I ❤️ NY, le logo qui a sauvé New York
En 1977, alors aux prises avec des dizaines d’incendies et un tourisme en chute libre, New York a engagé un artiste pour sauver sa réputation. Son fameux croquis fait à l’arrière d’un taxi jaune est devenu le logo le plus imité de l’histoire.

Durant le blackout de 1977, plusieurs incendies se sont déclarés à travers New York, exposant au grand jour l’ampleur de sa crise financière et sociale. Lorsque la fumée s’est dissipée, un simple logo a aidé à redorer le blason de la ville.
New York était en feu durant l’été 1977. Un blackout de 25 heures, déclenché par un éclair ayant frappé les principales lignes de transmission, a mené à des vols, des émeutes et plus d’un millier d’incendies à travers toute la ville.
En une seule nuit, les pompiers étaient sur tous les fronts, de Harlem à Brooklyn en passant par le sud du Bronx. Un nombre phénoménal de feux s’était déclenché, et ce alors même que cette ville voit en moyenne quarante incendies se déclarer par jour. New York était au fond du gouffre.
Mais ce n’est ni un sauvetage financier ni une réforme miracle qui ont sauvé la ville. À la place, un simple croquis dessiné à l’arrière d’un taxi jaune par le designer Milton Glaser. Son logo « I ❤️ NY » que l’on ne présente désormais plus, est devenu un cri de ralliement, un symbole de fierté à une époque où la ville voulait désespérément croire en elle à nouveau. « C’était parfait, un besoin et un message qui se réunissaient en une tempête », explique Steven Heller, historien spécialisé en design et ancien directeur artistique du New York Times qui a rédigé une chronique sur l’héritage culturel de ce logo.

Le premier croquis de Milton Graser pour le logo « I ❤️ NY » a été dessiné en 1976 au dos d’une enveloppe à l’arrière d’un taxi. Il deviendra l’un des symboles les plus célèbres de la ténacité de New York.

Milton Graser a créé cette version plus raffinée du logo en 1976 en se servant d’encre et de colle. Il l’a d’abord designé pour une campagne touristique mais le logo a vite capturé l’esprit de la ville. Le Musée d’Art moderne (MoMA) de New York le conserve à présent dans sa collection permanente.
LE DÉCLIN DE NEW YORK DANS LES ANNÉES 1970
Le déclin de New York ne s’est pas fait en un jour. Les usines ont commencé par fermer, entraînant la suppression de 300 000 emplois en seulement six ans. Les résidents riches ont fui vers la banlieue, emportant avec eux les précieux dollars qu’ils reversaient aux impôts. La ville a commencé à emprunter de l’argent pour payer ses employés.
Les coupes budgétaires sont arrivées peu après. Les enseignants ont commencé à se faire licencier. Les camions de nettoyage demeuraient inutilisés alors même que les déchets s’amassaient dans les rues. « La ville fermait les casernes de pompiers parce qu’elle n’avait pas les moyens de les maintenir », explique Ryan Purcell, professeur d’histoire à l’université d’arts libéraux de Yonkers, le Sarah Lawrence College, ainsi que le créateur du podcast Soundscapes NYC. « Ils ont choisi quels quartiers abandonner. »
Le taux de criminalité a augmenté et a dépassé la barre des mille meurtres par an. Les incendies criminels sont devenus la norme. « Les propriétaires mettaient le feu à leurs immeubles pour percevoir l’argent de l’assurance », continue Ryan Purcell. « Il y avait plus à gagner qu’en faisant payer un loyer. »
Le sud du Bronx a perdu plus de 97 % de ses immeubles, qui partaient en fumée ou étaient tout simplement abandonnés. C’est devenu l’épicentre de ce que les autorités appelaient froidement « le rétrécissement urbain ». Il s’agissait d’une stratégie de la ville qui visait à retirer les établissements de service des quartiers pauvres pour forcer la dépopulation.
Dès 1975, la police offrait aux visiteurs des brochures « Welcome to Fear City » (Bienvenue à la cité de la peur) à chaque point d’entrée de Manhattan : la gare de Grand Central, Penn Station, Port Authority. Des avertissements pour décourager les visiteurs de s’approcher de New York avant que la situation ne s'améliore. Les wagons de métro étaient recouverts de graffitis et les pannes sont devenues la règle plutôt que l’exception.
Lorsque la ville a supplié Washington de lui venir en aide, le journal Daily News a mis à la une la fameuse réponse du président Gerald Ford : « Ford to City: Drop Dead », littéralement « Ford à la ville : Crevez ! ». « Si “I ❤️ NY” était arrivé à un moment où l’on ne pensait pas que New York méritait d’être sauvée, le logo n’aurait peut-être pas fonctionné », confie Steven Heller. « Mais tout le monde aimait New York et voulait que la ville soit un endroit plus sûr. »
LE BLACKOUT DE 1977
Avec l’été 1977 sont arrivés de nouveaux drames. Le tueur en série connu sous le nom de « Fils de Sam » envoyait des lettres glaçantes aux journaux pour les provoquer. Une vague de canicule a poussé le réseau électrique dans ses retranchements. Le 13 juillet 1977, à 20h37 heure locale, un éclair a frappé une centrale électrique du comté de Westchester. New York a été plongée dans le noir.
Les 25 heures qui ont vu plus d’un millier d’incendies se déclarer, 1 600 magasins braqués et 3 700 suspects arrêtés. Au total, le coût des dégâts matériels s’élevait à 300 millions de dollars de l’époque, soit près de 1,6 milliard de dollars actuels. Le magazine TIME lui donnera un jour le doux sobriquet de « Nuit de la terreur » tandis que les observateurs extérieurs qualifiaient New York de « la nouvelle Rome en déclin ».
Ce blackout a cependant permis de réaliser que la ville n’avait pas seulement besoin de plus d’officiers de police ou d’éboueurs, elle avait besoin de redorer son blason. New York avait besoin d’une histoire pouvant inspirer le monde.
LES ORIGINES DE « I ❤️ NY »
Faisant face à une véritable crise identitaire, le département de commerce de New York s’est tourné vers l’agence publicitaire Wells Rich Greene et leur a demandé l’impossible. « Ils tentaient de réinventer l’image de la ville et de s'éloigner le plus possible de ce climat de peur », explique Ryan Purcell.
La campagne a commencé avec trois mots tout simples : « I Love New York » (J’aime New York). William S. Doyle, le commissionnaire adjoint au commerce de l’État de New York a demandé à Milton Glaser, new-yorkais de naissance, de créer cette identité visuelle. Bien qu’originellement pensé pour une campagne touristique, le logo est rapidement devenu l’âme de la ville.

Quelques jours après les attaques du 11 septembre sur les tours jumelles, un new-yorkais lit le Daily News. La une montre le design de Milton Glaser, mis à jour : « I ❤️ NY More Than Ever » (J’aime New York plus que jamais).
Milton Glaser était déjà un géant dans le monde du design. Co-fondateur du New York Magazine, l’esprit derrière les affiches psychédéliques de Bob Dylan et le designer qui a porté le goût des beaux-arts sur la scène commerciale. Le devis s’élevait à 2 000 dollars américains, mais Milton Glaser n’a jamais encaissé le chèque.
Sa première tentative se voulait sans risque, aucun symbole et une typographie propre. Mais c’est une semaine après, à l’arrière d’un taxi, que le designer a eu une révélation. Alors que le véhicule jaune slalomait entre les nids-de-poule, il a sorti un crayon rouge de sa poche et a tracé au dos d’une enveloppe des lettres grasses, un grand « I » suivi d’un cœur rouge et « NY » juste en-dessous. Il a remplacé le mot « love » par son symbole universel. Son inspiration lui est venue de ces jeunes amants qui gravent leurs initiales sur les troncs d'arbres.
« C’était très visuel », continue Steven Heller. « Il a pris quelque chose de si commun que c’en devenait presque invisible, ce que l’on écrit sur les photos de classe et les cartes de vœux, et il l’a appliqué sur cette idée définitive que tout le monde aime New York. » Tout le poids du message était porté sur le cœur.
Ce n’était pas seulement ce qu’il voulait dire qui a rendu le design si extraordinaire, plutôt la vitesse à laquelle le sentiment était transmis. Dans un moment de désespoir, il offrait une denrée rare : l’espoir.
LE PHÉNOMÈNE INTERNATIONAL « I ❤️ NY »
Les New-Yorkais ont commencé par douter de cette campagne. « Lorsque ce slogan a fait sa première apparition, la Fils de Sam sévissait toujours », dit Ryan Purcell. « Mais alors qu’il passait par les publications municipales et les brochures touristiques, les gens ont commencé à voir le changement qu’il représentait. » Dès 1978 les hôtels affichaient complet. Le tourisme reprenait.
Le design puisait sa force dans le timing plus qu’idéal. « Le logo a permis aux New-Yorkais d’afficher leur fierté d’appartenir à la ville avant même qu’ils ne le ressentent », continue Ryan Purcell. Une fois qu’il a commencé à gagner en popularité, ce n’était plus simplement une publicité. Il s’agissait d’un acte de résistance, une déclaration silencieuse que New York méritait toujours d’être aimée de ses habitants.
Milton Glaser a offert son design à l’État de New York et n’a jamais déposé la marque. En 2011, le logo générait 30 millions de dollars américains (26 millions d’euros à l’époque) pour la ville de New York.
Le logo s’est répandu naturellement, retrouvant à chaque nouvelle crise un nouveau souffle. Après le 11 septembre, des affiches à travers Manhattan déclaraient « I ❤️ NY More Than Ever » (J’aime New York plus que jamais) avec, dans le coin inférieur gauche du cœur, une tache noire qui symbolisait la blessure portée au sud de la ville. Durant la pandémie de Covid-19, le logo a refait son apparition, modifié mais toujours reconnaissable.
« Milton savait que [le logo] était important et résonnait chez toutes les personnes qui le regardaient », explique Steven Heller. « Tout comme la sculpture LOVE de Robert Indiana, il a commencé à avoir sa vie propre. »
Si le logo a eu un tel impact, ce n’est pas seulement parce qu’il a redoré le blason de la ville. Il rappelait aussi aux New-Yorkais que l’amour pouvait être un cri de ralliement même dans le déclin. Un message qui, comme le dit Steven Heller, « sera toujours vrai ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
