Pizza, sushis, churros : savez-vous d'où viennent vraiment vos aliments préférés ?
Les churros viendraient de Bagdad, les Portugais auraient popularisé une célèbre recette de sushis et le poulet tikka masala ne viendrait pas d’Inde...
Des clients dégustent des churros enrobés de sucre et trempés dans un chocolat chaud intense à La Palma, un restaurant cubain de Miami. Cette friandise, dont les racines remontent à la Perse, n’est qu’un exemple parmi d’autres de la façon dont la nourriture évolue et s’adapte à mesure qu’elle voyage et se fond dans différentes cultures.
L’origine des aliments est un sujet complexe et souvent ardemment débattu. Par exemple, quand certains affirment que le premier bagel fut produit à Cracovie, en Pologne, en 1610, d’autres soutiennent qu’il trouve ses origines à Vienne, en Autriche, à la fin du 17e siècle, voire qu’il descend de l’obwarzanek allemand et qu’il date en fait du 14e siècle. Lorsqu’un plat évolue et qu’il change de nom à mesure qu’il voyage, reste-t-il le même ?
À ce titre, le ketchup, à l’origine kê-tsiap, du nom d’une sauce au poisson fermenté d’Asie du Sud-Est, fait figure d’exemple. Lorsque cette sauce arriva en Europe, les cuisiniers britanniques expérimentèrent : ils remplacèrent notamment le poisson fermenté par du vinaigre et des anchois pour en imiter la saveur originale. Avec le temps, les tomates devinrent l’ingrédient principal et l’on y ajouta du sucre pour créer le condiment sucré et relevé désormais associé à la gastronomie américaine. En dépit de ces changements, le nom demeure, tandis que la recette s’est considérablement transformée.
Mais d’où ces plats et aliments emblématiques viennent-t-il vraiment ? D’ailleurs, un plat, quel qu’il soit, peut-il vraiment revendiquer une origine unique ?
CHURROS : UNE PÂTE FRITE MISE À TOUTES LES SAUCES
La nourriture n’étant par nature pas destinée à durer, les historiens sont souvent contraints de parcourir les archives écrites et de comparer les recettes pour déterminer l’origine d’un plat. Le churro, un type de pâte frite souvent associée au Mexique ou à l’Espagne, a des origines anciennes et de nombreuses copies à travers le monde.
Pour Miranda Brown, le mythe populaire qui voit dans le churro une émanation du youtiao chinois est « absurde ». Contrairement aux churros, que l’on prépare à partir d’une pâte extraite d’un tube, le youtiao est fait à partir d’une pâte à base d’œufs que l’on abaisse, coupe en forme cylindrique, puis fait frire. « Le youtiao ressemble davantage à un gressin frit », explique Miranda Brown, qui précise que bien que délicieux, ce dernier n’a aucun lien avec les churros.
Miranda Brown fait plutôt remonter l’origine des churros à une délicatesse perse, la zulabiya, et observe qu’une recette du 10e siècle retrouvée à Bagdad, en Irak, permet de préparer un mets quasiment identique au churro actuel. Après avoir traversé les pays sous diverses formes, cette friandise arriva en Algérie, où la nomma « zlabia banane », et où elle est, là aussi, pressée à l’aide d’une seringue à pâtisserie. Bien que la zulabiya figure dans un livre de recette espagnol du 13e siècle, les churros adoptèrent une forme qui ressemble davantage à la version nord-africaine.
TOMATES ET PIZZAS, UN MÉNAGE QUI N’AVAIT RIEN D’ÉVIDENT
Les recettes simples sont davantage susceptibles d’être influencées par plusieurs cultures. « Plus c’est élaboré, plus il y a d’étapes et d’ingrédients, et plus il me semble que le nombre de personnes qui ont ne serait-ce que la possibilité de l’inventer diminue – et c’est sans parler de la probabilité que cela arrive », affirme l’anthropologue de la nourriture Katheryn Twiss.
Toute pizza commence avec une base simple : une galette de pain plat. « La galette de pain plat, c’est une chose qu’on est susceptible de mettre au point partout », explique-t-elle. Le plus ancien cas avéré de production de pain plat remonte à 2200 avant notre ère, en Égypte, où on le mangeait avec de la garniture. Cet aliment surgit plus tard en Grèce, en Italie et dans toute l’air méditerranéenne.
On pourrait avancer que c’est l’ajout de fromage et de sauce marinara qui caractérise la pizza que l’on connaît aujourd’hui. Ce serait oublier que la tomate, un ingrédient essentiel, vient d’un autre continent, et plus particulièrement de régions du Mexique et du Pérou.
« On l’associe vraiment à l’Italie de nos jours », observe Christine Hastorf, titulaire de la chaire d’anthropologie de l’Université de Californie à Berkeley. « Les gens pensent sauce tomate, pizza à la tomate, pomodoro italienne, des mets très italiens. Et pourtant, il a fallu deux cents ans au palais européen pour ne serait-ce que se rendre compte que c’était comestible. »
Les origines des ingrédients sont plus faciles à établir que celles des recettes, car les archéologues peuvent remonter au lieu où l’on a fait pousser un produit pour la première fois. Et le voyage de la tomate fut un long périple. C’est au 16e siècle que des colons rapportèrent pour la première fois des tomates en Europe, et bien qu’on les crût d’abord vénéneuses, elles finirent par devenir incontournables. De nos jours, l’Italie en est l’un des principaux producteurs en Europe.
« N’allez pas dire à un Italien qui cultive et met en conserve des tomates qu’il ne s’agit pas vraiment d’une plante de chez lui, prévient Christine Hastorf. C’est insultant. Ils l’ont indigénisée ; il se la sont appropriée. »
Si ce sont des immigrés italiens qui auraient introduits leur version de la pizza aux États-Unis au 19e siècle, cela n’efface en rien ses variantes turques et grecques, ni le style new-yorkais qui émergea par la suite.
LES ORIGINES TOUT SAUF JAPONAISES DU SUSHI
La première mention du sushi au Japon remonte au 8e siècle de notre ère. Cependant, selon Eric Rath, historien de la gastronomie japonaise et auteur d’Oishii : The History of Sushi, la recette serait chinoise et daterait du 6e siècle.
Les Japonais se mirent à prononcer « sushi » le nom chinois de ce plat qui signifie « aigre ». Ce qui se comprend puisqu’il s’agit d’un plat fort en goût. Contrairement aux sushis actuels, qui sont faits à partir de poisson frais, la version originelle était préparée avec du poisson conservé ; une technique typique de l’Asie du Sud-Est. Les chefs chinois et japonais faisaient fermenter le poisson en le recouvrant de riz, un procédé qui prenait un an environ et qui laissait une saveur à donner le tournis.
Après le 14e siècle, les cuisiniers japonais continuèrent à modifier la recette afin d’accélérer ce procédé, ils atténuèrent le goût acide du plat à l’aide de vinaigre de riz, pour finir par arriver aux sushis quasi-instantanés que nous connaissons aujourd’hui.
Au fil du temps, d’innombrables influences culturelles ont imprégné le plat. Selon Eric Rath, les marins portugais commencèrent à commercer avec le Japon au 16e siècle et créèrent le tempurari, sushi enrobé et frit aujourd’hui connu sous le nom de tempura. Selon lui encore, il est probable que le premier sushi au saumon soit une invention norvégienne.
« Le sushi évolue sans cesse, observe-t-il. Beaucoup de gens ont pris part à sa création et il va continuer à évoluer en devenant un plat mondial, et c’est très bien ainsi, c’est fascinant. »
LE DÉBAT AUTOUR DU POULET TIKKA MASALA
Pour certaines personnes, la nourriture est étroitement liée à l’identité, chose qui ne laisse pas de susciter des débats sur la propriété culturelle. Le cas du poulet tikka masala est à ce titre éloquent. Si les ingrédients qui composent ce mets sont indiens mais que c’est en Écosse qu’on l’a modifié en ajustant la force des épices et la texture du poulet, s’agit-il d’un plat indien ou bien écossais ?
Ali Ahmed Aslam, chef indo-pakistanais évoluant en Écosse, affirme avoir inventé ce plat dans les années 1970 en ajoutant des tomates en conserve et de la crème à du poulet tikka. On a depuis lors pu entendre qu’il s’agissait du « plat national britannique ». Mais selon Santosh Mahapatra, linguiste de l’Institut Birla à Hyderabad qui a supervisé une étude sur l’ « Évolution de la cuisine indienne », « l’utilisation de crème, de yaourt, de masala, les épices, le tikka, toutes ces choses existaient dans différentes régions de l’Inde précoloniale ».
Quoique l’on puisse avancer qu’Ali Ahmed Aslam ait combiné ces ingrédients d’une nouvelle manière, un plat semblable, le poulet masala au beurre (butter masala), existait déjà en Inde. Selon Pritha Sen, spécialiste de la gastronomie indienne, ce plat serait apparu en Inde vers 1947, mais l’on n’y mettait du poulet effiloché plutôt que des morceaux que l’on appelle tikka.
De nos jours, on trouve du tikka dans ces deux variantes. « Donc cela revient au même, explique Pritha Sen. Simplement, je l’appelle butter masala ; lui l’appelle tikka masala. »
Pourtant, selon elle, cette différence dans le choix des mots suffit à faire du poulet tikka masala un plat britannique. A contrario, pour Santosh Mahapatra, l’utilisation de mots indiens pour le désigner fait qu’il sera toujours associé à l’Inde.
Peut-être que les deux ont raison, pondère ce dernier. « Le poulet tikka masala, je pense que c’est une identité partagée, conclut-il. Nous avons des identités partagées. La nourriture aussi, c’est une identité partagée. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.