La dépouille découverte à Notre-Dame serait celle de Joachim Du Bellay

Après deux ans d'enquête, l'inconnu de Notre-Dame a été identifié comme le poète Joachim du Bellay.

De Amandine Venot
Publication 16 oct. 2024, 17:56 CEST
Le sarcophage retrouvé à la croisée du transept qui aurait été identifié par E. Crubézy comme ...

Le sarcophage retrouvé à la croisée du transept qui aurait été identifié par E. Crubézy comme celui de Joachim du Bellay

PHOTOGRAPHIE DE Denis Gliksman, Inrap

Une dépouille anonyme dans un sarcophage de plomb, à Notre-Dame de Paris. Sitôt découverte, les chercheurs se sont employés à découvrir l’identité de celui ou celle qui y reposait depuis le 16e siècle. Eric Crubézy, professeur de paléoanthropologie biologique à l’université de Toulouse III, a été chargé de mener l’enquête avec son équipe. Après deux ans de recherche, une hypothèse a enfin vu le jour : il s’agirait du poète français Joachim du Bellay. 

 

DES INDICES DANS LES TEXTES HISTORIQUES

« Ce qui semblait le plus évident, c'était d’abord de regarder dans les textes historiques », raconte le professeur Crubézy. Une chose était sure, « n’importe qui ne pouvait pas être enterré dans la cathédrale ».

Au 16e siècle, les cinquante-deux religieux chargés de l'administration de Notre-Dame, regroupés sous le nom de Chapitre, avaient en effet mis en place un processus de validation pour bénéficier d’un enterrement dans la cathédrale. Le Chapitre se réunissait en assemblée pour savoir si ceux qui en avaient fait la demande méritaient cet honneur. Ils s'appliquaient ensuite à restituer l'ensemble des éléments dans des registres, qui depuis le 19e siècle, ont fait l’objet d’un travail de documentation.

En quête d’indices sur l’identité de l’inconnu reposant dans le sarcophage, les chercheurs de l’université de Toulouse III se sont intéressés auxdits registres, mais « ces documents datant du 16e siècle et étant rédigés en latin, ils étaient difficiles à transcrire », relève le Eric Crubézy.

L'étude des restes textiles des tombeaux peut apporter de nombreuses informations aux chercheurs, aussi bien sur le défunt lui-même que sur les techniques d'embaumement de l'époque.

PHOTOGRAPHIE DE Denis Gliksman, Inrap

Fort heureusement, ces documents n’ont pas été la seule source historique dont l’équipe de recherche a su tirer profit. Au 18e siècle, des antiquaires avaient découvert des épitaphes sur les tombes de la cathédrale. Après une étude minutieuse, ils ont reconstitué les épitaphes sur papier et les ont consignées. « C'est une source de renseignements que nous avons aussi exploitée » commente le chercheur. En croisant l'analyse des épitaphes avec les rapports du Chapitre, l’équipe scientifique a entrepris une première tentative d'identification de la dépouille mise au jour.

Mais « le compte rendu du Chapitre ne correspondait pas toujours avec la disposition réelle des tombes dans la cathédrale », se souvient Eric Crubézy.  « Il est donc possible que les décisions des chanoines n’aient pas été suivies à la lettre ». 

C’est dans des documents datés du 19e siècle qu’enfin des traces de Joachim du Bellay apparaissent. « Le cercueil de l’oncle de Joachim, l’archevêque de Paris, avait déjà été retrouvé dans la chapelle Saint Crépin de la cathédrale », indique Eric Crubézy. « Et nous savons que Joachim devait être enterré à côté de son oncle, à la demande de sa famille ». 

 

DES INDICES BIOGRAPHIQUES

Les chercheurs se sont alors penchés sur la biographie du poète, qui au 16e siècle s'est fait connaître comme l’un des premiers à avoir utilisé la langue française - et non le latin - dans ses compositions. Mais c'est au 19e siècle que son œuvre, revisitée, gagna en popularité. Cela s’explique par le contexte historique de l’époque qui « exigeait de faire rayonner la langue française dans le monde entier », explique Crubézy. « Pour ces raisons, on a célébré Joachim du Bellay qui chantait la gloire de la France et du roi ». Dans son poème Heureux qui comme Ulysse, il écrivait ainsi :

« Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine ». 

Cette ode à la France servit d’arme politique « aux Républicains qui maniaient la langue française en opposition aux hommes de l’église qui eux parlaient latin », explique Eric Crubézy.

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    PHOTOGRAPHIE DE Domaine Public

    Entre 1530 et 1560, la famille de Joachim du Bellay détenait un grand pouvoir religieux. L’un des oncles de Joachim était évêque à Paris. Un autre, Jean du Bellay, était cardinal à Rome et était l’un des hommes les plus importants de son époque. Quant à Joachim, lui aussi avait un certain pouvoir puisqu’il était chargé de représenter son oncle, le cardinal, auprès du Chapitre de Notre-Dame. 

    En dépit de ce titre, il n’avait pas de bonnes relations avec les chanoines de la cathédrale. Il imposait la nomination de ses amis et contraignait les hommes de l’église à lui donner de l’argent. Au moment de son décès à l'âge de trente-sept ans, sa famille demanda à ce que Joachim soit inhumé dans la cathédrale, à côté de son oncle. Les disputes non résolues du poète auraient pu jouer en sa défaveur, mais le Chapitre finit par accepter la demande de la famille Du Bellay à deux conditions. 

    La première portait sur la date de l’inhumation. Le chapitre requérait que la cérémonie fût fait le jour même, de sorte qu’« uniquement les personnes présentes dans la chambre mortuaire puissent y assister ». La seconde était d’ordre pécuniaire. Jean Du Bellay, l’oncle de Joachim, devait s’acquitter des frais de l’enterrement. Cependant, le cardinal « étant déjà ruiné par son train de vie à Rome avant de succomber de maladie quelques semaines après la mort de son neveu, ne risquait pas de payer sa dette », rappelle Eric Crubézy.

    Plaque d'identification de la sépulture d'Antoine de la Porte, chanoine de Notre-Dame de Paris. Il s'agit de l'un des trois types d'indices archéologiques ayant permis par le passé l'identification formelle de défunts enterrés à Notre-Dame.

    PHOTOGRAPHIE DE Denis Gliksman, Inrap

    Pour toutes ces raisons, il n’y a pas de certitude que l’inhumation ait véritablement eu lieu. « Cela peut expliquer le fait qu’on n’ait jamais retrouvé sa pierre tombale », explique Eric Crubézy. Il est également possible qu’« il ait été mis dans une sépulture provisoire ou bien initialement placé à côté de son oncle [comme prévu] puis ait été transféré quelques années plus tard ». 

     

    DES INDICES BIOLOGIQUES

    Pour confirmer leur théorie, les chercheurs ont examiné les indices biologiques à leur disposition. « Nous nous sommes aperçus que l’individu du sarcophage était un cavalier âgé de trente à quarante ans ». Un indice précieux puisque « s’il avait eu la soixantaine, il aurait été noyé dans une masse des noms », commente le professeur. En effet, la majorité des personnes inhumées à Notre-Dame étaient des personnes âgées pour l'époque.

    D’autre part, l’individu aurait été atteint d’une « méningite chronique et d’une tuberculose cervicale ». Deux maladies causées par la même bactérie, Mycobacterium tuberculosis. « À l’époque, ces maladies touchaient trois sujets pour mille, dans cette tranche d’âge », explique Eric Crubézy. La liste des personnes pouvant correspondre à ces éléments était donc d’autant plus réduite. 

    Le long travail de recherche de l'équipe d'Eric Crubézy permet aujourd'hui d'affirmer « qu’il est probable à très probable que l’inconnu soit Joachim du Bellay ».

    PHOTOGRAPHIE DE Denis Gliksman, Inrap

    « Nous avons retrouvé des éléments indiquant que Joachim du Bellay avait été autopsié une trentaine ou une quarantaine d’années après sa mort », affirme le professeur. Les termes exacts des médecins légistes de l’époque énonçaient que « son cerveau présentait des signes de méningite chronique ». Selon cette découverte, Joachim du Bellay était atteint de la même maladie que le sujet retrouvé à Notre-Dame.

    Même s’il est aujourd’hui impossible de comparer l’ADN du corps mis au jour et celui de Joachim du Bellay, ou bien de son oncle, pour confirmer pleinement son identité, le faisceau d’arguments historiques réunis permettent de dire « qu’il est probable à très probable que l’inconnu soit Joachim du Bellay », conclut Eric Crubézy. 

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