Comment Madame Tussaud a érigé son empire de cire
Après avoir survécu à la Révolution française, Marie Tussaud choisit l'exil en Grande-Bretagne, où elle captiva les foules avec ses sculptures de cire.
À l'été 1789, le peuple français, saisi par une ferveur révolutionnaire, souhaite être plus entendu par son souverain. En juillet de la même année, Louis XVI remercie son ministre des Finances réformiste, Jacques Necker. Les rues de la capitale sont envahies par une foule immense de révolutionnaires imitant un cortège funéraire et agitant des drapeaux noirs. Ils tiennent à bout de bras les effigies de cire de Necker et du Duc d'Orléans. Ces bustes, qui provenaient de la collection d'un sculpteur sur cire bien connu, auraient pu été réalisées par son apprentie, Marie Grosholtz, future Madame Tussaud.
Des années plus tard, Marie réalise une nouvelle série de sculptures en cire inspirées des horreurs qu'elle avait vues lors de la Résolution française. Celles-ci captivent le public et constituent, très vite, les fondations de son empire. Les musées Madame Tussaud, où les célébrités côtoient le grotesque, sont aujourd'hui présents dans le monde entier. La fascination que suscitent les célébrités de cire chez les visiteurs est toujours la même depuis le 19e siècle, lorsque les sculptures furent présentées au public britannique pour la première fois.
LA FAMEUSE MADAME TUSSAUD
Ce que l'on sait de l'enfance de Madame Tussaud provient en majeure partie des mémoires de cette dernière, qu'elle dicta à un ami, Francis Hervé, alors qu'elle approchait les quatre-vingt-ans. Le livre recèle d'anecdotes et de détails croustillants, dont certains ne furent jamais vérifiés. Madame Tussaud était très soucieuse de son image, qu'elle cultiva avec soin au fil des années ; il est donc possible qu'elle ait enjolivé son histoire. Pour Francis Hervé, cette tendance s'expliquait par son grand âge, responsable de « souvenirs [qui] étaient parfois confus et altérés. »
Marie Grosholtz est née en 1761 à Strasbourg, quelques mois après la mort de son père sur un champ de bataille de la Guerre de Sept ans. Elle passa son enfance à Berne, en Suisse, où sa mère travaillait en tant que femme de ménage chez le Dr. Philippe Curtius, anatomiste et sculpteur sur cire.
En 1765, après avoir abandonné la médecine pour se consacrer à temps plein à son art, Philippe Curtius déménagea à Paris. Il fut rejoint par Marie et sa mère deux ans plus tard. N'ayant jamais connu son père, la petite fille considérait le docteur, qui était son tuteur, comme un oncle. Les œuvres en cire de Curtius étaient très appréciées. En 1770, il exposa pour la première fois ses sculptures. L'exposition rencontra un tel succès qu'en 1776, ses œuvres furent déplacées au Palais-Royal.
C'est Philippe Curtius qui appris à Marie à sculpter sur cire. À l'âge de 15 ou 16 ans, elle réalisa sa première œuvre, un portrait de Voltaire. D'autres sculptures de personnages célèbres suivirent, à l'instar du patriote américain Benjamin Franklin et du philosophe romantique Jean-Jacques Rousseau, qui inspira les chefs de la Révolution française. Les deux hommes rendaient souvent visite à Curtius dans son domicile parisien, apprend-t-on dans les mémoires de Marie.
En 1782, Philippe Curtius dévoila des bustes de personnes célèbres lors d'une seconde exposition, qui eut lieu Boulevard du Temple, à Paris. Celle-ci incluait une Caverne des Grands Voleurs, dans laquelle étaient présentées au public des sculptures de criminels, dont les corps furent emmenés chez Curtius peu après leur exécution afin de permettre à ce dernier de réaliser leur portrait. Marie utilisa par la suite cette idée pour créer sa propre Chambre des Horreurs.
LA RÉVOLUTION, UNE PÉRIODE DANGEREUSE POUR L'ARTISTE
Madame Tussaud raconta dans ses mémoires comment elle devint vers 1780 une favorite au palais de Versailles, où elle apprit la sculpture à Madame Élisabeth, la sœur du roi. En 1789, lorsque la Révolution éclata, Marie et son mentor furent tous deux accusés de soutenir la monarchie et ils se trouvèrent dans une position pour le moins délicate. En tant qu'homme d'affaires avisé, Philippe Curtius savait que pour survivre, il devait adapter sa collection de sculptures en cire à la période de changement rapide que connaissait la France. Les meneurs de la Révolution et ceux qui furent guillotinés devinrent ainsi les nouvelles stars de sa galerie.
Dans ses mémoires, Marie revient sur le Règne de la Terreur, qui dura de l'automne 1793 à l'été 1794. Au cours de cette période, elle fut arrêtée avec Joséphine de Beauharnais, la future épouse de Napoléon. Elle évita la guillotine de peu, libérée alors qu'elle se préparait à être exécutée, le crâne déjà rasé. En échange de la clémence dont ils firent l'objet, on aurait confié à Philippe Curtius et à Marie une tâche ingrate : sculpter les masques funéraires des personnes guillotinées.
En réalité, hormis les mémoires de Marie Tussaud, il existe peu de preuves qui attestent qu'elle sculpta effectivement les masques funéraires du roi fraîchement guillotiné ou de Jean-Paul Marat, un des meneurs de la Révolution française, même si ces personnages faisaient partie de la collection de Curtius. Malgré l'incertitude qui entoure cette affirmation, l'idée selon laquelle Tussaud réalisait un travail aussi peu glorieux est devenue l'un des aspects les plus connus de sa vie. Le poète anglais Hilaire Belloc écrivit ainsi : « La main qui a sculpté Marat était une main de l'âge de Marat. Elle a touché la chair de l'homme mort. »
DIRECTION L'ANGLETERRE
En septembre 1794, Philippe Curtius meurt, léguant à Marie, son unique héritière, ses musées de cire. En 1795, Marie épouse un ingénieur, François Tussaud. Ils auront deux enfants, Joseph en 1798 et François en 1800.
Des tensions firent leur apparition dans le mariage. Les temps étaient difficiles et son entreprise de figures de cire presque réduite à néant par les ravages de la Révolution. L'empire de Madame Tussaud n'aurait peut-être jamais existé si Marie n'avait pas rencontré le magicien allemand Paul Philidor.
Pionnier dans l'utilisation de la « lanterne magique », qui servait à projeter en couleurs des images de fantômes et de vampires, Philidor réalisait des spectacles élaborés appelés fantasmagories. Ce nouveau genre d'expérience sensorielle était très apprécié du public, qui en redemandait. Philidor proposa à Marie Tussaud de créer un spectacle commun pour le Lyceum Theatre de Londres, où les figures de cires de Marie seraient associées aux projections du magicien. Elle accepta et se rendit en Angleterre en 1802 afin de tenter sa chance dans un pays où l'agitation était absente. Toutefois, Marie fut déçue du spectacle : elle se plaignait de Philidor, qui ne promouvait pas ses sculptures pourtant très réalistes. Endurcie par des années placées sous le signe du danger et de la Révolution française, l'artiste frêle âgée d'une quarantaine d'années à l'époque, décide de montrer elle-même ses œuvres et
de parcourir seule ce nouveau pays.
Pendant près de 30 ans et par intermittence, Madame Tussaud fit le tour des îles britanniques pour montrer ses sculptures, qu'elle transportait en train. Débarrassée de Philidor et faisant confiance à ses instincts d'entrepreneuse, Marie Tussaud rencontra un succès immédiat. La Révolution française et le Règne de la Terreur suscitèrent fascination, dégoût et pitié chez les Britanniques.
Les œuvres de Madame Tussaud étaient exposées dans de somptueux salons dans chaque ville où elle s'arrêtait. À l'époque, de telles expositions ouvertes au public étaient rares en dehors de Londres : elles attiraient donc une foule de visiteurs qui venaient admirer ses sculptures, ce qui en firent des événements très populaires et rentables. Bien que séparée de lui, Tussaud continuait d'envoyer à Paris de l'argent à son mari, ainsi qu'à son plus jeune fils, François.
Toutefois, elle finit par apprendre que son mari dilapidait l'argent qu'elle envoyait, au point qu'il fut contraint de vendre une partie de la collection des sculptures de cires qui étaient restées à Paris. En 1822, son plus jeune fils, François, rejoignit pour de bon sa mère et son frère Joseph. Menuisier, il avait sa place dans l'entreprise familiale : il s'occupait de créer les bras et les jambes de bois des personnages de sa mère. Par la suite, l'exposition fut renommée et baptisée Madame Tussaud and Sons (Madame Tussaud et Fils).
UN HERITAGE DE LA RESSEMBLANCE
En 1835, la collection pris ses quartiers sur Baker Street à Londres. À l'époque, les exécutions n'étaient plus publiques et la Separate Room (Chambre séparée), surnommée par la suite Chamber of Horrors (Chambre des Horreurs) par le magazine satirique Punch, offrait une alternative intéressante à la pratique pour les Londoniens amateur de mise en scène macabre.
En 1837, le musée gagna un peu plus en popularité lorsque la jeune Reine Victoria accepta d'être sculptée. Son personnage de cire portait la réplique exacte de la tenue que la monarque avait lors de son couronnement. Ce portrait saisissant de réalisme devint rapidement la pièce maîtresse de l'exposition.
Marie Tussaud, qui aurait réalisé les masques funéraires des criminels exécutés à Londres, mourut dans son sommeil en avril 1850, à l'âge de 88 ans. Ses fils et petits-enfants reprirent l'affaire familiale. En 1884, Joseph, son petit-fils, a déplacé la collection dans un lieu plus spacieux situé sur Marylebone Road. À la suite d'un incendie en 1925 et des bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale, les œuvres originales de Marie Tussaud furent en grande partie détruites.
Aujourd'hui, Madame Tussaud est une marque connue dans le monde entier. Le musée situé à Londres est l'une des attractions les plus visitées de la capitale britannique. Il existe aussi 24 autres musées dans le monde, dont sept rien qu'aux États-Unis. En 2016, la Chambre des Horreurs du musée londonien a été fermée en raison des plaintes des visiteurs. Gardant en tête la foule venue admirer la sculpture en cire de la Reine Victoria dans les années 1830, les successeurs de Marie Tussaud ont sans cesse réalisé des personnages célèbres afin de satisfaire la demande du public : il y a peu, ce sont l'acteur Eddie Redmayne et Meghan Markle, Duchesse de Sussex et épouse du Prince Harry qui ont fait leur entrée au musée.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.