Nouvelles découvertes à Thonis-Héracleion, la mythique cité engloutie

Des trésors gréco-égyptiens ont été retrouvés dans cette ville engloutie par les eaux depuis plus de deux millénaires, autrefois puissante cité de l’ancienne Égypte.

De Marie Zekri
Publication 29 sept. 2023, 17:28 CEST
Ces céramiques et cette cruche en bronze reposaient dans un sanctuaire grec dédié à la déesse ...

Ces céramiques et cette cruche en bronze reposaient dans un sanctuaire grec dédié à la déesse Aphrodite récemment découvert dans la ville engloutie de Thonis Héracleion, en Égypte. Des trésors en or d'origine égyptienne ont également été récemment retrouvés dans cette ville mythique recherchée pendant plus de 2000 ans. 

PHOTOGRAPHIE DE Christoph Gerigk ©Franck Goddio/Hilti Foundation

L’Institut Européen d’Archéologie Sous-marine (IEASM) a annoncé il y a peu une magnifique découverte, réalisée au courant du mois de juillet. Une équipe d’une cinquantaine d’archéologues de l’IEASM et du département d’archéologie subaquatique du Ministère du Tourisme et des Antiquités d’Égypte, dirigés par l’archéologue français Franck Goddio, président de l’IEASM, a enquêté au large des côtes égyptiennes, dans la baie d’Aboukir. 

C’est à cet endroit précis que repose la cité engloutie de Thonis-Héracleion, symbole de la toute puissance de l’Égypte à son âge d’or, décrite dans les récits légendaires d’Hérodote et d’Homère qui a été retrouvée en l’an 2000, et ne cesse depuis de surprendre les archéologues. Des temples et céramiques grecs, ainsi que des artefacts en or d’origine égyptienne particulièrement bien conservés, sont les dernières découvertes en date. Ils mettent en évidence une cohabitation culturelle très ancrée entre Grecs et Égyptiens sous le royaume lagide (323 à 30 avant notre ère). 

 

LA LÉGENDAIRE THONIS-HÉRACLEION

En 2000, les chercheurs ont repéré, à 6,5 km des côtes, des signatures magnétiques qui indiquaient la présence d’un gisement archéologique. Les fouilles ont commencé en 2001. « Nous cherchions initialement deux endroits distincts », explique l’archéologue en chef. D’une part, la cité de Thonis, mentionnée dans les textes de l'Égypte ancienne, et d’autre part la cité d’Héracleion, notamment mentionnée dans les textes de l’historien grec Hérodote. Mais « Thonis et Héracleion étaient en fait une seule et même ville », s’enthousiasme Franck Goddio. 

Disparue des cartes depuis le milieu du deuxième siècle avant notre ère, Thonis, selon les écrits égyptiens, ou Héracleion, selon les écrits grecs, a été emportée par un cataclysme causé par l’action conjointe d’une augmentation du niveau des mers, ainsi qu’un tremblement de terre, qui a provoqué un raz de marrée et un gigantesque glissement de terrain, emportant 110 kilomètres carrés des côtes du Delta du Nil sous la Méditerranée. 

« Ce qui est amusant », souligne Franck Goddio, « c’est que dans les textes anciens de Diodore de Sicile ou de Strabon, ils parlent de Thonis, tandis qu’Hérodote, père de l’histoire, parle d’Héracleion ». Peu de temps après sa disparition, une controverse naît entre égyptologues et historiens, posant un voile de mystère et de légende sur le souvenir de cette cité perdue. Le doute sur le caractère mythologique de cette ville a perduré pour les millénaires suivants. C’est en 1972 qu’un éminent égyptologue français, Jean Yoyotte, a formulé l'hypothèse qu’il pouvait s’agir d’une seule et même ville. Alors comment les archéologues sont-ils parvenus à résoudre ce mystère vieux de plus de deux millénaires ?

Stèle parfaitement conservée de deux mètres de haut, en durite noire qui fait mention de la ...
Cette stèle colossale de 15 tonnes et 6,3 mètres de haut, comprend des inscriptions hiéroglyphiques mais ...
Gauche: Supérieur:

Stèle parfaitement conservée de deux mètres de haut, en durite noire qui fait mention de la ville de Thonis, de son nom égyptien, et précise également sa centralité du temps des pharaons. En effet, tout Grec entrant en Égypte devait passer par l'un des ports de Thonis-Héracleion. 

Droite: Fond:

Cette stèle colossale de 15 tonnes et 6,3 mètres de haut, comprend des inscriptions hiéroglyphiques mais également grecques, faisant mention de la ville d'Héracleion. 

Photographies de Christoph Gerigk ©Franck Goddio/Hilti Foundation

Au début des fouilles, les archéologues ont découvert deux stèles dont les inscriptions détenaient la clef du mystère. « Les premières inscriptions [bilingues grecques et hiéroglyphiques] se trouvaient sur un monument extraordinaire de 15 tonnes et de 6,3 mètres de haut ». Située au niveau du grand temple de la ville, la stèle de granite rose dit : « Je suis la maison du dieu Amon ». La comparaison avec l’inscription découverte sur une stèle en haute Égypte en 1881 par l’égyptologue français Gaston Maspero qui disait que la ville d’Héracleion était la ville au grand temple d’Amon, confirmait que les archéologues se trouvaient bien à Héracleion. 

« Une semaine après », se souvient Franck Goddio, « on avait trouvé une stèle intacte, de 2 mètres de haut, en durite noire ». Cette stèle dit : « Et pharaon ordonne que cette stèle soit érigée dans la ville de Thonis », confirmant les textes anciens selon lesquels pharaon ordonnait à tout Grec et vaisseaux en provenance du monde grec d’entrer et de sortir d’Égypte par la ville de Thonis pour s'acquitter de droits de douane, quelle que soit la branche du Nil empruntée. Une partie de ces taxes étaient offertes à la déesse Neith, protectrice de la basse Égypte, qui a pour équivalent grec la déesse Athéna. 

Construite autour du 8e siècle avant notre ère, Thonis-Héracleion était le grand port de l’Égypte ouvert sur la Méditerranée. « C’est la plus grande concentration d’épaves antiques », ajoute Franck Goddio. Quatre-vingt-neuf épaves ont en effet été fouillées, tandis que les études démontrent qu’un total de 120 navires et 800 ancres se trouveraient sous les eaux et l’argile. C’était une capitale commerciale, politique, mais également religieuse. Il était de coutume que chaque nouveau pharaon se présente au temple du Dieu suprême Amon, après avoir été couronné à Memphis, afin de « recevoir les titres de souverain universel », explique Franck Goddio.

« C’était [également] une sorte de Venise, quadrillée de canaux d’est en ouest, avec les bassins portuaires et un grand lac d’eau douce ». Le contrôle de l’eau douce était très important pour les Égyptiens. Les archéologues ont d’ailleurs récemment découvert un réseau de vannes et canaux étroits pour retenir l’eau douce des terres, et empêcher l’eau de mer de venir la contaminer.

Avec la construction d’Alexandrie en 331 avant notre ère, Alexandre Legrand, ordonna que tout commerce à Thonis-Héracleion soit transféré à la nouvelle ville. Thonis-Héracleion perdit donc bon nombre de ses activités commerciales, mais resta un centre de pouvoir majeur car les Ptolémée devaient tout de même venir dans ce temple à 35 kilomètres d’Alexandrie afin de recevoir du dieu Amon les titres de leur pouvoir, et conserver des relations apaisées avec le clergé égyptien. Cette tradition a perduré jusqu’à Ptolémée 8, époque où le temple et la ville toute entière ont sombré dans la Méditerranée.

 

À LA JONCTION DES MONDES GRECS ET ÉGYPTIENS 

Courant juillet, les équipes de Franck Goddio ont enquêté là où se trouvait auparavant le canal sud de la ville, à proximité d’énormes blocs de pierre de l’ancien temple d’Amon. Long de 175 mètres, il a nécessité de nombreuses opérations de fouilles, lesquelles se poursuivent également alentour, « puisque la ville fait deux fois la surface de Pompéi, qui n’est en comparaison qu’une petite ville de villégiature », explique Franck Goddio.

Le travail des archéologues est complexifié par les fonds argileux. « Christoph Gerigk, le photographe, met parfois une semaine pour parvenir à prendre une seule photo », tant la visibilité est mauvaise dans cet environnement aquatique, chargé de particules sédimentaires flottantes. « On ne voit souvent pas plus loin qu’à 20 ou 30 centimètres [devant soi] », fait remarquer Franck Goddio.

Les chercheurs doivent parfois creuser au couteau sur 5 mètres de sédiments avant de trouver l’objet repéré par études multifréquences, obtenues par un prototype franco-allemand de pénétrateur à sédiments qui modélise des images 3D des structures enfouies. Cette technologie permet notamment de repérer des successions de couches sédimentaires qui cachent leurs lots de trésors archéologiques. 

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    Les archéologues sous-marins rencontrent d'importantes difficultés dans le travail de fouilles en raison de la mauvaise visibilité, mais également à cause de l'épaisseur des couches argileuses qui renferment les restes archéologiques. 

    PHOTOGRAPHIE DE Christoph Gerigk ©Franck Goddio/Hilti Foundation

    Les chercheurs ont retrouvé différents petits sanctuaires grecs, accolés à de grands temples égyptiens. L’un des derniers édifices grecs découverts est un tholos, un petit temple circulaire à colonnades de 6 mètres de diamètre daté du 4e siècle avant notre ère, dédié à Aphrodite. 

    Ce temple contient un « très joli mobilier cultuel : vases en argent, objets en bronze, brûleurs d’encens en forme de sphinx, et autres trésors », raconte Franck Goddio. De petits temples similaires se trouvent à Pompéi, mais également au centre de Rome. Les objets sont dans un état de conservation exceptionnel. Au moment du cataclysme, les sédiments ont recouvert la ville, avant que le tout ne soit « scellé par la mer pour des siècles », offrant aux chercheurs d’extraordinaires capsules temporelles de cette époque.

    Ce sanctuaire d’Aphrodite est l’un des témoins historiques de l’autorisation donnée aux Grecs de s’installer dans la ville dès l’époque des pharaons de la dynastie Saïte (664 - 332 avant notre ère). Ils établissaient leurs sanctuaires et vénéraient leurs dieux, dans une harmonie culturelle impressionnante. « Il y a un mélange tout à fait étonnant d’objets à la fois grecs et égyptiens », explique Franck Goddio. Des présents grecs, comme des paniers en osier, contenant encore des dattes ont été retrouvés, de même que des statuettes grecques ou égyptiennes.

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    De précieux objets et bijoux en or, ainsi qu’un pilier de djed en lapis-lazuli, symbole de stabilité. Ce trésor tout droit issu de l’Égypte Antique a été retrouvé dans un temple englouti sous les eaux. 

    PHOTOGRAPHIE DE Christoph Gerigk ©Franck Goddio/Hilti Foundation

    Thonis-Héracleion est une ville inscrite dans la légende, à tel point que certains pensaient qu’elle n’était qu’une fable, un mythe. Hérodote racontait le passage d’Hélène et de Paris dans cette capitale, suivis du Roi Ménélas, de retour de la guerre de Troie, venu récupérer sa femme et les trésors de Paris. « Ce qui est très étonnant, c’est que ce que l’on retrouve confirme parfois des textes anciens », s’émerveille Franck Goddio. Il y a par exemple des armes des mercenaires grecs venus avec Ménélas à Thonis-Héracleion. Ils se seraient également servis du droit d’asile du temple d’Amon accordé aux grecs, dont la permission est inscrite sur la grande stèle de granite rose.

    Cette ville est le lieu de rencontre de deux grandes civilisations , grecque et égyptienne. Les divers artefacts mis au jour indiquent que les peuples vivaient dans une parfaite harmonie culturelle et religieuse, doublée d'une bonne entente diplomatique. Franck Goddio, fasciné par le lien étroit qui uni le site à la mythologie et aux textes historiques antiques, explique que dans le cas de Thonis-Héracleion, « tout se confirme et se complète », éclairant d’une lumière nouvelle ces temps légendaires de l’histoire des civilisations. 

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