Richard III a-t-il réellement assassiné ses neveux pour accéder au trône d'Angleterre ?

Depuis plus de cinq siècles, Richard III est accusé d'avoir commandité le meurtre de ses neveux. Un nouvel indice qualifié de "preuve irréfutable" divise les experts.

De Rosemary Counter
Publication 18 févr. 2025, 09:11 CET
Le roi Édouard V, qui ne fut jamais couronné, et son jeune frère Richard disparurent tous les ...

Le roi Édouard V, qui ne fut jamais couronné, et son jeune frère Richard disparurent tous les deux de la Tour de Londres en 1483, peu de temps après avoir été déclarés illégitimes par le Parlement, permettant ainsi à leur oncle Richard d'être couronné roi d'Angleterre. Depuis plus de 500 ans, les historiens tentent de comprendre les événements qui menèrent à cette mystérieuse disparition.

PHOTOGRAPHIE DE Photo Josse, Bridgeman Images

C’est l’un des plus grands mystères de l’histoire de l’Angleterre. Depuis plus de cinq siècles, les historiens et les détectives amateurs ne cessent de spéculer sur le destin du roi Édouard V, âgé de douze ans, et de son frère Richard, duc d’York, âgé de neuf ans, après leur disparition soudaine de la Tour de Londres en 1483.

Richard III fut roi d'Angleterre pendant deux ans, de 1483 à sa mort en 1485. Son ...

Richard III fut roi d'Angleterre pendant deux ans, de 1483 à sa mort en 1485. Son héritage est entaché par la théorie selon laquelle il aurait fait assassiner ses neveux afin d'usurper le trône. Certains historiens espèrent néanmoins encore le disculper.

Le principal suspect, leur oncle paternel Richard III, avait les moyens, le mobile et l’occasion de faire assassiner les jeunes frères afin de renforcer ses propres prétentions au trône. Pourtant, un groupe de ses partisans continue de soutenir avec passion que les indices découverts à ce jour sont insuffisants pour prouver la culpabilité du monarque.

Ce débat vieux de plusieurs siècles refait surface depuis la diffusion d’un documentaire britannique présentant ce qu’il appelle une « preuve irréfutable », et que les Archives nationales du Royaume-Uni qualifient de « nouvel indice extraordinaire ».

La preuve en question a été découverte en 2023, lorsque Tim Thornton, professeur à l’Université de Huddersfield, en Angleterre, fouillait dans d’obscurs registres des Archives nationales britanniques. Thornton a mis au jour une information fascinante dans le testament de Lady Margaret Capell, rédigé en 1522, dans lequel cette dernière léguait à son fils une chaîne « qui avait appartenu au jeune roi Édouard V ».

Contre toute attente, les deux princes n’avaient peut-être pas disparu sans laisser de traces. « J’en ai eu la chair de poule, car il s’agit là d’un objet personnel important qui symbolise le roi », confie Thornton.

Une nouvelle question se posait toutefois : comment Capell en était-elle venue à posséder cette chaîne ? Pour y répondre, Thornton a entrepris de chercher des liens entre les jeunes princes et la riche veuve. Il décrit sa découverte dans une étude publiée récemment : Capell était la belle-sœur du principal homme de main du roi Richard, James Tyrrell, qui, selon certains, se serait chargé de l’assassinat d’Édouard et Richard sur ordre de leur oncle. « Autrement dit, nous savons désormais que des bijoux ayant appartenu à la victime finirent entre les mains de la famille du principal suspect », décrit Thornton.

Pour ceux qui étaient déjà convaincus de la culpabilité du monarque, cette révélation a tout d’une confirmation. Toutefois, pour les défenseurs de Richard III, surnommés les « Ricardiens », celle-ci ne prouve rien, surtout pas un meurtre.

Nous avons interrogé les deux camps afin de déterminer quelles sont les preuves qui, selon eux, étayent leurs théories, et quelles sont celles qui, si elles existent, permettraient de résoudre une bonne fois pour toutes le mystère du destin des Princes de la Tour.

 

THÉORIE 1 : RICHARD III EST BEL ET BIEN COUPABLE DU MEURTRE DE SES NEVEUX

C’est à William Shakespeare que l’on doit l’image du Richard cupide, meurtrier, voire monstrueux que nombre d’entre nous avons encore aujourd’hui. « Voici l’hiver de notre mécontentement », commence le monologue devenu emblématique de sa pièce Richard III, où le personnage du monarque se décrit comme « rusé, fourbe et traître » et « déterminé à être un scélérat ».

Publiée un siècle après la disparition des princes, la pièce de Shakespeare intensifia les débats qui avaient émergé après la publication, en 1557, de l’ouvrage de Thomas More, Histoire du roi Richard III.

Selon More, le roi Richard aurait donné l’ordre de tuer à son homme de main James Tyrrell, qui aurait à son tour confié la tâche à Miles Forest et John Dighton. Les deux hommes se seraient par la suite introduits dans la chambre des princes, à minuit, et les auraient « enveloppés et coincés, maintenant de force le lit de plumes et les oreillers pressés contre leurs bouches, de sorte qu’après un moment, étouffés, leur souffle coupé, ils rendirent à Dieu leurs âmes innocentes ».

Bien qu’il s’appuie sur des ouï-dire, l’ouvrage de More est « le meilleur récit que nous ayons à notre disposition », commente l’historien Michael Hicks, auteur de Richard III: The Self-Made King.

La découverte de Thornton s’inscrit parfaitement dans la logique de ce récit. « Ce qu’elle implique, c’est que [Forest et Dighton] s’emparèrent de la chaîne dans la chambre », commente Hicks. « J’imagine que Tyrrell avait besoin d’une sorte de preuve attestant que l’acte avait bien été accompli jusqu’au bout. Dans cette optique, quel meilleur bijou que cette chaîne symbolique aurait-il pu récupérer ? »

James Tyrrell aurait par la suite avoué, sous la torture, son rôle dans les meurtres des princes. Cependant, toute trace de cet aveu fut perdue. « Je recherche les aveux de Tyrrell depuis quarante ans », admet l’historien.

Indice supplémentaire : Richard ne lança pas d’enquête officielle sur la disparition de ses neveux. S’il ne les avait pas tués, il aurait sûrement voulu découvrir qui l’avait fait, et s’ils étaient vivants, il aurait sûrement voulu les retrouver. « Il n’aurait pas laissé d’anciens rois en liberté dans la nature, qui auraient pu venir récupérer le trône. Il m’est donc impossible d’imaginer qu’on les ait laissés vivre. »

 

THÉORIE 2 : RICHARD III EST VICTIME D’UNE CAMPAGNE DE DIFFAMATION

En 2012, l’historienne amatrice Philippa Langley a découvert les ossements du roi Richard III enterrés sous un parking de Leicester, démontrant ainsi que nos idées reçues sur le monarque n’étaient peut-être pas tout à fait exactes.

« Pendant des années, on s’est moqué de moi », confie-t-elle. « Tout le monde me disait que nous connaissions déjà le destin de Richard : il avait été exhumé et ses restes jetés dans une rivière. » Ils avaient tort, et les ossements de Richard se trouvaient exactement là où les recherches de Langley le suggéraient. Les restes ont en outre révélé que, contrairement à la description qu’en faisait Shakespeare dans son œuvre, Richard n’était pas un monstrueux bossu : il souffrait d’une scoliose infantile.

La découverte de Thornton ne change pas l’avis de Langley quant à la culpabilité du roi. « En aucun cas cette chaîne ne permet de résoudre quoi que ce soit. Ils font d’énormes raccourcis pour essayer à tout prix de l’insérer dans cette même vieille théorie. »

En effet, pour considérer que cette chaîne est réellement une « preuve irréfutable », il faudrait d’abord être certain qu’elle ait un jour appartenu au jeune prince. « Les histoires de famille sont inventées, puis racontées et répétées jusqu’à ce qu’elles deviennent presque une certitude », commente l’historien Matthew Lewis, auteur de Richard III: Loyalty Binds Me. « Ce n’est pas parce que quelqu’un affirme [dans un testament] que cette chaîne appartenait à un prince que ce fut bel et bien le cas. »

Par ailleurs, même si Édouard avait bien une chaîne en sa possession, rien ne permet d’affirmer qu’il s’agissait bien de la chaîne mise au jour par Thornton. Le documentaire consacré à sa découverte zoome à plusieurs reprises sur un bijou représenté sur un portrait des deux frères réalisé en 1879, soit près de 400 ans après leur disparition. « Il ne s’agit même pas d’une chaîne, mais d’un collier d’office, et c’est très différent », explique Langley. « J’aimerais que les médias soient plus critiques à l’égard de ce qu’ils présentent au public. »

Même s’il s’agit bien du même bijou, celui-ci aurait pu se retrouver entre les mains de Lady Margaret Capell de bien des manières. « Londres était bien différente en 1500 », commente Chris Skidmore, spécialiste des Tudor et auteur d’une biographie de Richard III. « La noblesse est une communauté très soudée dont les membres se marient entre eux. » Le fait que la demi-sœur aînée de Capell ait été l’épouse de Tyrell ne constitue peut-être pas un lien aussi important que nous pourrions le penser au premier abord.

Plus important encore : rien ne permet d’affirmer avec certitude que les deux princes furent réellement assassinés. De nombreux Ricardiens, dont Lewis et Langley, sont convaincus que les deux neveux de Richard III survécurent et revinrent pour tenter de récupérer le trône dans les années 1480 et 1490. La nouvelle quête archéologique de Langley, baptisée The Missing Princes Project, cherche justement à prouver cette théorie.

 

QUELLES PREUVES POURRAIENT AIDER À ÉLUCIDER CETTE AFFAIRE ? 

La science moderne pourrait résoudre certaines de ces questions. En 1674, deux squelettes d’enfants furent découverts sous un escalier de la Tour de Londres. Compte tenu des théories qui prévalaient au sujet de leur assassinat, les ossements furent identifiés comme appartenant aux deux princes et furent transportés à l’abbaye de Westminster, où ils se trouvent encore aujourd’hui. 

Est gravée sur l’urne l’inscription suivante : « Ici reposent les restes d’Édouard V, roi d’Angleterre, et de Richard, duc d’York. Ces frères, enfermés dans la Tour de Londres, où ils furent étouffés par des oreillers, furent enterrés de façon secrète et mesquine, sur ordre de leur perfide oncle Richard l’Usurpateur. »

Une analyse ADN pourrait permettre de confirmer la mort des princes, mais la reine Elizabeth II a refusé à plusieurs reprises les demandes d’exhumer les ossements. Décrit comme moins sensible que sa mère, le roi Charles III pourrait désormais autoriser une nouvelle enquête.

Toutefois, les historiens des deux camps ne s’accordent pas sur la question.

De son côté, Langley est très désireuse d’obtenir le feu vert du roi. « Je veux qu’il le fasse au plus vite, parce que je sais que ce n’est pas eux. »

D’autres sont moins convaincus. « Il serait merveilleux de pouvoir déterminer s’il s’agit réellement des Princes de la Tour. Le problème, c’est que, si l’on n’analyse pas chacun des centaines de fragments d’os, nous n’y parviendrons peut-être pas », indique Lewis.

Hicks, qui s’oppose à l’exhumation, est du même avis. « Les os ont déjà été corrompus. Ils ne trouveraient rien de concluant, et même s’ils y parvenaient, nous ne saurions toujours pas comment ils sont morts ni qui les a tués. »

Cependant, si les analyses ont bel et bien lieu un jour et qu’elles prouvent que les princes survécurent à la mort de leur oncle, elles pourraient peut-être enfin disculper Richard III et mettre fin à plus de cinq siècles de spéculation.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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