Ces secrets d'outre-tombe qui font revivre le Sahara vert
Un paléontologue a mis au jour par hasard, il y a plus de vingt ans, le plus grand site funéraire africain de l’âge de la pierre.
Exhumés à Gobero, un site reculé au Niger, ces crânes datent de l’époque où le Sahara était verdoyant.
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Perchés sur une petite dune au cœur du Sahara, des scientifiques contemplaient une tombe tout juste exhumée. Trois squelettes humains y étaient allongés sur le côté, comme s’ils s’étaient endormis à même le sable et ne s’étaient jamais réveillés.
C’était juste avant la tombée de la nuit, aux derniers jours d’une expédition à Gobero, dans le désert nigérien du Ténéré. Souvent surnommé le « désert des déserts », il ne voit quasi jamais la pluie et se caractérise par d’immenses mers de sable errantes – les ergs. Ici, la température dépasse régulièrement les 50 °C, des tempêtes de sable aveuglantes peuvent frapper sans préavis, et les autorités nigériennes exigent qu’une unité militaire accompagnent les visiteurs pour les protéger des bandits. Mais ce paysage aride abrite aussi l’un des sites archéologiques les plus rares du monde : un cimetière humain vieux de près de dix millénaires.
Ce matin-là, Hannah Moots avait commencé, avec un pic en bois et un pinceau, à exhumer un crâne dont le sommet affleurait à peine. Prudemment, l’étudiante avait mis au jour les orbites et la mâchoire, puis continué le long du cou, jusqu’à l’épaule et au bras, pour enfin arriver aux mains. Elle s’était alors interrompue : il y avait trop de doigts pour un seul corps. Paul Sereno, le chef de l’expédition, la rejoignit et ils dégagèrent ensemble d’autres os. Beaucoup d’autres os.
Oumarou Idé, un archéologue nigérien qui travaillait non loin, est venu les voir. Au fil de l’après-midi, d’autres membres de l’équipe ont afflué vers la dune. Même des militaires, sans lâcher leur arme, se sont approchés. Enfin, alors que le crépuscule adoucissait la lumière et rafraîchissait l’air, ils ont pris la mesure de ce qu’ils avaient sous les yeux.
Le bassin de l’un des squelettes indiquait qu’il s’agissait d’une femme. Deux enfants de cinq et sept ans, d’après leur dentition, se trouvaient face à elle. Le plus jeune s’accrochait à son voisin et passait un de ses petits bras autour du cou de celui-ci. Le bras droit de la femme se glissait sous la tête de l’aîné. Son bras gauche allait à la rencontre de la main gauche du cadet, et leurs doigts s’entrelaçaient dans une masse de phalanges. « Ils se tiennent par la main… », murmura quelqu’un.
Lors d’une mission à Gobero en 2022, l’archéologue Boubé Adamou examine des ossements mis au jour par de puissants vents saisonniers. Ils ôtent chaque année de nouvelles couches de sable, révélant ainsi d’autres os et objets.
Cette scène suscita de nombreuses questions : était-ce une mère et ses enfants ? Qui les avait enterrés dans cette tendre étreinte ? Et comment étaient-ils morts ? Leur position supposait qu’ils avaient péri presque simultanément et avaient été placés ainsi avant d’être figés par la rigidité cadavérique. Était-ce une tragédie soudaine ou une sorte de rite sacrificiel ? La cause des décès n’était pas évidente : dents et os indiquaient une bonne santé et ne trahissaient aucun traumatisme. En l’absence de tissus mous à examiner, il était impossible de déterminer pourquoi ces trois personnes a priori en forme étaient mortes en même temps. « Peut-être se sont-ils noyés ? », avança Paul Sereno.
En reportage pour National Geographic, je faisais partie de l’équipe réunie sur cette dune en 2006. Aujourd’hui, près de vingt ans plus tard et père de deux enfants, je reste fasciné par cette scène énigmatique. Mais ce n’est que l’un des nombreux mystères de l’endroit. Tout comme le Ténéré est un désert dans le désert, Gobero est une énigme scientifique dans une énigme, et elle hante Paul Sereno, Oumarou Idé et beaucoup d’autres. En continuant à glaner des indices, ils font parler la complexité de ce monde disparu. Aussi, quand Paul Sereno m’a recontacté en 2022 pour me proposer de retourner à Gobero, j’ai dit oui.
La noyade de trois personnes dans du sable paraît absurde, sauf quand on se rappelle que le Sahara n’a pas toujours été un désert. Il passe d’ailleurs d’un état désertique à celui de savane tous les 21 000 ans environ. En raison d’une bizarrerie de la mécanique planétaire, l’axe de la Terre connaît périodiquement une légère oscillation, ce qui accentue le rayonnement solaire sur l’hémisphère Nord et fait remonter les pluies saisonnières de l’Afrique. Ces derniers millions d’années, le Sahara a donc connu bon nombre d’épisodes humides. Le plus récent débuta à la fin de la dernière période glaciaire, il y a environ 12 000 ans, et prit fin il y a près de 4 500 ans.
La technologie a permis de reconstituer les paysages de ce Sahara vert. Des satellites ont identifié les lits d’anciens cours d’eau et les contours de lacs, notamment le périmètre originel du lac Tchad, dont la superficie maximum était supérieure à celle de tous les Grands Lacs d’Amérique du Nord.
Les archéologues disposent d’indices encore plus flagrants de ce Sahara vert. Des milliers de gravures et de peintures rupestres témoignent de la vie florissante des populations locales de chasseurs-cueilleurs. Elles montrent des individus aux coiffes sophistiquées, armés de lances et de flèches. Mais elles figurent surtout des animaux – girafes, hippopotames, éléphants, rhinocéros et antilopes. Autant d’espèces associées aux régions plus humides de l’Afrique.
Agadez, la ville la plus proche de Gobero, a été créée des milliers d’années après la désertification du Sahara. Au xve siècle, c’était un comptoir commercial pour les caravanes de dromadaires reliant l’Afrique centrale et la Méditerranée.
Malgré ces images saisissantes, nous savons très peu de choses sur ces communautés. Au cours du XXe siècle, quelques sites archéologiques remarquables ont bien été trouvés et des fouilles ont révélé des tessons de poteries et des outils en pierre – des aperçus épars de ces cultures du Sahara vert. Mais, dans l’ensemble, le rayonnement intense, les vents violents et les dunes mouvantes ont éparpillé, enseveli et éliminé une grande partie des preuves de leur existence.
Il était donc quasi miraculeux que Paul Sereno tombe sur Gobero. Ne serait-ce que parce que ses premiers sujets d’étude avaient vécu des millions d’années plus tôt. Depuis le début des années 1990, celui qui était alors paléontologue à l’université de Chicago et Explorateur pour National Geographic, avait fait les gros titres par ses découvertes de nouveaux dinosaures au Sahara, dont l’Afrovenator, un carnivore très rapide, le Suchomimus, un autre carnivore de la taille d’un bus et à tête de crocodile, et le Jobaria, un herbivore de 20 m de long au cou interminable.
En 2000, Paul Sereno s’était mis en quête de nouveaux spécimens lors d’une expédition de repérage dans le Ténéré. Toute une matinée, son équipe avait longé une crête en un convoi de Land Rover. De temps à autre, les véhicules s’arrêtaient pour permettre aux chercheurs de faire leur office à pied. Puis, alors que le convoi s’apprêtait à rentrer au camp, le photographe Mike Hettwer s’éloigna vers trois petites dunes. Il remarqua qu’elles étaient jonchées d’os humains, de tessons de poterie, de perles, de pointes de flèches et d’autres objets en pierre. « C’était là, dans le sable, m’a-t-il raconté. Tout autour de nous. »