Ce que les drapeaux disent de leur pays

Porteur de sens, le drapeau est un objet éminemment politique. Bien plus qu’un morceau de tissu, cet emblème est devenu, au fil de l’histoire, un marqueur unique d’affirmation, d'unité nationale et de reconnaissance sur la scène internationale.

De Morgane Joulin
Publication 10 juin 2024, 18:26 CEST
Les drapeaux des pays sont régulièrement modifiés, soit en fonction d'un changement de régime, soit par ...

Les drapeaux des pays sont régulièrement modifiés, soit en fonction d'un changement de régime, soit par goût. Certains n'ont jamais évolué. Le drapeau du Danemark, qui date de 1536 est de ceux-là, ce qui en fait le plus vieux drapeau encore utilisé. En ce qui concerne les autres, la plupart ont été conçus aux 19e et 20e siècle, avec un pic entre 1960 et 1980, avec la fin de la colonisation.

PHOTOGRAPHIE DE Prisma by Dukas Presseagentur GmbH / Alamy Banque D'Images

Chaque drapeau possède une histoire unique. Il peut être inspiré de l’histoire du lieu géographique qu’il représente, de symboles liés à sa culture, ou d’autres facteurs très divers. Le drapeau n’est pas le seul fait des États, il constitue un symbole qui permet de représenter « la personne morale » d’un groupe ou d’une communauté. À titre d’exemple, le drapeau blanc est un symbole international pour la paix, ou de reddition dans un contexte guerrier. Le drapeau arc-en-ciel symbolise la communauté LGBTQIA+, et le drapeau de la Croix-Rouge représente l’organisation éponyme. Mais alors, d’où viennent les drapeaux nationaux que nous voyons lors de représentations politiques, militaires, sportives ou culturelles ?

« Les drapeaux modernes sont nés dans des nations maritimes, qui hissaient leurs pavillons », explique Cédric de Fougerolle, président de la Société Française de Vexillologie. Lorsqu’un drapeau est hissé sur la mer, on ne parle plus de drapeau, mais de pavillon. À l’époque, le pavillon faisait état de la nationalité de rattachement de l'embarcation qui l'arbore. En général, il était hissé dans la mâture ou à l’arrière du navire. C’est pour cette raison que généralement, les drapeaux d’aujourd’hui se lisent de façon horizontale, « car comme les pavillons bougeaient au vent, c’était plus lisible. » C’est également pour cela que le drapeau du Qatar, nation de tradition navale, est très long, il devait pouvoir flotter au vent, quand celui de la Suisse, de tradition militaire, est carré. « Si l’on marche ou que l’on est à cheval, tenant un drapeau à l’aide d’une hampe, il ne faut pas qu’il ait trop de prise au vent, car sinon le drapeau peut vous échapper. »

Autrefois, le drapeau permettait de transmettre un message. « À l'époque, quand on était sur mer, la seule façon de communiquer était via ce bout de tissu », résume Cédric de Fougerolle. Ainsi, un pavillon à l’envers envoyait un signal de détresse, et un pavillon jaune : « contagion à bord, surtout ne m’approchez pas. » Aujourd’hui, la seule exception concerne le drapeau des Philippines, pour lequel l’envers signifie que le pays est en situation de guerre.

 

OUTIL D’AFFIRMATION NATIONALE ET DE RECONNAISSANCE EXTÉRIEURE 

Autrefois, les formes des drapeaux nationaux étaient beaucoup plus variées. En Chine par exemple, où l’on retrouve les plus anciennes représentations de « drapeaux » connues, on en trouvait de formes triangulaires. Et même sur le vieux continent, le rectangle n’a pas toujours été la règle. « En Europe jusqu’à l’Ancien Régime, les drapeaux n’étaient pas obligatoirement de forme rectangulaire. Toutes les bannières religieuses notamment, ne l’étaient pas. » Mais au fil des siècles, le rectangle est devenu la norme et l’Occident a, petit à petit, imposé sa conception. Il existe néanmoins deux exceptions. D’un côté les drapeaux de la Suisse et du Vatican, de forme carrée, et de l’autre le drapeau du Népal, qui est une combinaison de deux pennons. Il incarne les hautes altitudes de l'Himalaya ainsi que les deux religions les plus présentes au Népal, l'hindouisme et le bouddhisme. D’après Cédric de Fougerolle, « c’est une manière d’affirmer que le pays n’est pas un état Occidental. »

Cela met en exergue l’une des fonctions premières du drapeau : l’affirmation identitaire. « Le drapeau est au départ un signe de reconnaissance, de rassemblement. » Ce dernier n’est d’ailleurs pas limité à l’échelle nationale. Par exemple, l’Union Jack marque notamment l’appartenance de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande au Commonwealth.

De la même manière, certaines couleurs sont similaires pour plusieurs pays partageant des valeurs et des cultures proches. Le rouge, noir, vert et blanc sont les couleurs dites « panarabes », issues du drapeau de la révolte arabe de 1916-1918. On les retrouve dans la quasi-totalité des drapeaux arabes et musulmans. De même, les couleurs panafricaines sont le jaune, le vert et le rouge. « C’est une façon de montrer que l’on appartient à un groupe », déclare Cédric de Fougerolle. 

À ce titre, les symboles sont aussi marqueurs d’appartenance. L’étoile et le croissant représentent traditionnellement l’islam, quand la croix de Saint-Georges représente plutôt le christianisme. De même, la couleur rouge est souvent associée au communisme. D’après Cédric de Fougerolle, c’est parce que le drapeau rouge est le drapeau de la révolte ouvrière. « Sous l’Ancien Régime, en France, on disait que l’armée déployait un drapeau rouge pour signifier qu’elle allait tirer. C’était un signal d’avertissement pour disperser la foule. Ce drapeau a été utilisé en juillet 1789 à Paris. Le mouvement révolutionnaire s’est attribué l’emblème qui était affiché quand il y allait avoir une lutte armée à mort, entre le pouvoir et ce mouvement révolutionnaire. Ils l’ont détourné et en ont fait cet insigne. C’est depuis la Révolution française que le rouge est associé à l’idée de révolution. »

Ahmed Ibrahim Alkhair (à gauche), enveloppé dans le premier drapeau du Soudan indépendant, et Awab Osman Aliabdo, avec le drapeau actuel, admirent la vue depuis le djebel Barkal. La révolution de 2019 a fait naître l’espoir d’un régime démocratique, ébranlé par le coup d’État militaire survenu à l’automne 2021.

PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

Aujourd’hui, l’expert remarque qu’une seconde fonction du drapeau, « une fonction d’échange, de reconnaissance », est davantage usitée à l’échelle internationale. Le drapeau est alors ce qui permet à un pays de s’affirmer comme tel aux yeux du monde. « Le drapeau n’est pas quelque chose d’obligatoire, mais il se trouve que, de fait, tous les États du monde ont un. » 

Cela n’empêche pas que certains drapeaux, comme celui de l’Arabie Saoudite ou encore du Brésil, comportent du texte, ce qui semble pourtant constituer un frein à l’universalité du drapeau. « Au fond, cela revient à se demander si le premier rôle du drapeau, c’est pour l'extérieur ou pour soi-même ? », explique Cédric de Fougerolle, avant d’ajouter : « beaucoup de drapeaux militaires dans le monde possèdent des écritures, cela n’est pas anormal. »

 

LE CHOIX DU DRAPEAU 

Pour de nombreux pays, le choix du drapeau s’est fait au fil de l’histoire. L’histoire du drapeau tricolore français, par exemple, est encore assez floue. Le bleu, le blanc et le rouge, « existaient déjà avant la révolution, mais elles n’étaient pas des couleurs nationales. » C’est à partir de juillet 1789 que les couleurs deviennent les couleurs de la révolution, elles deviennent les couleurs d’une nouvelle conception du pouvoir, de l’état de la nation. Pour autant, un drapeau ne devient symbole national que lorsqu’il est adopté par la nation. « Aujourd’hui, le drapeau tricolore nous paraît évident » relève Cédric de Fougerolle. « Mais entre la révolution de 1789 et la fin du 19ᵉ siècle, ce n’était pas évident. La frange la plus à gauche préférait le drapeau rouge, la frange la plus à droite préférait le drapeau blanc. » De fait, « ce qui a créé l’unanimité autour du drapeau tricolore, c’est la guerre de 1914 », estime l’expert.

Pour d’autres pays, le drapeau est le fruit d’une réflexion nationale. C’est par exemple le cas de l’Afrique du Sud, pour lequel le peuple fut invité à faire des propositions. L’objectif était de changer le drapeau précédent adopté en 1928, trop associé à l’histoire de la seule communauté blanche du pays. C’est finalement celle de Frederick G. Brownell qui fut reconnue. En vigueur depuis le 27 avril 1994, le nouveau drapeau a pour objectif de refléter les éléments clés de l'histoire sud-africaine, en incluant notamment toutes les couleurs utilisées par les différentes administrations sud-africaines et les principaux groupes ethno-politiques du pays. 

Cette participation citoyenne est loin d’être un cas unique. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, le drapeau national, adopté le 1ᵉʳ juillet 1971, a été dessiné par la jeune étudiante de quinze ans Susan Karike Huhume, qui a gagné un concours organisé dans tout le pays pour imaginer le futur drapeau du pays. 

En outre, la création d’un nouveau drapeau a fréquemment été l’occasion, pour d’anciennes colonies, d’affirmer leur indépendance. Le Mozambique et le Guatemala ont par exemple fait le choix de faire figurer une arme sur leur drapeau, pour alléguer leur « détermination à protéger leur liberté ». 

Enfin, certains drapeaux sud-américains se sont inspirés des couleurs du drapeau français pour former leur propre drapeau. C’est par exemple le cas du drapeau du Paraguay, preuve que la symbolique d’un drapeau traverse bien souvent les frontières nationales.

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