"Le garçon et le héron", fruit de siècles de folklore japonais
Le dernier film du Studio Ghibli met en scène un mystérieux héron doté de parole et rejoint ainsi la longue lignée de récits autour de cet oiseau énigmatique et de ses liens avec le monde des esprits.
Un héron décore ce plat en porcelaine verni en bleu, doré et argenté, fabriqué au Japon dans les années 1730. Depuis des siècles, le folklore japonais utilise les hérons pour symboliser la pureté, le changement et une connexion avec le monde des esprits.
Dans le nouveau film du Studio Ghibli Le garçon et le héron, un mystérieux héron doté de parole guide le jeune protagoniste, Mahito, à travers une quête fantastique ayant pour objectif de sauver sa mère. Le studio oscarisé s’est inspiré, pour son scénario, du livre Et vous, comment vivrez-vous ? de Genzaburo Yoshino, publié en 1937, et de siècles de mythologie autour du héron. En réalité, les ailes du héron l’ont fait voyager à travers plus d’un millénaire de littérature, d’art et de folklore japonais.
On trouve généralement les hérons, sagi en japonais, au bord de marais, de rivières et de rizières, calmement perchés sur leurs longues pattes fines, et on reconnait leur cou courbé et leur long bec pointu. Si vous avez la chance d’en voir un prendre son envol, vous serez frappés par sa majestuosité surprenante. Contrairement à sa cousine la grue, symbole de paix, de chance et de longévité, l’apparition du héron porte une signification plus mystérieuse, en lien avec les esprits, les dieux, la mort et l’autre monde.
Un spectacle de danseurs lors du Shirasagi-no Mai, ou parade des hérons blancs, au temple Senso-ji à Tokyo. Née à Kyoto, cette parade a lieu deux fois par an à Senso-ji, en avril et en novembre.
Un spectacle de danseurs lors du Shirasagi-no Mai, ou parade des hérons blancs, au temple Senso-ji à Tokyo. Née à Kyoto, cette parade a lieu deux fois par an à Senso-ji, en avril et en novembre.
Selon Mariko Nagai, professeure de littérature japonaise à l'université Temple du Japon, la première référence à un héron dont on ait connaissance dans la littérature japonaise pourrait se trouver dans le Kojiki, l’œuvre littéraire japonaise la plus ancienne. Compilé en 712, ce recueil contient un certain nombre de mythes sur la création qui constituent l'épine dorsale de la religion indigène Shinto et du folklore du pays.
Dans l'une de ces histoires, un prince meurt loin de chez lui et son âme prend la forme d’un oiseau blanc. Bien qu'il ne soit pas explicitement désigné comme tel, explique Nagai, des analyses indiquent qu'il s'agit probablement d'un héron. « Dans la mythologie et le folklore japonais, le héron blanc est une figure de l’au-delà », dit-elle, avant d’ajouter que les hérons apparaissent souvent autour d’un décès, et que les oiseaux en général sont associés à la mort et aux funérailles, allant même jusqu'à se joindre à des processions ou à prendre part à d'autres rites funéraires.
Les hérons blancs, connus pour leur apparence saisissante, sont souvent, dans les récits et les estampes ukiyo-e, des messagers envoyés par les dieux ou des symboles de pureté et de changement. La présence d’autres hérons comme l’aosagi (héron cendré) ou le goisagi (bihoreau gris) est généralement de plus mauvais augure. Un ornithologue a consacré un livre entier à l’explication de la réputation effrayante et mélancolique du héron gris, comme celui du film Le garçon et le héron, au Japon, son image étant bien plus positive à l’étranger.
Au 18ème siècle, un yokai (« démon ») du nom d’Aosagibi prenait la forme d’un aosagi ou d’un goisagi, perché sur un arbre, qui brillait d’un inquiétant feu bleu. Les personnes qui disaient avoir vu l'oiseau lumineux pensaient qu'il pouvait s'agir d'un fantôme ou d'un métamorphe. « L’aosagi se fond dans le décor et rappelle davantage les ténèbres, » explique Nagai. Lorsqu’ils volent, ils disparaissent dans la nuit et réapparaissent quand il fait jour. « Il peut s'agir d'une suggestion symbolique du cycle de la vie : lorsque les gens meurent, ils retournent dans l'au-delà. »
L’idée de l’autre monde apparait aussi dans une pièce Nô intitulée « Sagi », inspirée d’une histoire du Dit des Heike, datant du 12ème siècle. L’empereur Daigo y aperçoit un héron et ordonne qu'on l'attrape, puis, satisfait de l'avoir vu danser pour la cour, le libère pour qu'il s'envole. Les acteurs de la pièce sont vêtus de blanc pour symboliser la pureté de l'oiseau, explique Diego Pellecchia, spécialiste du Nô et professeur associé à la faculté d'études culturelles de l'université Kyoto Sangyo.
Un écran de laque de la fin du 18ème siècle représente un héron se reposant sur une branche de saule.
Bien que les rôles de personnages surnaturels dans le Nô nécessitent habituellement que les acteurs portent des masques, dans cette pièce peu jouée, « le héron est incarné par des acteurs très jeunes ou âgés, » déclare Pellecchia. Il explique que les jeunes et les plus âgés sont plus proches de l’autre monde et par conséquent plus à même d’accéder et de se connecter au royaume spirituel, « qu’on ne peut atteindre qu'à ces stades liminaires de la vie. »
Nagai suggère que les hérons sont des personnages récurrents du folklore car, étant souvent dans les champs, ils sont proches des paysans. Depuis 1652, une danse rituelle appelée Shirasagi-no Mai (la parade du héron blanc), a lieu régulièrement au temple Senso-ji de Tokyo. Ses origines sont plus lointaines et remontent au 11e siècle. Durant ce spectacle, des danseurs déguisés en hérons tournoient doucement, se penchent et prennent de grandes enjambées sur un air de flûte solennel, accompagné de percussions. Exécutée à l'origine au sanctuaire Yasaka de Kyoto, cette danse est censée conjurer les fléaux.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.