les raisons pour lesquelles des humains et des animaux ont été enterrés et potentiellement sacrifiés n’est pas une mince affaire. Cependant, la proportion et les types de restes ont poussé Ellen Green à soupçonner qu’un rituel de fertilité pouvait en être la cause.
Tout d’abord, les restes humains. Vingt des individus avaient été enterrés séparément, et manifestement par groupes de cinq, qui incluaient un bébé, un enfant, un adolescent et deux adultes. Les os adultes étaient trop fragmentés pour préserver des indices clairs qui auraient pu aider à déterminer leur âge. Toutefois, si l’un des adultes s’avérait être plus âgé, Ellen Green pense que les restes coïncideraient avec les grandes étapes de la vie selon les Romains.
Les chiens étaient les animaux que l’on a le plus retrouvés parmi les restes et représentaient près de la moitié des individus identifiés. « Il s’agit du plus grand assemblement de chiens que l’on ait découvert sur un seul site de la Grande-Bretagne romaine », nous explique la bioarchéologue.
Certains étaient même enterrés entiers, et les restes d’un chiot ont été découverts dans une jarre en céramique. La plupart des chiens étaient petits, comme les chiens que les Romains avaient l’habitude d’avoir comme animaux de compagnie à cette période. « C’était au mieux des terriers ou des ratiers », indique Ellen Green.
Les petits chiens sont associés à tout un panel de figures religieuses de la Rome antique, ajoute-t-elle. Les œuvres de cette époque dépeignent souvent les figures divines maternelles avec de petits chiens, des femmes avec des paniers de fruits et des bébé humains, tous des symboles de fertilité.
La découverte irréfutable de ces restes est un os de pénis de chien, « le clou du spectacle », qui aurait été peint en rouge avec un pigment ocre. « Les Romains adoraient les pénis », relève Ellen Green. « Ils étaient censés porter chance et repousser le mauvais œil. »
La majorité des restes du puits, qu’ils soient humains ou animaux, étaient des bébés. Il est particulièrement intéressant de noter la découverte de plusieurs poulains et fœtus de chevaux. Contrairement aux chiens ou aux autres animaux domestiques trouvés sur ce site, qui avaient pour la plupart accouché dans l’année qui précédait leur inhumation, les chevaux mettent bas le plus souvent au printemps.
En rassemblant toutes ces découvertes et le fait que les gisements contenaient également de l’orge, une céréale qui poussait aux alentours, la chercheuse pense que la raison derrière sa découverte pourrait être liée à un rituel de fertilité de printemps : « il s’agit sûrement d’un rite de fertilité agricole ».
Pour Michael Fulford, il n'est pas évident que le rite était lié à la fertilité ; à ce stade, c’est encore difficile à déterminer. Il est cependant convaincu qu’une sorte de rituel était à l’œuvre, étant donné que les découvertes correspondent à des schémas récurrents observés sur plusieurs autres sites archéologiques. L’un d’eux, par exemple, a été documenté à Silchester, à une cinquantaine de kilomètres d'Ewell, et des chiens, des corbeaux et la poignée d’un couteau comportant des gravures de chiens en train de s’accoupler, y ont été découverts.
Duncan Garrow, archéologue de l’université de Reading et directeur de thèse d’Ellen Green, ajoute que si de plus amples recherches étaient menées dans la zone autour d'Ewell, les chercheurs pourraient en apprendre davantage sur les us et coutumes des habitants, ainsi que sur les différents rituels qu’ils ont pu pratiquer.
LE GISEMENT D’OS ÉTAIT-IL ROMAIN OU ANGLAIS ?
Il est difficile de déterminer exactement qui était derrière les sacrifices, s’ils ont eu lieu. Officiellement, les Romains ne pratiquaient pas les sacrifices humains et une telle pratique aurait causé la controverse, souligne Ellen Green. Certains écrivains de la Rome antique pensaient que c’était une pratique courante avant la conquête de la Grande-Bretagne, et cela aurait pu servir d’excuse pour celle-ci. Il n’y a cependant que peu de preuves pour étoffer cette hypothèse car l’île ne conservait pas de traces écrites de son histoire avant l’arrivée des Romains, et certains des écrits romains ne sont pas fiables.
Les signatures chimiques des ossements de trois des humains laissent à penser que l’un d’entre eux a grandi non loin d'Ewell, et les autres dans la région environnante : ils n’étaient donc probablement pas Romains. « Il semble que ce soit des locaux qui ont fini dans cette fosse », confirme Ellen Green.
Duncan Garrow ajoute que le gisement d’os d'Ewell, au-delà du fait qu’il était conséquent, ressemble par sa composition à des sites rituels de la Grande-Bretagne de l’Âge de Pierre. « Il est incroyable de découvrir de tels gisements en Grande-Bretagne romaine », nous dit Duncan Garrow. « C’est étrange, mais c’est une étrangeté familière. »
Un autre aspect étonnant du rituel, c’est la preuve que certains des restes ont été séparés. Certains os semblent avoir été manipulés à un moment, explique Ellen Green, comme s’ils avaient été séparés du reste des corps, et remis à leur place plus tard. Et certaines parties sont même totalement absentes.
Ellen Green considère que c’est le signe que des pratiques s’opéraient sur deux niveaux dans les années qui ont suivi les premières incursions romaines. Quels que soient les rituels qui avaient lieu, certains portaient des caractéristiques romaines, comme la présence de petits chiens et de sacrifices canins. On retrouve cependant également des caractéristiques qui ne sont absolument pas romaines, comme la manipulation des corps après la mort et les potentiels sacrifices humains.
Michael Fulford trouve également que cette découverte donne à voir le mélange des cultures de cette époque : « c'est une nouvelle preuve nous poussant à reconsidérer la manière dont les habitants de la Grande-Bretagne [occupée] observaient les pratiques romaines ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
