Martin Luther King et Malcolm X ne se sont rencontrés qu’une seule fois
Les deux leaders des droits civiques ne se rencontrèrent qu’une seule fois vers la fin de leur vie. Mais que se serait-il passé si leurs chemins s’étaient croisés plus tôt ?
Martin Luther King et Malcolm X se rencontrèrent brièvement après la conférence de presse du pasteur au Capitole, où le Sénat américain débattait avant l’adoption du Civil Rights Act en 1964. Ce fut la première – et la seule – fois que ces deux légendes des droits civiques se rencontrèrent.
Le 26 mars 1964, Martin Luther King et Malcolm X se rencontrèrent pour la seule et unique fois de leur vie.
Les deux hommes étaient deux des activistes noirs les plus influents du 20e siècle et, depuis longtemps déjà, les médias les montaient l’un contre l’autre. Ce jour-là, tous deux étaient présents au Sénat américain pour le résultat du vote sur le Civil Rights Act.
Pour Martin Luther King ce fut un grand moment. Au mois de janvier, Time l’avait nommé « Homme de l’année ». En octobre, on lui décernerait le Prix Nobel de la paix « pour sa lutte non violente en faveur des droits civiques pour la population afro-américaine ». Mais surtout, il avait joué un rôle majeur dans la mise en place du Civil Rights Act.
Malcolm X était quant à lui à la croisée des chemins. Plus tôt ce mois-là, on l’avait exclu de Nation of Islam (NOI), organisation nationaliste noire dont il avait fait augmenter le nombre d’adhérents de manière considérable. Libre des contraintes de l’organisation, Malcolm X venait de fonder Muslim Moque, Inc. et il était présent au Sénat pour décider de ce qu’il allait faire ensuite.
Malcolm X écouta la conférence donnée par Martin Luther King du fond de la salle. Lorsqu’elle prit fin, ils sortirent et se rencontrèrent.
On fit crépiter les flashs, bourdonner les pellicules. « Je me jette au cœur de la cause des droits civiques », lança Malcolm à Martin Luther après qu’ils se furent salués.
En l’espace de quatre ans, les deux hommes furent assassinés. Ce cliché emblématique immortalisa un moment qui se fit longtemps désirer malgré toutes les tentatives de les réunir.
DEUX LEADERS MONTANTS… ET DEUX OCCASIONS MANQUÉES
Le 17 mai 1957, à Washington, Martin Luther King prit la tête d’une manifestation pour exiger le droit de vote pour les Afro-Américains dans son premier discours national intitulé « Give Us the Ballot » (« Donnez-nous le droit de vote »). Cette intervention, couplée à son implication dans le boycott des bus de Montgomery, le propulsa au rang de leader du mouvement des droits civiques.
Malcolm X y vit une aubaine.
Quelques semaines auparavant, Malcolm X avait conduit une marche de milliers de New-Yorkais vers un commissariat de police afin d’exiger la remise en liberté et le retour à l’hôpital de Johnson X Hinton, un des membres de NOI. Ce dernier avait été sauvagement battu par la police après avoir tenté de les empêcher de s’en prendre à un autre homme noir. Il fut emprisonné avec le crâne fêlé, de profondes coupures à la tête et des caillots sanguins dans le cerveau.
La police accéda à la demande de Malcolm X. Ainsi que le raconte l’intellectuel Penial E. Joseph dans son livre The Sword and the Shield : The Revolutionary Lives of Malcolm X and Martin Luther King Jr, après avoir vu Hinton, Malcolm X dispersa les manifestants en un claquement de doigts. Un inspecteur adjoint se tourna vers un journaliste et dit : « C’est trop de pouvoir pour un seul homme. »
Contrairement à Martin Luther King, qui croyait en une résistance non violente, Malcolm X croyait au fait de répondre à la violence par la violence. Il croyait en la séparation volontaire, et non en l’intégration. Il était partisan du nationalisme noir, c’est-à-dire du fait que les personnes noires puissent contrôler leur politique et leur économie, et de l’éradication de vices tels que l’addiction aux drogues et l’alcoolisme au sein de la communauté noire. Cela était synonyme de fierté noire, d’Histoire noire et d’auto-détermination ; et finalement de création d’un parti nationaliste noir.
Malcolm X vit la montée en puissance de Martin Luther King – et prit conscience de leur potentiel commun – et souhaita que ce dernier se fasse sa propre idée de ce qu’était réellement NOI. Au cours des quelques mois qui suivirent, Malcolm X invita à deux reprises Martin Luther King à le rejoindre lors de rassemblements.
Mais les deux fois, ce dernier fut aux abonnés absents ; son secrétaire répondit qu’ils avaient reçu la seconde invitation trop tard.
UN APPEL À L’UNITÉ EN TEMPS DE CRISE
Il faudrait attendre quelques années encore avant que Malcolm X ne renouvelle sa tentative.
En avril 1963, le monde retint son souffle alors que des manifestants pour les droits civiques venaient d’être battus et attaqués par des chiens à Birmingham, en Alabama, tandis que des pompiers avaient roué de coup des enfants à l’aide de tuyaux à forte pression remplis d’eau. Martin Luther King avait été arrêté dans la mêlée et sa « Lettre d’une prison de Birmingham » publiée dans les journaux nationaux.
Pendant ce temps, Malcolm X parvint à attirer l’attention sur le mouvement nationaliste noir. Alors que Martin Luther King était en prison, une interview sincère de Malcolm X réalisée par Playboy « poussa plus avant Malcolm sous le feu des projecteurs nationaux », ainsi que l’écrit Penial E. Joseph.
À la fin du mois de juillet 1963, Malcolm X envoya à Martin Luther King ainsi qu’à d’autres leaders noirs une invitation à un rassemblement pour l’unité à Harlem pour faire face à la « présente crise raciale » ; une probable référence aux plus de 750 manifestations pour les droits civiques qui eurent lieu dans près de 200 villes et qui entraînèrent près de 15 000 arrestations.
Malcolm fit référence à une récente rencontre entre le président américain John F. Kennedy et le chef d’État soviétique Nikita Khrouchtchev et argua que si « eux parviennent à former un front uni en dépit de leurs différences idéologiques immenses, c’est une honte que les leaders noirs ne soient pas capables de dépasser leurs différences "mineures". »
Martin Luther King ne répondit pas, ni n’envoya de délégation.
À la place, dix-huit jours après le rassemblement, Martin Luther King prononça son célèbre discours, « I Have a Dream », devant plus de 250 000 manifestants lors de la Marche sur Washington.
RESSERRER LES LIENS
Le succès de la marche et l’horreur du public après les actes brutaux perpétrés à Birmingham favorisèrent l’adoption du Civil Rights Act ; et la rencontre emblématique entre les deux leaders. Mais celle-ci ne les rapprocha pas, du moins pas au départ.
Lorsque Malcolm X annonça à Martin Luther King qu’il rejoignait la cause des droits civiques, c’est de sa propre conception de la chose qu’il parlait. En effet, il était convaincu que la lutte pour les droits civiques telle qu’elle était menée nécessitait une « nouvelle interprétation ».
« Par "droits civiques" il est actuellement entendu que l’on demande à l’Oncle Sam de nous traiter convenablement », déclara Malcolm X lors d’un discours intitulé « The Ballot or the Bullet » (« Le droit de vote ou la balle ») et prononcé le 3 avril 1964. « Or, les droits humains sont une chose avec laquelle on est né […] Les droits humains sont les droits reconnus par l’ensemble des nations. »
Malcolm X ne croyait pas en la non-violence, mais il était en train d’évoluer sur la question. Il était prêt à envisager un recours à la non-violence sauf en cas d’utilisation de la violence contre lui. Il était disposé à laisser les personnes blanches « nous aider mais pas nous rejoindre ». Plus important encore, il souhaitait que les champions noirs de la cause des droits civiques fassent fi de leurs différences.
En juin 1964, il créa l’Organisation pour l’unité afro-américaine (OAAU) et envoya un télégramme à Martin Luther King, qui était en train de travailler à attirer l’attention sur les violences commises par le Ku Klux Klan à Saint Augustine, en Floride. Dans son télégramme, Malcolm X lui offrit une protection, proposition qui, de nouveau, demeura lettre morte.
En février 1965, il semblerait cependant que les deux hommes étaient enfin disposés à s’asseoir à la table des négociations. Selon Anna Malaika Tubbs, autrice du livre The Three Mothers : How the Mothers of Martin Luther King Jr., Malcolm X, et James Baldwin Shaped a Nation, ils devaient se rencontrer en compagnie du professeur de psychologie Kenneth Clark bien que l’ordre du jour proposé demeure inconnu.
Mais Malcolm X fut assassiné le 21 février 1965, deux jours avant la rencontre.
Après l’assassinat de Malcolm X, l’approche de Martin Luther King commença à converger vers celle de Malcolm X alors qu’il organisait des manifestations contre la guerre du Vietnam et forgeait des liens avec les activistes du Black Power.
Le 4 avril 1968, il fut tué sur le balcon de sa chambre d’hôtel, à Memphis, dans le Tennessee. Comme Malcolm X, Martin Luther King avait 39 ans.
ET S’ILS AVAIENT ŒUVRÉ ENSEMBLE ?
Malcolm X avait une réputation de débatteur habile et critiqua fréquemment Martin Luther King en public. Le secrétaire de ce dernier aurait un jour dit que King ne débattrait pas avec lui, car il « a toujours considéré son travail dans la perspective d’une action positive plutôt que de prendre part à un débat négatif constant. »
James H. Cone, fondateur de la théologie de la libération noire et auteur de Martin & Malcolm & America, avait une autre théorie. « King refusait toujours, en grande partie parce qu’il savait qu’une rencontre avec Malcolm annulerait presque entièrement le soutien de la communauté blanche. »
Toutefois, grâce à Coretta Scott King, nous avons une certaine idée de la façon dont les deux hommes auraient pu travailler ensemble. En 1965, elle et Malcolm X prirent tous deux la parole à l’occasion d’un meeting dans une église de Selma, en Alabama. Ainsi qu’elle se le remémora plus tard dans une interview donnée en 1988, Malcolm lui demanda de dire à son mari qu’il « ne venait pas à Selma pour lui compliquer la tâche. Mais je me suis dit que si les personnes blanches comprenaient quelle était l’alternative, ils seraient plus enclins à écouter ton mari. »
Ces mots, ainsi que son tact et sa sincérité, surprirent Coretta Scott King. « Après avoir entendu parler du comportement exemplaire de Malcolm à Selma, écrit Penial E. Joseph, King planifia en secret d’entrer en contact avec lui après la conclusion des efforts en faveur du droit de vote en Alabama. »
Malcolm X fut assassiné quelques semaines plus tard.
« Martin avait le plus grand respect pour Malcolm », déclara Coretta Scott King dans la même interview, « et il était d’accord avec lui en ce qui concerne le sentiment de fierté raciale et le fait que les personnes noires devraient croire en elles-mêmes et se voir comme dignes d’être aimées et belles. »
« Je pense que s’il avait vécu, et s'ils avaient tous les deux vécu, je suis sûre qu’à un moment ou à un autre, ils se seraient rapprochés et auraient constitué une force particulièrement puissante dans la lutte totale pour la libération et l’auto-détermination des personnes noires dans notre société. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.