Lee Miller : du mannequinat au reportage de guerre

Lee Miller, mannequin pour Vogue devenue correspondante de guerre, est parvenue à s’affranchir des carcans, que ce soit devant ou derrière l'objectif.

De Erin Blakemore
Publication 16 oct. 2024, 16:09 CEST
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Elizabeth « Lee » Miller, dont on voit ici un portrait réalisé vers 1943, mena une vie avant-gardiste. Elle fut tour à tour mannequin, artiste surréaliste et photographe de guerre – nous lui devons d’emblématiques images de la Seconde Guerre mondiale. Sa vie fait actuellement l’objet d’un film biographique avec Kate Winslet dans le rôle-titre.

PHOTOGRAPHIE DE Prismatic Pictures, Bridgeman Images

Lee Miller pose pour une photo dans une baignoire où se dissolvent la sueur et la saleté accumulées pendant plusieurs semaines de guerre. Il ne s’agit pas une salle de bain ordinaire : il s’agit du sanctuaire personnel du dictateur nazi Adolf Hitler, mort en se suicidant le jour même à Berlin.

Lee Miller, photographe de guerre, venait de pénétrer dans le domicile munichois d’Hitler alors que les Alliés progressaient en Allemagne. Cette improbable photo d’un canon de beauté américain prenant un bain dans la baignoire personnelle du Führer devint l’une des images les plus inoubliables des derniers jours de la Seconde Guerre mondiale.

Ancienne mannequin, Lee Miller savait présenter son meilleur profil. Mais la photo peine à tout dire de la complexité de son sujet ; une muse, une artiste travailleuse et une photographe avant-gardiste à part entière dont le parcours de vie fait désormais l’objet d’un film biographique avec Kate Winslet dans le rôle-titre.

Voici comment Elizabeth « Lee » Miller s’affranchit des carcans, tant devant l’objectif que derrière, et troqua les pages de Vogue pour les champs de bataille européens.

 

UNE MANNEQUIN NON CONFORMISTE

Lee Miller vit le jour en 1907 au sein d’une famille aisée de Poughkeepsie, dans l’État de New York. Son enfance fut marquée par les traumatismes : elle eut une scolarité difficile et subit notamment à l’âge de sept ans un viol à cause duquel elle contracta la gonorrhée, maladie alors stigmatisée et quasi-incurable. Ses relations familiales aussi étaient malsaines ; son père, Theodore, était photographe amateur et la fit poser nue durant toute son enfance et son adolescence.

À dix-huit ans, Lee Miller était ambitieuse, d’une beauté à couper le souffle et prête à jouer avec les normes établies. Elle déménagea à New York pour poursuivre une carrière d’artiste, d’actrice et de mannequin.

Par chance, ou par un calcul habile, son grand moment ne tarda pas à se présenter : elle fut sauvée d’une voiture qui fonçait droit sur elle par Condé Nast, légendaire fondateur de Vogue et homme le plus influent de la mode. L’événement ne tarda pas à intégrer le canon des légendes du monde de la mode ; pour l’historienne Patricia Allmer, le fait qu’elle se soit presque jetée sous les roues d’une voiture était peut-être « une décision consciente », car elle savait probablement qui était Condé Nast et souhaitait attirer son attention. Rapidement, Lee Miller devint une mannequin incontournable.

Lee Miller pose pour Vogue dans l’appartement de Condé Nast en 1928. D’après la légende, elle aurait attiré son attention en se faisant sauver par lui d’une voiture qui fonçait droit sur elle ; une rencontre qui fut peut-être le fruit d’un calcul.

PHOTOGRAPHIE DE Edward Steichen, Condé Nast via Getty Images

En 1929, la carrière de Lee Miller prit une nouvelle direction lorsque sa photographie apparut dans une publicité pour les tampons Kotex. C’était la première fois qu’une femme reconnaissable posait pour une publicité pour des produits menstruels, une chose scandaleuse à l’époque qui compromit sa carrière de mannequin grand public. Elle se mit alors à travailler en coulisses pour Vogue et partit pour l’Europe en 1929 pour un projet de recherche. C’est à ce moment-là qu’elle décida de devenir photographe.

 

MUSE SURRÉALISTE ET PHOTOGRAPHE EN HERBE

En Europe, Lee Miller choisit rapidement de devenir l’apprentie de l’un des artistes les plus connus en France alors, l’expatrié américain et photographe surréaliste Man Ray. Elle se présenta non sans audace à ce photographe plus âgé qu’elle dans son studio parisien et devint vite son apprentie, son amante et sa muse.

En même temps que les photographies de Man Ray faisaient du corps de Lee Miller l’une des figures les plus reconnaissables du mouvement surréaliste, celle-ci s’affirma en tant que photographe douée. Elle collabora avec d’autres artistes, comme Pablo Picasso et Jean Cocteau, et employa des innovations photographiques et techniques telles que la solarisation, qui consiste à surexposer une pellicule pour en inverser les tons et créer un effet éthéré, pour faire progresser son art.

Au début des années 1930, Lee Miller se réinstalla à New York, y établit son propre studio photographique et commença à exposer son travail. Après un bref mariage avec l’homme d’affaires égyptien Aziz Eloui Bey, Lee Miller rencontra le photographe surréaliste Roland Penrose qu’elle suivit en Angleterre et finit par épouser.

Alors qu’elle vivait avec Roland Penrose à Londres, la Seconde Guerre mondiale éclata et elle repoussa encore un peu plus les limites de son monde en devenant correspondante de guerre pour Vogue.

 

UNE PHOTOGRAPHE DE GUERRE PIONNIÈRE

À l’époque, la plupart des correspondant de guerre étaient des hommes. Lee Miller apporta à son travail un regard à la fois surréaliste et féminin et documenta la Blietzkrieg tout en contribuant à l’extension du domaine des événements qu’un magazine de mode pouvait couvrir. Après le débarquement en Normandie, elle retourna en Europe et photographia des champs de batailles contre la volonté des officiels américains qui ne voulaient pas d’une femme en première ligne.

Pour se rapprocher du front, elle s’associa à son ami et amant par intermittence Dave Scherman, photographe accrédité pour le magazine LIFE. « C’était la seule dame […] à être restée durant le siège de Saint-Malo », écrivit-il plus tard. Il en vint à admirer son cran et sa détermination, et ensemble ils suivirent les Alliés qui se frayaient un chemin vers l’Allemagne.

C’est Dave Scherman qui immortalisa Lee Miller en train de prendre un bain dans la baignoire d’Hitler, quelques jours à peine après qu’ils se furent hasardés dans le camp de concentration de Dachau avec les Alliés. On ne sait pas qui eut l’idée de poser les bottes de Lee Miller, encore souillées par la terre des fosses communes qu’elle venait de photographier, sur le tapis de bain immaculé devant la baignoire.

Lee Miller resta en Europe pour photographier les conséquences de la guerre et produisit des images mémorables des effets du conflit sur les femmes et les enfants tout en continuant de perfectionner ses techniques. Mais les troubles de stress post-traumatique, la maternité et la fin de l’enthousiasme pour la photographie de guerre laissèrent des traces. Elle souffrit de crises dues à ses troubles mentaux et devint alcoolique.

Comme l’écrit Patricia Allmer, bien que le profil de Lee Miller s’effaçât durant l’après-guerre, sa disparition légendaire dans l’obscurité n’est que cela : un mythe. Dans les faits, elle resta bel et bien active après la guerre et devint une cheffe gastronomique reconnue. Elle photographia également son ami Pablo Picasso et poursuivit ses activités dans le monde de l’art. « Artiste active ayant choisi son destin », pour reprendre les mots de Patricia Allmer, elle ne disparut jamais vraiment, elle ne fit que se transformer en une nouvelle version d’elle-même, moderne et sans compromis. Elle mourut d’un cancer des poumons à l’âge de soixante-dix ans.

De nos jours, en grande partie grâce au travail de son fils, qui préserva des dizaines de milliers de ses photographies et écrivit la première biographie qui lui fut dédiée, l’héritage de Lee Miller continue d’influencer les mondes de la mode, de la photographie et de l’art.

« La personnalité du photographe, son approche, importent vraiment davantage que son génie technique », dit-elle un jour. Mais Lee Miller était douée des deux ; et grâce à des biographies récentes et au film biographique porté par Kate Winslet, une nouvelle génération pourra connaître cette innovatrice insaisissable et ambitieuse.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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