Ce tombeau royal vieux de 2 400 ans a été découvert par accident pendant la Seconde Guerre mondiale

En creusant des tranchées lors de la Seconde Guerre mondiale, des soldats bulgares ont mis au jour la tombe de Kazanlak : la première découverte d'une longue série dans la "Vallée des Rois thraces", nécropole du 4e siècle avant notre ère.

De Julius Purcell, Ángel Carlos Aguayo Pérez
Publication 15 nov. 2024, 16:40 CET
CHAMBRE FUNÉRAIRE PEINTE

C’est sur le plafond peint de la chambre funéraire de la tombe de Kazanlak que se trouve l’image la plus connue de cette sépulture thrace : un couple assistant à un banquet entouré de serviteurs, de musiciens et d’un char.

PHOTOGRAPHIE DE Age Fotostock

Lors de la Seconde Guerre mondiale, les combats conduisirent à des découvertes surprenantes près de la ville bulgare de Kazanlak. La Bulgarie s’était rangée du côté de l’Allemagne nazie et, vers la fin de la guerre, le pays fut bombardé par les Alliés à l’ouest, tandis que la menace d’une invasion soviétique se profilait à l’est. Pour protéger son pré carré, l’armée bulgare construisit des défenses anti-aériennes près de la ville de Kazanlak, dans le centre du pays. Ces travaux donnèrent lieu à une remarquable série de découvertes archéologiques qui repoussèrent grandement l’horizon de nos connaissances sur les peuples anciens ayant vécu dans la région des milliers d’années avant la Seconde Guerre mondiale, et dont le royaume se nommait Thrace.

 

DES CHEVAUX ET DE L’OR

L’ancienne région de Thrace recouvrait un territoire comprenant de nos jours la Bulgarie, le nord-ouest de la Turquie, le sud de la Roumanie et le sud-est de la Serbie. De manière assez semblable à la Bulgarie des années 1940, la Thrace se situait à des carrefours géopolitiques et était entourée d’importantes puissances rivales : la Perse, Athènes, et plus tard la Macédoine ; autant de voisins avec qui les royaumes thraces formèrent une série d’alliances changeantes.

A golden mask

Masque en or à l’effigie du roi thrace Térès Ier exposé au Musée d’Histoire de Kazanlak, en Bulgarie.

PHOTOGRAPHIE DE Evgeni Ivanov, Alamy

Ce que l’on sait de la Thrace vient en grande partie de sources écrites grecques composées par des colons qui vivaient sur le littoral de la mer Noire, en bordure de la région, et qui admiraient et redoutaient à la fois ces habitants à l’air farouche de l’intérieur des terres. Homère les décrivit comme alliés des Troyens dans L’Iliade et dans L’Odyssée : des guerriers aristocrates qui faisaient étalage de leur or et de leurs chevaux racés.

La culture thrace est empreinte d’influences aussi bien orientales qu’occidentales. Les verres, les gobelets, les coupes et les tasses de l’élite, fabriqués à partir de métaux précieux, furent inspirés par des styles et motifs grecs et perses. Les Thraces n’étaient que des barbares pour les Grecs, mais au contact de ces derniers, ils finirent par assimiler leurs dieux à Apollon et à Hermès. Les écrits grecs sur les Thraces dénotaient souvent leur nature belligérante et, avec soulagement, leur désunion : « S’ils étaient gouvernés par un seul homme […] ils seraient le plus puissant de tous les peuples », écrivait l’historien grec Hérodote, « mais cette union est impraticable, et c’est cela qui les rend faibles. »

Toutefois, en 479 avant notre ère, la retraite des Perses après leur défaite face aux Grecs entraîna une vacance du pouvoir et donna aux Thraces l’occasion de s’unir. Le roi Térès Ier, fondateur du royaume des Odryses, tira son épingle du jeu et quarante tribus thraces s’agrégèrent sous son règne.

Bien que le royaume des Odryses fût conquis par le père d’Alexandre le Grand, Philippe II de Macédoine, entre 342 et 340 avant notre ère, les co-rois odrysiens conservaient un certain degré d’indépendance. Si des tensions existaient avec la Macédoine, on vit toutefois fleurir nombre de monuments odrysiens sous le règne du roi Seuthès III. Celui-ci exerçait le pouvoir dans une capitale à la place de laquelle se tient désormais la ville de Kazanlak, en Bulgarie, où, en 1944, des soldats bulgares découvrirent un tombeau thrace : le premier d’une longue série.

 

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    PEINTURES ÉNIGMATIQUES

    La première des grandes découvertes thraces à Kazanlak eut lieu en avril 1944. En creusant des tranchées, des soldats trébuchèrent sur un tombeau renfermant des fresques hautes en couleur. Les archéologues finiraient par découvrir que cet endroit, la tombe thrace de Kazanlak, n’était pas un monument unique en son genre : il faisait partie d’une nécropole royale qui, à partir du 4e siècle avant notre ère, commença à s’étirer sur plusieurs kilomètres à travers le paysage autour d’une ancienne cité thrace.

    Passageway

    Couloir de la tombe thrace de Kazanlak qui mène à la chambre funéraire. Au-dessus des panneaux incrustés hauts en couleur se trouve une frise représentant des cavaliers et des soldats se faisant face.

    PHOTOGRAPHIE DE Hervé Hughes, Gtres

    Une équipe d’archéologues menée par Dimitar P. Dimitrov, directeur du Musée d’archéologie de Sofia, put lancer une investigation scientifique du site en 1948. La tombe thrace de Kazanlak se compose d’une antichambre, d’un couloir communiquant et d’une chambre funéraire circulaire, tous richement décorés. Bien que pillée par le passé, ses décorations murales demeurent en bon état.

    Les murs du couloir situé à l’entrée sont entièrement couverts de fresques colorées. Son socle, peint en noir, et son listel blanc, qui marque l’endroit à partir duquel se dresse le toit, donnent tous deux l’illusion d’être des dalles de pierre. Au-dessus de ces moulures se trouve une frise stylisée à l’aide de motifs végétaux. Deux scènes de combat représentant des unités d’infanterie faisant face à une cavalerie y sont peintes dans les styles thrace et macédonien.

    La chambre funéraire est quant à elle une tholos en forme de ruche. À l’intérieur, les archéologues découvrirent des fragments d’une couronne, une amphore et, surtout, les ossements de deux personnes, un homme et une femme qui vécurent au début du 3e siècle avant notre ère. Beaucoup sont persuadés que les restes masculins sont ceux du prince Roygos, fils de Seuthès III, et que les ossements féminins sont ceux de son épouse.

    Le plafond de la chambre funéraire arbore l’image la plus connue du tombeau : un couple assis à une table de banquet. Les fresques sont disposées en trois anneaux concentriques. L’architrave est décorée de rosettes ainsi que d’un bucranium (le crâne d’un bœuf sacrificiel). Le premier cercle montre le couple se saisissant les poignets devant une table bardée de mets. Autour d’eux, des serviteurs apportent de la nourriture et du mobilier, et jouent d’instruments à vent. Derrière, deux palefreniers et un soldat s’occupent d’un char et de deux chevaux. Au centre, trois chars font la course.

    Les spécialistes continuent de débattre sur l’interprétation qu’il faut attribuer à cette scène. Les deux membres du couple pourraient être les occupants du tombeau, mais aussi les dieux des Enfers, Hadès et Perséphone, comme pourrait l’indiquer un plateau de grenades, fruit que l’on associe généralement à la déesse.

    Burial chamber

    La voûte du tholos de la tombe de Kazanlak ne mesure que 3 mètres de hauteur. Cette photographie montre une reconstitution moderne accessible aux touristes.

    PHOTOGRAPHIE DE Age Fotostock

    On peut également y voir une course de chars, référence probable aux jeux funéraires que l’on organisait après le décès d’un aristocrate. Avec les autres fresques de la tombe, il s’agit de l’œuvre bulgare de l’époque hellénistique la mieux préservée. Le tombeau fut inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1979.

     

    PAYSAGE THRACE

    Les archéologues savaient qu’il existait d’autres monuments thraces dans la région. Mais après la Seconde Guerre mondiale, le temps pressait pour fouiller ces terres des alentours de Kazanlak. Le régime communiste de Bulgarie prévoyait d’inonder la campagne environnante pour ériger le barrage de Koprinka, qui existe encore aujourd’hui. Il était donc plus urgent que jamais d’inspecter ces édifices avant qu’ils ne soient inondés.

    Ceramic amphora

    La tombe fut pillée et ne contenait que quelques objets, tels que cette amphore en céramique. Ses fresques, quant à elles, sont en bon état.

    PHOTOGRAPHIE DE Christian Kober AWL Images

    À la fin des années 1940, les archéologues, qui s’étaient finalement vu accorder quelques années pour mettre au jour et archiver ce qu’ils pouvaient, identifièrent Seuthopolis, l’ancienne capitale thrace et odrysienne, qui fut fondée à la fin du 4e siècle avant notre ère.

    Au cours des décennies qui suivirent, il devint évident que la région des environs de Kazanlak était en réalité un vaste paysage de l’ancienne Thrace regorgeant de monuments. La classe dirigeante thrace se fit en effet construire de nombreux tombeaux peints, et la tombe de Kazanlak en est un exemple remarquable.

    Dès les années 1990, des fouilles conduites par Georgi Kitov permirent l’étude de 300 tertres et de 15 tombeaux majeurs. Beaucoup avaient été pillés durant l’Antiquité, mais l’un d’eux, une tombe entièrement préservée découverte en 2004 sous le tertre de Golyamata Kosmatka, contenait une couronne dorée, des coupes (kylix), des épées, des grèves ainsi qu’un bouclier. Sur l’une des coupes était gravé en grec le nom de Seuthès, ce qui conduit Georgi Kitov à croire que cette tombe n’appartenait à nul autre qu’au grand roi.

    En raison de l’étendue et la splendeur de la nécropole, certains historiens la surnomment la « Vallée des Rois thraces ». Il s’agit de l’une des plus grandes nécropoles aristocratiques de l’âge du fer en Europe, et plus d’un millier de ses édifices attendent encore d’être exhumés et de nous révéler encore un peu plus les richesses de cette ancienne civilisation bulgare.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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