Au Moyen Âge, on jugeait (aussi) les animaux
Il fut un temps où les animaux faisaient régulièrement l’objet de procès, et ce en de nombreuses régions.
Illustration représentant une truie et ses porcelets jugés pour le meurtre d'un enfant. Le procès aurait eu lieu en 1457, la truie aurait été reconnue coupable et les porcelets auraient été acquittés.
« Nous avons retrouvé [des traces de ces procès] en France, en Suisse, en Allemagne, et peut-être aussi en Italie et en Espagne », témoigne Eric Baratay, historien spécialiste de l’histoire des relations hommes-animaux. Les premiers signes de ce type de procédures datent du 13eet 14e siècles et s'étendent jusqu’au 17e voire 18e siècle.
On connaît l'existence de ces procès d’animaux grâce aux travaux d’historiens amateurs du 19e siècle qui ont mis au jour un certain nombre de documents. Cependant, pour Eric Baratay, « l’étude n’a jamais été menée sérieusement. Nous sommes sûrs que les procès d’animaux ont existé, mais il y a beaucoup de zones d’ombres […] le problème est que trouver ces documents, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. »
LES DIFFÉRENTS TYPES DE PROCÈS
Trois types de procès ont néanmoins été mis en exergue par les historiens. Le premier concernait les procès pour accident impliquant des animaux. « Il s’agit de chevaux, de cochons, ou encore de chiens ayant provoqué des accidents vis-à-vis d’humains, souvent des enfants, dans les rues de villes ou de villages », explique l’historien. En 1266, on sait qu'un enfant a perdu la vie à Fontenay-aux-Roses à cause d’un cochon. En 1349, des faits similaires ont eu lieu à Châtillon-en Barrois, puis en 1403 à Meulan.
Le second type de procès impliquait les animaux dits « nuisibles », un terme anachronique qui permet pourtant de se figurer ce qui était reproché à ces créatures. « Des rongeurs, des insectes jusqu’aux mammifères marins le long des côtes, s’en prenaient aux récoltes », commente Eric Baratay. En 1543 par exemple, la cité de Grenoble a subi une attaque de chenilles et de limaces. En 1733, c’est la ville de Contrisson dans le département de la Meuse qui a vu ses moissons dévorées par des souris. Les agissements de ces animaux mettaient en danger les habitants du lieu, qui étaient dans l’obligation de rationner leurs ressources alimentaires durant la saison hivernale, jusqu’à la prochaine récolte.
Le dernier type de procès à l’encontre d’animaux qui nous est parvenu concernait les cas où « une personne était accusée d’avoir eu des relations avec un animal », explique l’historien. À l’époque, ce type de procédures portait le nom de procès en bestialité. Plus nombreux que nous ne pourrions le penser, de multiples preuves ont été retrouvées aux 16e et 17e siècles.
LES SANCTIONS JURIDIQUES
Chacune de ces procédures entraînait une sanction souvent irrévocable. Les retranscriptions des procédures démontrent que les procès pour accident impliquant des animaux, jugés par des tribunaux laïcs, sanctionnaient l'animal de mise à mort par pendaison, décapitation, ou au bûcher. À l’époque, « on jugeait les animaux doués de responsabilité », commente Eric Baratay. « C’est la grande différence avec notre droit actuel ».
Le jeune roi Philippe de France (1116-1131), fils du roi Louis VI le Gros, tué par un sanglier. Cette illustration a paru dans le manuscrit des Grandes Chroniques de France
En fonction du lieu où étaient rendus les jugements, il n’était pas rare que le propriétaire de l’animal soit aussi sanctionné. Sans lois écrites ou jurisprudence à l’échelle nationale, cette décision se prenait à l’échelle locale. Le juge d’une ville donnée avait le choix de condamner le propriétaire ou non. Si tant est qu’il ait reconnu son statut de propriétaire... « À l’époque, la notion de propriété était compliquée », relève l’historien. Il n’était pas rare de voir des cochons se promener seuls dans les rues. « Comment faire alors pour retrouver le propriétaire d’un animal donné ? Ce n’est pas évident ».
Le procès en bestialité était le seul qui en principe, entraînait la condamnation à mort des deux parties, l’animal et l’humain impliqués dans l’affaire. « Au 18e siècle, même si l’animal n’était pas consentant, il y avait cette idée d’effacer le péché », raconte l’historien. « Il ne faudrait pas que quelqu’un en voyant l’animal, ait l’idée de recommencer ».
Quant à l’humain impliqué, sa responsabilité directe était prévalente. « Contrairement au droit contemporain où il y a sans cesse une recherche de circonstances atténuantes, le droit du 18e siècle ne cherchait pas à savoir si l’animal avait été mal surveillé, ou si le propriétaire avait une part de responsabilité parce qu’il n’avait pas construit de barrière assez haute », commente le spécialiste.
Loups sur une enluminure du Bestiaire d'Aberdeen.
Enfin, le procès des animaux nuisibles, dans un premier temps, n’induisait pas une faute des animaux. Ces derniers ne cherchaient qu’à manger et il leur était simplement demandé d'aller se nourrir plus loin. Ainsi, les animaux n'étaient réellement qualifiés de nuisibles par le juge ecclésiastique que s’ils s’entêtaient à rester dans un endroit donné.
Au Moyen Âge, l’idée que l’animal était doué de raison et avait donc une responsabilité n’avait rien de surprenant. Cette conviction tirait son origine de plusieurs passages de la Bible défendant l’idée que « toute créature vivante fait partie de la communauté de Dieu et que par conséquent, est soumise aux mêmes règles » affirme Eric Baratay.
Ainsi, lorsque la destruction de récoltes était constatée dans un lieu-dit, les habitants pensaient que « les animaux ravageurs avaient été menés par Satan », explique l’historien. « Un exorcisme était donc pratiqué sur les animaux destructeurs ». S’ils s’entêtaient encore, « la prochaine étape était l’excommunication, c’est-à-dire la sortie des animaux concernés de la communauté de Dieu, ou en d’autres termes, la mort ».
Des épisodes dans la Bible et les vies des Saints relatent ce type de condamnations. Jésus aurait envoyé des cochons habités par des démons se précipiter dans le lac Tibériade. Saint Bernard, importuné par des mouches dans son monastère, leur aurait demandé de partir. Sans résultat, il les excommunia. Elles tombèrent raides mortes.
UN NOUVEAU STATUT
Cette croyance, reflet de l’influence de la religion, considérable à l’époque, a laissé sa place à une idéologie plus rationnelle à partir du 16e siècle par un mouvement de « juristes minoritaires prônant l’irresponsabilité des animaux, rendant impossible toute sanction à leur encontre », explique Eric Baratay. Ce changement de perspective au 17e siècle fut renforcé par les écrits de Descartes et « sa vision de l’animal-machine ». Depuis, « le droit est devenu anthropocentré, et n’appartient plus qu’aux humains ». Les animaux sont devenus des objets dont la propriété incombe aux humains.
Il faudra attendre la fin du 20e siècle pour qu’un droit des animaux réapparaisse. « Le problème a été de créer un statut pour les animaux qui ne soit pas celui des humains, tout en sortant de cette catégorie d’objet », explique l’historien.
À cette époque, un courant soutenu par des philosophes et des juristes contestait le régime de propriété de l’animal au profit d’un lien ou d’un contrat entre ce dernier et l'Homme. « Le but serait que les personnes conçoivent qu’elles ne sont pas les propriétaires naturelles des animaux, et qu’en définitive, elles ont une responsabilité envers eux », raconte l’historien. En 2015, la notion d’être vivant doué de sensibilité pour qualifier les animaux, a enfin émergé. Cette dernière a été intégrée à l’article 515-14 du Code civil.