Comment les Américaines se sont fait une place dans les livres d’Histoire

Dans les années 1970, lassées d’être exclues du récit américain, des femmes se mobilisèrent et obtinrent du gouvernement la création du Women’s History Month. Le mois de mars y est depuis une célébration de l’histoire des femmes.

De Erin Blakemore
Publication 7 mars 2025, 13:33 CET
'Strike for Equality' march

Célébré dans l’ensemble des États-Unis et ailleurs depuis les années 1980, le Mois de l’histoire des femmes est né d’une volonté féministe de défendre un accès égal à l’emploi et à l’éducation ; c’était l’une des principales revendications de la Grève des femmes pour l’égalité, dont les manifestantes investirent les rues de New York le 26 août 1970.

PHOTOGRAPHIE DE Fred W. McDarrah, MUUS Collection, Getty Images

Les femmes ont toujours fait partie de l’Histoire. Mais pendant des siècles, on a ignoré le rôle qu’elles y ont joué : les textes historiques anciens excluaient bien souvent purement et simplement les femmes lorsqu’elles n’étaient pas puissantes, lorsqu’elles n’étaient pas des reines, par exemple. Les historiens, qui étaient presque tous des hommes, voyaient souvent le passé par le prisme de la théorie du « grand homme » selon laquelle l’Histoire est pour la majeure partie façonnée par des héros de sexe masculin et par leurs combats.

Cela changea au 20e siècle avec la naissance de l’Histoire des femmes en tant que discipline universitaire, une avancée vers la reconnaissance des réalisations des femmes s’inscrivant dans un mouvement visant à garantir aux femmes un accès égal aux institutions universitaires où l’on enseignerait leur histoire. Aux États-Unis, cela conduisit à la création du National Women’s History Month, commémoration annuelle née de l’activisme d’historiennes déterminées à faire en sorte que les femmes obtiennent ce qui leur revenait de droit.

Chaque mois de mars, depuis les années 1980, les États-Unis fêtent le Mois de l’histoire des femmes. Retour sur ses origines et sur les obstacles que durent surmonter ses fondatrices.

 

L’HISTOIRE DES FEMMES EST DEVENUE UNE DISCIPLINE UNIVERSITAIRE

Au milieu du 20e siècle, un mouvement féministe naissant remit en question la théorie historique du « grand homme ». Bien que les femmes aient été exclues de la profession d’historien en raison de leur sexe au 19e siècle, un groupe d’historiennes féministes entreprit de rechercher des traces laissées par des femmes du passé.

Le président américain Jimmy Carter signe une proclamation faisant de la semaine du 2 mars 1980 ...

Le président américain Jimmy Carter signe une proclamation faisant de la semaine du 2 mars 1980 la Semaine nationale de l’histoire des femmes. Assises à sa droite se trouvent Jane Pratt et Gloria Johnson, représentantes de groupes féministes nationaux ayant œuvré pour qu’ait lieu cette commémoration.

PHOTOGRAPHIE DE Barry Thumma, Associated Press

Les femmes n’apparaissaient pas dans les livres d’Histoire de la même manière que les hommes. Les historiens avaient largement négligé leurs lettres, leurs journaux intimes et les autres documents qu’elles avaient pu laisser, passant sous silence leurs contributions à la société et le rôle important qu’elles y jouaient. Parmi les quelques exceptions à cette règle, on peut remarquer la présence notable dans le corpus historique de Mary Beard, autrice d’une série de livres sur les femmes américaines et sur leur agentivité historique, et d’Eleanor Flexner, autrice de Century of Struggle, ouvrage d’avant-garde sur le mouvement américain pour les droit de vote des femmes publié en 1959. Toutefois, alors que le mouvement de libération de femmes se renforçait, les féministes s’insurgèrent de plus en plus devant l’absence flagrante de récits féminins dans leurs livres d’Histoire.

« Dans mes cours, les professeurs me parlaient d’un monde dans lequel, apparemment, une moitié de la race humaine faisait tout ce qu’il y avait d’important et l’autre moitié n’existait pas », confiait Gerda Lerner, historienne au Sarah Lawrence College de Yonkers, dans l’État de New York, au Chicago Tribune en 1993. « C’est inepte, ce n’est pas le monde que j’ai connu. »

Gerda Lerner commença à enseigner l’histoire des femmes à la fin des années 1960 et rejoignit par la suite au Sarah Lawrence College des collègues qui étaient en train de créer le premier programme de master du pays sur l’histoire des femmes. En recherchant des traces laissées par des femmes remarquables et ordinaires, ces historiennes émergentes mirent en avant des questions telles que celles de la race, de la sexualité et du patriarcat et se firent les porte-parole de l’importance des contributions des femmes à des domaines comme la politique et les sciences. Bien qu’à ses débuts ce petit groupe d’historiennes « [eût pu] tenir dans une cabine téléphonique », pour reprendre la formule de Gerda Lerner, un nombre grandissant d’activistes engagées pour la libération des femmes vint les soutenir.

Diplômée dans les années 1970 de l’un des nouveaux programmes de l’Université d’État de Sonoma, en Californie, l’éducatrice Molly Murphy MacGregor se posa la même question que Gerda Lerner et tant d’autres. Les administrateurs du lycée où elle enseignait avaient tenté de faire pression sur elle pour qu’elle annule une séquence sur l’histoire des femmes au prétexte qu’il n’existait tout simplement pas assez de matière pour tenir six semaines de cours. Les manuels scolaires qui abordaient, de manière rudimentaire, l’histoire des femmes la reléguaient au second plan ; un texte affirmait par exemple que le Congrès avait accordé le droit de vote aux femmes en 1920 sans évoquer le travail des suffragettes qui s’étaient battues pour ce droit civique.

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    À l’origine de la toute première Semaine de l’histoire des femmes, l’Alliance nationale pour l’histoire des femmes a fait pression sur le Congrès des États-Unis pour qu’il fasse du mois de mars le Mois de l’histoire des femmes. Ses fondatrices (de droite à gauche) : Molly Murphy MacGregor, Paula Hammett, Mary Ruthsdotter, Maria Cuevas et Bette Morgan.

    PHOTOGRAPHIE DE Avec l'aimable autorisation du National Women's History Alliance

    Où étaient les femmes ? se demandait-elle. « L’histoire des femmes aux États-Unis semblait avoir été écrite à l’encre invisible », s’est souvenue Molly Murphy MacGregor dans un documentaire diffusé sur PBS en 2020.

     

    LA PREMIÈRE SEMAINE DE L’HISTOIRE DES FEMMES

    Molly Murphy MacGregor ne pouvait pas ne pas agir. À la fin des années 1970, elle mit au point un diaporama sur l’histoire des Américaines dans des domaines tels que la politique, l’activisme environnemental et le mouvement abolitionniste et fut stupéfaite par la réaction que celui-ci suscita. Des étudiantes sortaient de ces présentations avec une fierté toute nouvelle et un intérêt pour les histoires de femmes comme Harriet Tubman et Rachel Carson.

    Mais lorsqu’elle se rendit compte que les élèves empruntaient rarement le minuscule corpus de livres sur l’histoire des femmes disponibles dans les écoles primaires locales, ou qu’on le leur donnait trop peu souvent à lire, elle décida d’agir en rejoignant la Commission du comté de Sonoma sur le statut des femmes.

    Cette commission créée en 1975 avait pour mission d’éliminer les discriminations et les biais sexistes. L’un de ses objectifs était d’aider les écoles du comté de Sonoma à se conformer au Titre IX des Amendements sur l’éducation de 1972, une loi historique protégeant les personnes des discriminations liées au sexe dans tout programme éducatif bénéficiant de fonds fédéraux.

    National Training School for Women and Girls

    En 1909, Nannie Helen Burroughs fonda la National Training School for Women and Girls, une école proposant une formation professionnelle et académique aux Afro-Américaines. Pendant la majeure partie de l’histoire américaine, les femmes et les personnes non blanches se sont vu refuser un accès égal à l’éducation et ont dû créer leurs propres opportunités à la place.

    PHOTOGRAPHIE DE Library of Congress, Corbis, Getty Images

    Pour Molly Murphy MacGregor et d’autres membres de la commission, l’absence d’histoires de femmes dans les supports éducatifs constituait une violation du Titre IX et créait ainsi un déséquilibre qui renforçait le traitement inégal des sexes.

    En réaction, la commission proposa que la communauté organise une semaine de l’histoire des femmes. Programmée pour coïncider avec la Journée internationale des droits des femmes, qui met les femmes à l’honneur dans le monde entier chaque année le 8 mars, la toute première Semaine de l’histoire des femmes fut inaugurée avec un défilé, avec une présentation et avec la distribution de supports pédagogiques aux écoles locales.

    L’initiative fut loin de faire l’unanimité. « Nous avons été méprisées et traitées de misandres égoïstes », disait Molly Murphy MacGregor au documentariste de PBS en 2020. Mais cette célébration suscita une vague d’intérêt de la part de femmes de tout le pays. Ce qui n’était qu’une commémoration locale se transforma soudainement en une initiative plus vaste visant à célébrer l’histoire des femmes à l’échelle nationale. Le groupe se structura rapidement pour former le National Women’s History Project (désormais National Women’s History Alliance).

     

    RECONNAISSANCE FÉDÉRALE DE L’HISTOIRE DES FEMMES

    En fournissant à des professeurs de l’ensemble du pays des supports et des programmes concernant des prouesses étant le fait de femmes, le NWHP commença également à faire pression sur le gouvernement fédéral pour que l’histoire des femmes soit davantage reconnue. Leur première victoire eut lieu en 1980 lorsque le président d’alors, Jimmy Carter, déclara la première Semaine nationale de l’histoire des femmes, du 2 au 8 mars. « Comprendre la vraie histoire de notre pays nous aidera à comprendre la nécessité d’une égalité totale devant la loi pour l’ensemble de notre peuple », affirma-t-il à l’occasion d’un discours.

    En 1981, la représentante démocrate du Maryland Barbara Mikulski et le sénateur républicain de l’Utah Orrin Hatch défendirent un projet de loi bipartisan pour officiellement faire de la semaine du 8 mars la Semaine nationale de l’histoire des femmes. Cette célébration d’une semaine eut lieu annuellement jusqu’à ce qu’en 1987, le Congrès ne suive l’exemple de plusieurs États américains et ne fasse adopter une résolution faisant du mois de mars dans sa totalité le Mois de l’histoire des femmes.

    Dans les années qui se sont écoulées depuis, le mouvement visant à faire reconnaître et à inclure les femmes dans l’étude de l’Histoire s’est poursuivi. En 1999, une commission nationale pour l’histoire des femmes créée par le président Bill Clinton recommanda plusieurs initiatives visant à trouver « femmes invisibles » dans les musées et dans les archives, à instaurer des campagnes liées à l’histoire des femmes à l’échelle du pays et à incorporer plus largement l’histoire des femmes dans les programmes scolaires. Des historiens commencèrent également à mettre au jour les contributions de femmes traditionnellement marginalisées n’étant pas blanches, cisgenres et hétérosexuelles afin d’explorer la diversité des expériences féminines dans toutes les couches de la société.

    Mais la lutte se poursuit. D’après la conclusion d’une enquête réalisée par le National Women’s History Museum (NWHM) et rendue publique en 2017, les normes éducatives des États américains accordent une place trop importante aux rôles domestiques des femmes et négligent la richesse et la complexité de l’histoire des femmes. Il y a malgré tout des raisons d’espérer. Après tout, la démarche de reconnaissance des femmes du passé repose sur la persévérance et sur la créativité. Ainsi que se le rappelait Molly Murphy MacGregor dans un témoignage oral au début des années 2000 : « L’histoire, la vraie, c’est que nous nous sommes dit : ‘D’accord, c’est un défi, et comment allons-nous nous en sortir ? »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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