L’Equal Rights Amendment a-t-il été ratifié, comme l’affirme Joe Biden ?
Proposé pour la première fois il y a près d’un siècle et adopté par le Congrès il y a cinquante ans, cet amendement constitutionnel a-t-il une seconde chance d’être ratifié ?
L’ancienne membre du Congrès pour New York, Bella Azbug (deuxième, en partant de la droite), se joint à quelque 4 000 défenseurs de l’Equal Rights Amendment (amendement sur l’égalité des droits) lors d’une manifestation organisée à New York en 1980 pour célébrer le 60e anniversaire l’adoption du 19e amendement à la Constitution.
« L'égalité des droits en vertu de la loi ne peut être déniée ou restreinte, ni par les États-Unis, ni par aucun État, en raison du sexe ». Depuis près d’un siècle, ces vingt-six mots font l’objet d’un long combat pour permettre aux femmes de bénéficier d’une protection égale en vertu de la loi. Si l’amendement sur l’égalité des droits (ERA, Equal Rights Amendment) proposé est simple, la lutte pour l’inscrire dans la Constitution américaine est en revanche loin de l’être.
Alors que son mandat prenait fin, le président Biden a déclaré que l’amendement était « ratifié ». Mais, et cela est important, cette proclamation ne signifie pas que le texte de l’amendement sur l’égalité des droits sera immédiatement inscrit dans la Constitution. Pour en comprendre les raisons, un petit retour sur la longue histoire de l’amendement proposé et sur les obstacles juridiques qu’il rencontre encore s’impose.
L’idée de cet amendement est née à la suite du mouvement des suffragettes. Alors que certaines militantes s’apprêtaient à retrouver une vie normale après l’adoption du 19e amendement en 1920, Alice Paul était déterminée à continuer le combat pour l’intégralité du programme pour les droits des femmes élaboré par les premières suffragettes en 1848. « Nous avions toujours été fidèles au programme tout entier et, si nous avions la possibilité de continuer, nous savions que nous devions faire du programme tout entier une réalité », a-t-elle déclaré en 1972.
La militante Alice Paul continua le combat en faveur de l’amendement sur l’égalité des droits après l’adoption du 19e amendement, lequel garantissait le droit de vote pour les Américaines.
En 1923, Alice Paul annonça qu’elle avait pour projet d’élaborer et de défendre un amendement constitutionnel garantissant une protection égale des deux sexes, qu’elle nomma en l’honneur de Lucretia Mott, pionnière des droits des femmes. Celui-ci fut présenté sous le 68e Congrès, en décembre de la même année, par le représentant Daniel Read Anthony Jr., avant d’être révisé et renommé en l’honneur d’Alice Paul.
Dès le début, l’amendement rencontra de sérieux obstacles. Bon nombre d’entre eux venaient d’autres militantes des droits des femmes, lesquelles craignaient qu’il ne présente un danger pour les lois qui protégeaient les travailleuses, adoptées après un difficile combat. Ces craintes, ainsi que des opinions divergentes sur la question des droits des femmes, jouèrent en défaveur de l’amendement pendant près de cinquante ans.
L’amendement sur l’égalité des droits a été présenté au Congrès à de maintes reprises. Malgré d’importantes victoires, prenant la forme de consultations publiques ou de son adoption au Sénat en 1946, il n’a jamais été adopté. Dans l’intervalle, le mouvement pour les droits des femmes a drastiquement changé, la vieille garde de suffragettes passant le flambeau à une nouvelle génération de militantes. Pendant des décennies, Alice Paul continua son combat acharné, avant de trouver le soutien dont elle avait besoin à la fin des années 1960, lorsque les féministes de la deuxième vague contribuèrent à l’adoption de l’amendement. En 1972, celui-ci fut enfin adopté par les deux chambres du Congrès.
Mais le travail n'était pas encore terminé. Pour que l’amendement soit ajouté à la Constitution américaine, les trois quarts des États devaient le ratifier dans le délai de sept ans fixé par le Congrès. Malgré un large soutien populaire et le fait qu’elle faisait même partie des programmes nationaux de la Convention nationale démocrate et de la Convention nationale républicaine depuis les années 1940, l’amendement sur l’égalité des droits a été victime de changements politiques.
L’hostilité à l’égard du mouvement féministe et le conservatisme croissant du parti républicain donnèrent du grain à moudre à Phyllis Schlafly, une militante opposée au féminisme et à l'amendement. Alors que les législateurs avaient reporté la date limite de l’ajout de ce dernier à la Constitution à 1982, l'opposition avisée de la militante et de ses alliés ralentit, voire enraya le processus de ratification dans plusieurs États. Le parti républicain enleva l’amendement sur l’égalité des droits de son programme et cinq États votèrent l'annulation de leur ratification dans les années 1970. En 1982, date limite pour son inscription dans la Constitution, trente-cinq États (sur les trente-huit requis) avaient ratifié l’amendement.
Tout n’était cependant pas fini. Le Nevada et l'Illinois l'ont respectivement ratifié en 2017 et 2018. Il ne manquait alors plus qu’un État pour atteindre la majorité, ce qui fut chose faite en janvier 2020, lorsque l'Assemblée générale de Virginie adopta l'amendement sur l’égalité des droits.
Le délai de ratification de sept ans ayant expiré, l’amendement pourrait se heurter à des obstacles juridiques importants, même en cas de nouvelle ratification. La jurisprudence de la Cour suprême stipule ainsi que les amendements doivent être ratifiés dans un délai « contemporain ». Par ailleurs, le 27e amendement, qui interdit aux membres du Congrès d’augmenter leurs indemnités avant une élection, a été proposé et élaboré par James Madison plus de deux siècles avant sa ratification en 1992. Se pose également la question des États qui ont annulé leur ratification, dans le cas où le Congrès accepterait de prendre en compte celle des États retardataires.
C'est pourquoi, même avec la récente déclaration du président Biden, le sort de l'amendement reste incertain.
S’il est vrai qu'un amendement constitutionnel ne peut remédier à toutes les disparités, ses partisans affirment qu'il pourrait définir plus clairement la discrimination fondée sur le sexe et empêcher le recul des droits des femmes dans certains domaines, comme l'avortement. Malgré les succès récents, l'avenir de l’amendement sur l’égalité des droits reste incertain et la phase la plus controversée de son histoire centenaire pourrait se dresser devant nous.
Note de la rédaction : cet article, initialement paru en 2019, a été mis à jour suite à la déclaration du président Biden. Il a été traduit de l'anglais.