L'histoire de la célèbre chasse aux sorcières de Salem

Les procès des sorcières de Salem constituent bien plus qu'une simple curiosité historique. Cette histoire à glacer le sang nous a apporté des enseignements sur la peur, le pouvoir et les conséquences de la paranoïa collective.

De Erin Blakemore
Publication 11 oct. 2024, 09:13 CEST
Cette peinture à l'huile de 1855, intitulée The Trial of George Jacobs, le représente lors de ...

Cette peinture à l'huile de 1855, intitulée The Trial of George Jacobs, le représente lors de son procès en août 1692. Sous la pression de l'hystérie collective, sa propre petite-fille a témoigné contre lui, ce qui a conduit à son arrestation le 10 mai 1692. Lors de son procès, George Jacobs n'a pas réussi à réciter correctement le Notre Père, ce qui était souvent considéré comme un signe, preuve de culpabilité. Si les procès des sorcières de Salem sont aujourd'hui célèbres pour toutes les femmes qui ont été accusées, des hommes en ont également été victimes.

PHOTOGRAPHIE DE Peabody Essex Museum, Bridgeman Images

Les statistiques ne sont qu'un moyen parmi d'autres d’illustrer les tristement célèbres procès des sorcières de Salem. En seulement seize mois, entre février 1692 et mai 1693, un peu moins de deux cents personnes, essentiellement des femmes, furent accusées de pratiquer la sorcellerie à Salem, dans le Massachusetts colonial. Sur toutes ces personnes, près de trente furent condamnées et dix-neuf exécutées par pendaison.

Salem aurait cependant pu ne jamais être le théâtre de ces accusations en masse, procès et exécutions sans cette confluence à la fois de personnalités et de facteurs individuels. Ces forces bouleversèrent une communauté puritaine et la vie de ses membres. Découvrez ce qui amena les procès des sorcières de Salem et pourquoi il convient, encore aujourd’hui, de se remémorer ce qui s’y déroula.

 

LES ORIGINES DE CETTE CHASSE AUX SORCIÈRES

Commençons par faire tomber les mythes. « À l'époque coloniale, à Salem, il n'y avait pas de femmes au visage vert portant des chapeaux pointus qui remuaient des [potions dans des] chaudrons et jetaient des sorts », démystifie Bridget M. Marshall, professeure d'anglais à l'université du Massachusetts, à Lowell, qui a rédigé des écrits sur les procès historiques de sorcières. En règle générale, les accusations de sorcellerie visaient plutôt des femmes dont le comportement dérangeait les membres de leurs communautés très unies et profondément religieuses. Il était fréquent qu’elles touchent également les membres les plus impuissants de la communauté, tels que les femmes pauvres ou de couleur, des personnes qu'il était aisé d'accuser de sorcellerie. 

Les procès de sorcellerie n'étaient pas l'apanage de Salem. En Europe, la chasse aux sorcières constituait une véritable préoccupation entre les 15e et 18e siècles, période au cours de laquelle près de 100 000 personnes, principalement des femmes, furent poursuivies car accusées d’avoir conspiré avec le diable et accompli des actes hérétiques comme jeter des sorts. Ce tourment se propagea avec la colonisation européenne, l’agitation sociale et les changements religieux, ainsi que politiques, qui avaient lieu à Salem, ouvrant ainsi la voie aux accusations de sorcellerie. 

Comme d'autres villes de la colonie de la baie du Massachusetts tenue par les Anglais, Salem était peuplée de colons puritains. Ils vivaient chaque jour aux côtés des habitants indigènes de la région, de personnes africaines réduites en esclavage et d'un nombre croissant de réfugiés, déplacés de ce qui est aujourd'hui le Canada et New York à cause de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, un conflit entre la France et une coalition de puissances européennes qui fit rage entre 1688 et 1697. Ces nouveaux habitants poussèrent Salem aux limites de ses ressources, alimentant les rivalités personnelles déjà intenses entre les villageois et leurs leaders religieux, ainsi que les responsables gouvernementaux.

 

LA PREMIÈRE ACCUSATION DE SORCELLERIE

Salem parvenant difficilement à garder un pasteur de manière permanente, le responsable d'église constituait l’un des sujets de discorde les plus tenaces. Après de multiples tentatives, la congrégation de l'église du village recruta le révérend Samuel Parris. Son mandat fut marqué par une controverse plus grande encore en raison de ses opinions strictes et orthodoxes, ainsi que des querelles au sujet de son salaire. 

En janvier 1692, sa fille de neuf ans, Elizabeth, et sa nièce Abigail Williams, âgée de onze ans, commencèrent à faire des sortes de « crises » après avoir joué à des jeux de divination. La doctrine puritaine considérait de tels amusements comme pernicieux. 

Dans ce cas précis, les fillettes avaient laissé tomber un blanc d'œuf dans un verre d'eau et interprété les formes qui s’étaient dessinées comme des indications sur les professions de leurs futurs maris. Après avoir décelé une forme de cercueil dans l'un des verres, les jeunes filles commencèrent à se comporter de manière étrange. Au cours de ces épisodes, elles émettaient des bruits forts et incohérents, comme des aboiements, pleuraient et tombaient sur le sol, le corps secoué de mouvements a priori involontaires. 

Ce portrait, une huile sur carton de 1685, représente Samuel Parris, le révérend qui a mené la chasse aux sorcières de Salem en 1692. Les premières accusations portées contre sa famille ont contribué à déclencher l'hystérie collective qui a engendré des procès de masse et des exécutions.

PHOTOGRAPHIE DE Massachusetts Historical Society, Bridgeman Images

Le médecin de la ville fit le diagnostic suivant : elles étaient sous l’emprise d’une « main maléfique », c'est-à-dire qu'elles étaient sous le maléfice ou la malédiction d'une sorcière qui laissa le diable les posséder. Les actes de sorcellerie et les interactions avec le diable étaient considérés comme des crimes au regard de la loi du Massachusetts. Le comportement des jeunes filles se mua ainsi rapidement en affaire judiciaire.

Lorsqu'elles furent confrontées à ces accusations, les fillettes rejetèrent la faute sur Tituba, une esclave servant Samuel Parris, clamant qu’elle les avait charmées par la sorcellerie. Tituba n’avait aucunement participé au jeu de divination mais avait concocté un « gâteau de sorcière » avec de l’urine et du seigle pour tenter de guérir les jeunes filles de leur supposée possession. Lorsque Samuel Parris apprit qu’elle avait préparé cela et le leur avait donné à manger, il entra dans une colère noire et la roua de coups. Sous la contrainte, elle avoua avoir pratiqué la sorcellerie, reconnaissant qu'elle était la servante du diable. 

« Tituba était une cible facile car elle aurait été considérée comme [appartenant à] la plus basse des [classes] inférieures d’une société très hiérarchisée », indique Bridget M. Marshall. « Il s'agissait d'une société [sous la pression de] beaucoup de stress, qui cherchait des boucs émissaires à blâmer pour divers problèmes. » 

Tituba ne constituait pas le seul et unique regrettable bouc émissaire justifiant le comportement des filles. Elles pointèrent du doigt deux autres femmes : Sarah Osborne, une citadine dont les mœurs étaient considérées comme légères par ses voisins, et Sarah Good, une femme sans le sou dont beaucoup n’appréciaient que peu la famille. Bientôt, toutes trois allaient être officiellement accusées de sorcellerie, emprisonnées et jugées.

 

LES EFFETS DE L'HYSTÉRIE COLLECTIVE 

Si les véritables motivations de ces accusations restent obscures, leurs conséquences sont quant à elles claires. Les arrestations déclenchèrent une crise de ce que les psychanalystes modernes appellent l'hystérie collective, que les spécialistes attribuent à toutes sortes de causes, de l'ergotisme aux hallucinogènes, en passant par la « polarisation de groupe ».

À la suite d'un témoignage provocateur dans lequel Tituba déclara que les fillettes et elle avaient enfourché des balais et signé un livre que le diable lui avait offert, d'autres filles du village commencèrent à adopter un comportement étrange. 

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    Gauche: Supérieur:

    Cette illustration de 1892 du Harper's Magazine montre une scène se déroulant dans une salle d’audience dans laquelle une foule accuse deux jeunes filles. Leur jeune âge est le reflet de la vulnérabilité des individus visés durant les procès des sorcières de Salem, comme en témoignent les cas de beaucoup d'entre eux.

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman Images
    Droite: Fond:

    Cette page de titre d'un pamphlet sur la chasse aux sorcières, publié en 1693 et écrit par Cotton Mather, pasteur puritain au moment des procès des sorcières de Salem, reflète la peur et la ferveur qui ont nourrit la persécution des prétendues sorcières dans le Massachusetts colonial.

    PHOTOGRAPHIE DE Peter Newark American Pictures, Bridgeman Images

    Au fur et à mesure que le procès avançait, de plus en plus d'habitants de Salem commencèrent à s'accuser les uns les autres de pratiquer la sorcellerie. L'historienne Carol F. Karlsen fait mention de l’avenir incertain, avec peu de perspectives, auquel étaient confrontés de nombreux villageois qui lancèrent des accusations de sorcellerie envers des membres de leur communauté. Ces pressions croissantes expliquent à la fois la curiosité des fillettes, les poussant à en savoir davantage sur leur devenir, et leur désir d'être approuvées par la communauté, leur comportement étrange ayant soulevé des questions de la part de ses membres.

     

    LES VICTIMES DES PROCÈS DES SORCIÈRES DE SALEM

    Salem créa un tribunal spécial pour les procès et commença à accuser en grand nombre, juger et exécuter des sorcières présumées. Les personnes accusées n'étaient pas présumées innocentes et les condamnations reposaient sur des aveux obtenus sous la contrainte, des rumeurs et même des « preuves spectrales » apparaissant dans les rêves de témoins. Les autorités prenaient également en considération la réputation des prévenus, leur comportement passé et leur corps, recherchant des caractéristiques physiques telles que des grains de beauté ou des griffures qu'elles interprétaient comme des « marques de sorcellerie ». 

    Les jeunes enfants eux-mêmes étaient en danger. Des témoins accusèrent la fille de Sarah Good, Dorothy, âgée de quatre ans, d'avoir « tourmenté » et mordu ses victimes. C’est après plus de huit mois de prison qu’elle fut libérée, l'exécution de sa mère par pendaison avait néanmoins déjà eu lieu. Mercy, sa sœur venue au monde en prison, y périt peu après sa naissance, ce qui fit d’elle la plus jeune victime des procès. 

    Même si les femmes constituaient l'écrasante majorité des personnes accusées, le tribunal jugea et reconnut également coupables six hommesJohn Proctor, un homme de soixante ans qui s'était publiquement opposé aux procès, le paya de sa vie. Son histoire et son exécution par pendaison furent plus tard adaptées à la scène dans la pièce d'Arthur Miller, Les Sorcières de Salem

    Après avoir été accusé, Giles Corey, âgé de quatre-vingt-un ans, refusa d'avouer ou de nier « divers actes de sorcellerie », tentant de protéger ses biens de la confiscation dans le cas d'une condamnation. Au lieu de le juger, les autorités le soumirent à la « peine forte et dure », le faisant ainsi lentement écraser sous des pierres jusqu’à ce qu’il rende son dernier souffle, l'une des formes d'exécution les plus brutales de l'époque.

     

    LES SUITES DES PROCÈS DES SORCIÈRES DE SALEM

    En fin de compte, selon Bridget M. Marshall, « seul un petit pourcentage de personnes [furent] jugées coupables ». Il est toutefois difficile de déterminer avec exactitude ce qui se passa pour celles qui furent acquittées. Elles parvinrent soit à convaincre le tribunal de leur innocence, soit à passer une série de tests, acceptant par exemple de réciter le Notre Père ou de montrer qu’elles étaient dépourvues de toute caractéristique physique susceptible d'être interprétée comme une « marque de sorcellerie ». 

    Parmi les personnes accusées, cinq périrent en prison. L’avenir n'était pas nécessairement réjouissant pour celles qui furent libérées. « Elles auraient été dans une situation financière difficile », révèle Bridget M. Marshall, en évoquant la confiscation des biens, les frais d'emprisonnement importants et d'autres pénalités. D'autres, comme Tituba, furent davantage marginalisées au sein de la communauté. Tituba finit par revenir sur son témoignage mais croupit en prison pendant treize mois jusqu’à ce qu'un bienfaiteur anonyme ne payât sa caution. Elle ne fut jamais dédommagée.

    Ces survivants s’en sortirent mais leur réputation fut ruinée, certains même plus que d’autres pour avoir été excommuniés de l'Église. En conséquence, nombre d'entre eux menèrent pendant des années de longues batailles afin que leur nom soit blanchi, poursuit Bridget M. Marshall. 

    Ce fanatisme autour des procès des sorcières de Salem se calma en 1693, sans doute en partie grâce à la prise de position publique de personnalités importantes opposées à ces derniers, comme le pasteur puritain Cotton Mather

    Il fallut des siècles pour que Salem, aujourd'hui destination populaire pour les touristes intéressés par le paranormal, reconnaisse pleinement le sort de ses victimes. Ce n'est qu'en 1957 que les autorités du Massachusetts commencèrent à présenter des excuses pour les procès. La dernière personne qui fut disculpée du crime de sorcellerie à Salem, Elizabeth Johnson Jr, ne fut innocentée qu’en 2022. En 2017, la ville inaugura finalement un mémorial sur le site où eurent lieu les pendaisons de masse. Le monument, entouré d'une forêt, consiste en un simple mur sur lequel sont gravés les noms des dix-neuf victimes de pendaison. 

    En incitant à une réflexion silencieuse, le mémorial va au-delà des statistiques et des spéculations ressortant de cette page de l’histoire et met en avant les véritables victimes au cœur de l'hystérie collective autour des sorcières de Salem : des individus marginalisés et assaillis de toutes parts que leurs propres voisins étaient prêts à faire tuer.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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