Chasseuses et guerrières : ces sépultures rebattent les cartes du genre à travers l’Histoire

De récentes réévaluations scientifiques de restes humains amènent les historiens à reconsidérer la fréquence à laquelle des femmes ont pu être honorées comme des guerrières tout au long de l’Histoire.

De Tom Metcalfe
Publication 3 févr. 2025, 15:15 CET
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Dans un cimetière ancien de Sárrétudvari, en Hongrie, des archéologues ont identifié les restes d’une femme âgée (représentée ci-dessus) du 10e siècle enterrée avec un arc et d’autres artefacts liés au tir à l’arc.

ILLUSTRATION DE Luca Kis

Dans les années 1980, on découvrit une collection déroutante d’artefacts dans une tombe du 10e siècle : un arc, une pointe de flèche… et des bijoux. Les premières études suggérèrent que la personne inhumée était probablement de sexe masculin. Mais un nouvel examen de son squelette a révélé qu’il s’agissait en réalité d’une femme.

Cette révélation apporte une perspective nouvelle dans le débat sur le fait que des femmes aient pu être des guerrières de la Préhistoire au Moyen Âge. Les chercheurs veillent à ne pas suggérer que cette femme puisse avoir utilisé cet arc pour faire la guerre – plutôt que pour chasser, par exemple, ou pour se défendre en gardant des troupeaux. Mais ils n’excluent pas la possibilité que sa société ait vu en elle une « guerrière » – tandis que des spécialistes soulignent que l’idée selon laquelle seuls les hommes pouvaient être des guerriers est faussée par des conceptions modernes. 

« Il est tentant de dire que c’était une guerrière [mais] nous avons choisi de laisser la question en suspens », explique Balázs Tihanyi, bio-archéologue de l’Université de Szeged, en Hongrie, et co-auteur de la nouvelle étude parue dans PLOS One. Comme il l’observe, les archers montés étaient une composante essentielle de l’art de la guerre hongrois à l’époque, et si la femme était une archère et une cavalière douée, alors il est possible qu’elle ait pris part à des combats. D’un autre côté, rappelle-t-il, les arcs servaient également pour la chasse, et de nombreuses femmes hongroises de cette époque, en particulier chez les Magyars, un peuple semi-nomade, portaient des arcs pour se défendre et pour protéger le bétail.

Une kyrielle d’erreurs d’identification de ce type ont émergé au cours de la décennie passée : une jeune femme enterrée avec des pointes de projectiles en pierre il y a 9 000 ans au Pérou ; une femme enterrée avec une épée et un bouclier il y a 2 000 ans sur les îles Scilly, en Grande-Bretagne ; une personne possiblement non-binaire enterrée avec une épée en Finlande il y a 1 000 ans ; et la tombe de guerrière d’une Viking en Suède.

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Le squelette de la sépulture numéro 63 a été exhumé dans les années 1980 et a fini dans la collection de l’Université de Szeged, en Hongrie.

PHOTOGRAPHIE DE Luca Kis

 

QU’ABRITAIT LA TOMBE HONGROISE ?

C’est en Hongrie, au milieu des années 1980, près du village de Sárrétudvari, à 160 kilomètres environ à l’est de Budapest que des archéologues découvrirent l’ancien cimetière où cette tombe se trouvait. Puisque des agriculteurs souhaitaient exploiter cette terre, des archéologues ont entrepris des fouilles scrupuleuses pour documenter le cimetière tant qu’ils le pouvaient encore. Ils mirent au jour plus de 260 tombes creusées entre l’âge du bronze et l’époque de la conquête magyare de la plaine de Pannonie aux 9e et 10siècles.

À l’instar de nombreuses tombes appartenant à de nombreux hommes enterrés dans le cimetière à la même époque, la tombe numéro 63 contient des vestiges liés au tir à l’arc ; une pointe de flèche, des morceaux d’un carquois en fer et la partie centrale d’un arc fabriqué à partir d’une ramure de cervidé (les extrémités de l’arc étaient en bois et se sont décomposées). Mais elle contenait des bijoux typiques des tombes de femmes du même site : boutons, perles et un anneau pour tenir les cheveux longs.

Les restes exhumés lors des fouilles ont été entreposés à l’Université de Szeged, où Balász Tihanyi et ses collègues les ont étudiés ces dernières années. La première étape pour essayer d’identifier le sexe d’un squelette ancien est généralement de s’intéresser à la forme de ses os et aux objets présents dans la tombe. Le séquençage de l’ADN et l’analyse génomique peuvent également permettre aux chercheurs de savoir si l’individu possédait des chromosomes X ou Y.

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    Gauche: Supérieur:

    Les indices fournis les os d’un individu, comme celui de la mâchoire, peuvent renseigner sur son sexe.

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    Le crâne de la tombe numéro 63 possède certaines caractéristiques féminines, comme l’absence ou la quasi-inexistence de proéminence au niveau du front.

    Photographies de Luca Kis

    Les chercheurs ont examiné le pelvis du squelette en question et son crâne ainsi que l’ADN récupéré dans une dent, dans un os de l’oreille interne et dans un fragment de l’humérus gauche. Toutes ces méthodes ont permis d’établir que l’individu était de sexe féminin, explique Balász Tihanyi. En outre, des traces de blessures résorbées, de l’usure au niveau des articulations et des signes d’ostéoporose, une maladie affaiblissant les os, suggéraient que la femme en question avait été active physiquement durant sa vie mais qu’elle était d’âge mûr, voire avancé, quand elle est morte, révèle-t-il.

    Dans la région, les sépultures d’autres femmes contiennent souvent des traces d’armes, comme des pointes de flèche uniques. Mais « ces objets étaient généralement vus non comme des armes mais comme des amulettes ayant une portée symbolique ou superstitieuse », explique Balász Tihanyi. Les armes, les objets et le style de la tombe numéro 63 correspondent aux armes découvertes dans les tombes masculines du cimetière. Pourtant « dire si cet individu était une ‘guerrière’ est une question plus complexe qui reste ouverte au débat en raison d’une absence de preuves irréfutables », prévient-il.

     

    SON ARC SERVAIT-IL À CHASSER OU À FAIRE LA GUERRE ?

    Des armes de chasse ont été découvertes dans les tombes de plusieurs femmes préhistoriques, ce qui suggère que la chasse était une tâche importante pour les femmes dans de nombreuses sociétés anciennes. Selon Cara Wall-Scheffler, bio-anthropologue de l’Université du Pacifique à Seattle qui analysé des études portant sur des chasseuses de la Préhistoire, on peut utiliser le style et la technologie de ces armes pour les distinguer, mais aussi les blessures passées et l’usure provoquée par des activités physiques, dont les squelettes gardent la mémoire. Mais « je pense que les gens doivent être capables de passer d’un type de tâche à un autre pour survivre », affirme-t-elle ; donc une personne qui principalement chassait a également pu faire la guerre.

    Bettany Hughes, historienne britannique et spécialiste des femmes qui ont pu être guerrières, affirme avoir vu des preuves de cela dans la région du Caucase, entre les mers Noire et Caspienne, notamment grâce à l’existence de nombreux squelettes préhistoriques de femmes présentant des lésions s’étant résorbées qui n’auraient pu être infligées qu’au combat. Certaines présentaient également des signes d’une pratique régulière de l’équitation et intensive du tir à l’arc ; plusieurs centaines de flèches décochées, soit bien plus qu’il n’en aurait fallu pour chasser.

    L’historienne souligne que les femmes des régions les plus montagneuses se souviennent que leurs arrière-grand-mères racontaient qu’elles se couvraient le visage pour qu’on les prenne pour des hommes lors des batailles dans les plaines. « Nous pourrions considérer que ces histoires sont des légendes, mais c’est quelque chose qui est à portée de mémoire dans certains de ces villages », indique Bettany Hughes.

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    La tombe numéro 63 contenait les artefacts suivants : 1) une pointe de flèche ; 2) un bouton de ceinture ; 3) anneau capillaire penannulaire ; 4) des perles enfilées ; 5) des fragments de boutons de ceinture ; et 6) une plaque pour arc en ramure de cervidé.

    PHOTOGRAPHIE DE Photographs by Zoltán Faur and Luca Kis

     

    UNE CHEFFE VIKING

    Si la fonction des armes demeure ambigüe en ce qui concerne des sépultures telles que celle découverte en Hongrie, le doute n’est pas permis quant à la sépulture viking de Birka, en Suède : la femme qui se trouve là a été enterrée avec le décorum réservé aux chefs vikings : avec des épées, des pointes de flèches, une lance et deux chevaux sacrifiés. Sa tombe recélait également un sac contenant des pièces de jeu et un plateau de jeu, ce qui suggère une étude stratégique par un chef militaire.

    Charlotte Hedenstierna-Jonson, archéologue de l’Université d’Uppsala, en Suède, a analysé la tombe. Selon elle, cette sépulture sophistiquée montre que cette femme faisait partie de l’élite de sa communauté. « Je ne pense pas que le genre soit si important, déclare-t-elle. Nous en faisons quelque chose d’important aujourd’hui, mais je pense que la principale caractéristique de cette individue est qu’elle était une guerrière. »

    Pour la plupart, les femmes vikings n’étaient probablement pas des guerrières, il est donc possible que cette femme ait hérité de son rôle : « Je pense qu’elle venait d’une famille dont il était attendu qu’un membre occupe cette position [de chef de guerre] et que pour une raison ou pour une raison, elle était la seule de la famille capable de tenir cette position », explique la chercheuse. Pourtant, fait-elle observer, chez les Vikings, en matière de coutumes funéraires, la crémation était la norme ; celle-ci détruit complètement l’ADN. Ainsi, d’autres guerriers vikings que l’on pensait être des hommes ont en fait pu être des femmes. 

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    Gauche: Supérieur:

    La « guerrière » hongroise présentait des fractures au niveau des deux clavicules. Ici, la clavicule gauche est brisée en trois fragments.

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    De nouvelles formations osseuses entre les fragments indiquent que la blessure a guéri.

    Photographies de Luca Kis

     

    TEST DENTAIRE

    Même quand de l’ADN subsiste, il peut être trop vieux et dégradé pour apporter aux scientifiques des informations sur le sexe. L’une des raisons pour lesquelles tant de tombes de « guerriers » mal identifiés ont surgi ces dernières années est peut-être la disponibilité depuis une dizaine d’années d’un test sexuel s’appuyant sur l’émail des dents humaines, qui contiennent des versions légèrement différentes de l’amélogénine, une protéine, selon que la personne est de sexe masculin ou féminin. Au lieu de compter uniquement sur des analyses ADN pour déterminer le sexe de restes humains, les archéologues peuvent désormais dépister ces protéines révélatrices dans l’émail dentaire, même quand l’ADN est trop dégradé pour être exploité.

    « Les estimations du sexe grâce à l’amélogénine ont changé la donne pour répondre aux questions sur le sexe et le genre dans le passé », explique l’archéologue Randy Haas de l’Université du Wyoming qui a employé cette technique pour déterminer le sexe de la personne enterrée dans une sépulture au Pérou. Comme il l’explique, les dents peuvent subsister alors même que d’autres os se sont dégradés et les protéines présentes dans l’émail dentaire peuvent subsister plus longtemps que l’ADN ; l’analyse de l’amélogénine est également moins coûteuse que celle de l’ADN.

    Selon Anna Wessman, archéologue de l’Université de Bergen, en Norvège, qui a étudié la tombe de la femme viking à Birka, en Suède, cette technique a revitalisé l’étude de nombreux restes humains désormais conservés dans des musées. « Les études de ce type apportent également de la nuance aux idées souvent binaires que nous avons sur les rôles de genre dans les sociétés préhistoriques », déclare-t-elle.

     

    UN DÉFI À L’HISTOIRE

    Simon Mays, archéologue de l’Université de Southampton, au Royaume-Uni, a dirigé les fouilles réalisées sur les îles Scilly. Selon lui, il est logique d’accepter que la femme enterrée avec un arc dans la tombe hongroise ait pu être une guerrière : « L’inclusion d’armes semble être courante ici dans les sépultures d’hommes et semble indiquer un rôle martial ; donc je pense que nous devrions accepter celui-ci en ce qui la concerne également. »

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    Les Magyars (représentés sur cette gravure) trouveraient leurs origines en Russie. Vers l’an 800 de notre ère, des soldats magyars rejoignirent les forces turques et bulgares et ne tardèrent pas à s’emparer de larges pans de territoire dans le sud de la Russie.

    PHOTOGRAPHIE DE Ivy Close Images, Alamy Stock Photo

    Comme il l’explique, la violence était omniprésente dans les sociétés préhistoriques, et si les femmes semblent avoir rarement pris part à des raids, « elles se défendaient, elles et leurs familles, quand on les attaquait, avec tout ce qui leur passait sous la main ». Selon lui, plusieurs femmes enterrées avec des armes pourraient avoir plus tard été présumées hommes et que de nouvelles techniques pour déterminer le sexe, comme l’analyse amélogénine, pourrait en révéler davantage. « Cela ne me dérangerait pas de parier que, si l’on procédait ainsi, quelques autres ‘guerrières’ apparaîtraient. »

    Les découvertes de telles femmes ont d’ores et déjà remis en question les stéréotypes et les hypothèses historiques selon lesquels seuls les hommes faisaient la guerre, et elles commencent peut-être déjà même à changer la perception que l’on a de l’Histoire.

    Marin Pilloud, anthropologue de l’Université du Nevada à Reno, qui a étudié les restes de chasseuses de la Préhistoire, voit une plus grande ouverture dans l’idée que certaines femmes, a minima, étaient en réalité des guerrières. « Je pense que les archéologues commencent à admettre que nous ne pouvons pas interpréter le passé en fonction de la façon dont nous percevons le présent », observe-t-elle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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