Aux États-Unis, il était illégal d'être "moche"

Pendant près d’un siècle, les cruelles lois surnommées « ugly laws » interdisaient l'accès aux espaces publics pour les personnes atteintes de handicaps visibles ou de maladies, et qui ne correspondaient pas aux standards de beauté de l'époque.

De Ainsley Hawthorn
Publication 14 août 2024, 14:02 CEST
Un musicien de rue aveugle joue à New York, en 1898. Bien que New York n'ait ...

Un musicien de rue aveugle joue à New York, en 1898. Bien que New York n'ait jamais officiellement promulgué de « ugly law », elle a rédigé un projet similaire à ceux d'autres villes du pays, dans le cadre d'efforts plus larges visant à réglementer les comportements publics et l'esthétique.

PHOTOGRAPHIE DE Museum of the City of New York, Bridgeman Images

Des recherches ont démontré que la beauté offre un coup de pouce dans les relations, à l'école et dans le monde du travail. Mais pourriez vous imaginer qu'être considéré comme peu séduisant ne soit pas une difficulté sociale, mais plutôt un délit criminel ? Du milieu du 19ᵉ siècle au milieu du 20ᵉ siècle, les « ugly laws » (que l'on pourrait traduire par « lois laideur ») interdisaient aux personnes « disgracieuses » d'aller dans les espaces publics aux États-Unis.

On entend souvent parler du privilège de la beauté, concept qui définit le fait que ceux qui répondent aux critères de beauté de notre culture jouissent d'avantages non mérités. Cependant, cette législation a poussé à l'extrême les conséquences d'un non-respect de la norme. Découvrez ce que ces lois peu connues révèlent sur ce que notre société considère comme beau et comment elles ont affecté les personnes qui n'atteignent pas cet idéal.

 

LA MONTÉE DU PRIVILÈGE DE LA BEAUTÉ

Alors que les villes s'étendaient et que les espaces publics devenaient de plus en plus fréquentés, on vit croître l'importance du maintien de l'ordre et de l'esthétique dans les environnements urbains. En 1867, San Francisco fut la première ville à faire un crime de « l'exposition à la vue publique » de « n'importe quelle personne étant malade, estropiée, mutilée, ou déformée de quelque manière que ce soit de façon à constituer un objet inesthétique ou dégoûtant ».

Cette législation s'étendit rapidement aux autres villes et États, notamment Reno dans le Nevada, Portland dans l'Oregon, Chicago dans l'Illinois, la Nouvelle-Orléans en Louisiane, et la Pennsylvanie. Elle ciblait les personnes avec des handicaps visibles. Elle s'inscrivait dans le cadre d'un effort plus large visant à réglementer le comportement public et à faire respecter les normes sociales, apparaissant souvent aux côtés des restrictions relatives à l'intégration raciale, à l'immigration et au vagabondage, selon Susan M. Schweik, autrice de The Ugly Laws: Disability in Public.

Une coupure de journal provenant de The San Francisco Call, datée du 9 mars 1895, met en exergue l'application de la « ugly law » de San Francisco, l'une des premières du pays.

PHOTOGRAPHIE DE Image Courtesy Library of Congress

Certains justifièrent ces lois comme étant des mesures sanitaires publiques en croyant à tort que le fait de voir une personne handicapée pouvait littéralement rendre malade une personne en bonne santé. D'autres soutenaient que permettre aux personnes handicapées de réclamer de l'argent simplifiait la tâche aux charlatans qui prétendaient être atteints d'un handicap. Les lois semblent avoir été essentiellement motivées par le dégoût.

Le journaliste Junius Henri Browne écrivit dans The Great Metropolis, les mémoires de sa vie à New York, que « lorsque vous vous apprêtez à dîner ou à rendre visite à votre bien-aimé, ou que vous avez composé dans votre esprit la dernière strophe du nouveau poème qui vous a donné tant de fil à retordre, il n'est pas agréable d'être confronté à une vision détestable. »

Ces lois coûtèrent à certaines personnes la possibilité de gagner leur vie. Les vendeurs ambulants, les mendiants et les artistes handicapés étaient contraints d'abandonner leur emploi parce que leur présence perturbait la jouissance des espaces urbains par le public.

Par exemple, au milieu des années 1910, un homme de Cleveland âgé de trente-cinq ans, aux mains et aux pieds meurtris, dut renoncer à son emploi de vendeur de journaux en raison de cette loi. Il lutta pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille jusqu'à ce que le propriétaire d'une pharmacie locale l'autorise à vendre depuis le perron de la boutique, de sorte qu'il se trouve sur une propriété privée, et non municipale.

« Helen Keller et le président Franklin D. Roosevelt n'étaient pas des cibles de la loi », déclare Schweik. « Sa fonction la plus évidente était d'empêcher ou de dissuader les personnes atteintes de handicaps visibles de demander de l'argent dans les espaces publics. »

Certains partisans de cette loi pensaient que, si l'on déplaçait les personnes handicapées des rues vers des institutions spécialisées, elles recevraient de meilleurs soins. Cette approche, cependant, ne fit qu'accentuer la marginalisation en privant les personnes handicapées de leur droit à l'autodétermination et en les isolant du reste de la société.

Tout le monde ne soutenait pas les ugly laws. Certains maires commencèrent à délivrer des permis de colportage spécifiquement aux personnes handicapées afin de garantir leurs revenus et les passants intervenaient souvent lorsque la police tentait une arrestation, ce qui rendait l'application de la loi difficile.

Par exemple, en 1936, lorsqu'un policier de Chicago tenta d'arrêter Ben Lewis, un amputé noir, en donnant un coup de pied dans sa jambe valide, quatre passants blancs attaquèrent le policier tandis que des centaines d'autres se rallièrent à eux.

 

L'IMPACT DURABLE DES UGLY LAWS

Bien que les ugly laws ne soient plus en vigueur, la dernière arrestation liée à ces lois remonte à 1974, en vertu d'une ordonnance d'Omaha, dans le Nebraska, et leur héritage continue d'influencer les attitudes à l'égard du handicap et de l'espace public. 

« Au lieu de lois sur la laideur dans les espaces publics, les villes ont désormais des plans de gestion des trottoirs épurés pour empêcher ou dissuader les actes de certaines personnes que d'autres considèrent comme peu esthétiques, comme le fait de rester trop longtemps dans la rue, de s'y asseoir, d'y dormir, d'y avoir des affaires ou d'être manifestement dans un état de besoin excessif », explique Schweik.

Les ugly laws, cependant, ont également un résultat positif. Dans les années 1970, les défenseurs des handicaps utilisèrent les lois comme un exemple choquant de discrimination qui démontra leur besoin de protection des droits civils. Leur mobilisation conduisit à la « American with Disabilities Act of 1990 » (« la Loi sur les Américains avec handicap de 1990 »), qui oblige les entreprises et les gouvernements à prévoir des aménagements pour les personnes handicapées.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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