Loin d'être une invention moderne, le soutien-gorge existe depuis l'Antiquité
Les soutiens-gorge à armature et les soutiens-gorge ignifugés ne sont que les dernières innovations de cette lutte millénaire visant à couvrir ou maintenir la poitrine des femmes.
Sur cette mosaïque du 4e siècle de notre ère mise au jour en Sicile, des femmes font de l’exercice la poitrine recouverte d’un amictorium, une sorte de bikini en lin antique qui compressait les seins. Les experts sont divisés et ne peuvent affirmer si les Grecques et les Romaines portaient ces sortes de soutiens-gorge à des fins esthétiques, de maintien ou les deux.
Si les soutiens-gorge modernes sont faits de tissus particulièrement élaborés et offrent un excellent soutien technique, c'est parce qu'ils sont le fruit d'une lente évolution, qui trouve sa source en Antiquité. Des cuirasses antiques aux icônes impétueuses, voici comment nous en sommes arrivé(e)s au soutien-gorge actuel, et pourquoi ce dernier résiste à l’épreuve du temps.
QU'Y AVAIT-IL AVANT LE SOUTIEN-GORGE ?
Si l’on ne peut dater avec précision l’invention des nombreux précurseurs du soutien-gorge, on peut néanmoins faire remonter leur origine à l’Antiquité, comme en témoignent certains passages d’anciennes œuvres grecques. En effet, L’Iliade d’Homère dépeint la déesse Aphrodite en train d’enlever une « ceinture curieusement brodée » de sa poitrine, quand, dans la pièce Lysistrata d’Aristophane, une femme qui refuse d’avoir des rapports sexuels avec son mari, le taquine en lui disant qu’elle enlève son strophion, terme que l’on pourrait traduire par « bandeau pour seins ».
Selon l’historienne Mireille Lee, si le strophion avait des connotations sexuelles et genrées, il reste difficile de savoir ce que portaient les femmes de l’époque sous leurs vêtements ; seule une représentation artistique dépeint une femme portant un strophion.
Par ailleurs, des archéologues qui fouillaient la Villa del Casale, en Sicile, ont découvert une mosaïque du 4e siècle de notre ère représentant des athlètes romaines dont la poitrine est ceinte d’un vêtement ressemblant, selon les chercheurs, à un amictorium, une sorte de bikini en lin qui a valu aux sujets de la fresque le surnom de « femmes en bikini ». Citons également le mamillare, autre vêtement romain qui couvrait la poitrine et était fait d’un cuir plus solide. Mais comme l’écrit le classiciste Jan Radicke, si les femmes romaines semblent avoir eu « plusieurs options pour couvrir et modeler leurs seins, nous manquons de données pour déterminer » la réelle apparence de ces vêtements ou savoir s’ils étaient utilisés à des fins esthétiques, sexuelles ou purement pratiques.
LES « SACS À SEINS » DE L’ÉPOQUE MÉDIÉVALE
En 2008, des archéologues ont découvert quatre « soutiens-gorge » en lin dans une chambre forte remplie d’objets du 15e siècle au château de Lengberg, en Autriche. Ces vêtements, qui ressemblent fortement aux soutiens-gorge modernes, pourraient être ce que certains auteurs médiévaux qualifiaient de « sacs à seins ».
En 2008, la découverte de « soutiens-gorge » du 15e siècle dans le château autrichien de Lengberg, comme celui présenté ci-dessus, a surpris les historiens du vêtement qui pensaient que les bonnets de soutien-gorge avaient été inventés au 19e siècle.
À l’époque, expliquent les historiennes du textile Rachel Case, Marion McNealy et Beatrix Nutz, les fortes poitrines n’étaient pas à la mode. C’est pourquoi les femmes portaient des vêtements de soutien pour atténuer la taille de leur poitrine et prévenir les remarques sur leur corps. Vieux de 600 ans, les « sacs à seins » découverts au château de Lengberg, avaient des bonnets semblables à ceux des soutiens-gorge modernes et constituent selon les historiens, « des chefs-d’œuvre, considérant le grain du tissu » utilisé pour modeler et soutenir la poitrine. Cette découverte a galvanisé les historiens du vêtement, car elle est la preuve que les soutiens-gorge à bonnets, dont l’apparition supposée remontait au 19e siècle, ont été inventés plus tôt qu’on ne le pensait.
LA CRÉATION DU SOUTIEN-GORGE MODERNE
Le soutien-gorge tel que nous le connaissons vit le jour lorsque des inventrices et des réformatrices de l’habillement mirent en avant de nouvelles façons de modeler et de soutenir les seins. L’identité exacte de l’inventrice du soutien-gorge moderne demeure cependant incertaine : pourrait-ce être Herminie Cadolle, cette commerçante française des années 1880 qui coupa un corset en deux et le vendit comme « corselet-gorge » ? Olivia Flynt, la couturière dont le substitut de corset « Flynt waist » fit l’objet d’un brevet américain en 1873 ? Ou peut-être Caresse Crosby, qui obtint un brevet en 1914 pour une « corselette » destinée à soutenir la poitrine sous les vêtements tendances de l’époque, transparents et à dos-nu. Crosby vendit plus tard le brevet à la Warner Brothers Corset Company, dont la marque de soutien-gorge existe encore aujourd’hui.
Dans les années 1930, les soutiens-gorge ont remplacé progressivement les corsets ; c’est à cette époque que l’industrie de la lingerie introduisit à la fois des bonnets standardisés et des bretelles réglables pour ce vêtement de plus en plus essentiel. En 1968, les soutiens-gorge ampliformes ou push-up étaient tellement omniprésents et associés à la sexualité féminine et aux normes de beauté que les féministes qui protestaient contre le concours de Miss America à Atlantic City les jetèrent à la poubelle. Bien que stigmatisées comme « brûleuses de soutien-gorge » dans la culture populaire, les manifestantes n’allèrent jamais jusque-là : « Nous avions l’intention de brûler [une poubelle remplie de soutiens-gorge sur la promenade d’Atlantic City] », avait déclaré Carol Hanisch, organisatrice de la manifestation, à la National Public Radio en 2008, « mais le département de la police… ne nous a pas laissé faire. »
Ce fut ensuite au tour des soutiens-gorge de sport de faire leur apparition. Selon l’historienne spécialisée dans les vêtements de sport Jaime Schultz, de nombreuses femmes portaient avant des soutiens-gorge ordinaires pour faire du sport, ou se bandaient les seins avec du tissu, comme les « femmes en bikini » de l’Antiquité romaine. Jusqu’à ce que, dans les années 1970, deux coureuses s’inspirent du jock strap masculin pour créer le Jockbra, aujourd’hui considéré comme le premier soutien-gorge de sport moderne. Mais il fallut attendre 1999 pour que les soutiens-gorge de sport fussent mieux acceptés en tant que vêtements, grâce à la star du football américain Brandi Chastain qui, pour célébrer la victoire de son équipe en Coupe du monde, retira son maillot et s’exposa sous les caméras en soutien-gorge de sport.
La pandémie a provoqué un autre changement dans le port du soutien-gorge, puisqu'elle a poussé de nombreuses personnes à ne plus porter de soutiens-gorge ou à adopter des bralettes et des soutiens-gorge de sport qui offrent moins de soutien, au lieu des soutiens-gorge plongeants, ampliformes et invisibles popularisés ces dernières années. Mais des bandeaux aux sacs à seins et au-delà, l’innovation en matière de soutien-gorge continue d’aller de l’avant. En voici un exemple : en 2022, l’armée américaine a présenté des prototypes du soutien-gorge tactique ignifugé qui sera intégré aux uniformes militaires ; preuve qu’il est toujours possible d’améliorer la façon dont nous soutenons, positionnons et enveloppons la poitrine féminine.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.