La fin de l'Empire d'Alexandre le Grand précipitée par la suspicion et les complots
Le règne d'Alexandre le Grand a été marqué par des complots prévoyant l'assassinat du roi. Qu'ils aient été réels ou imaginaires, ils ont poussé le souverain à se retourner contre ses anciens frères d'armes.
Les accomplissements d'Alexandre le Grand au 4e siècle avant J.-C étaient incroyables. Né en 356 avant J.-C. d'un puissant roi et d'une reine ambitieuse, Alexandre fut l'élève d'Aristote jusqu'à l'âge de 16 ans et devint roi de Macédoine à 20 ans. Au cours de ses treize années de règne, il a unifié la Grèce antique, conquit la Perse, s'est emparé de l'Égypte et a créé un empire s'étendant de l'Europe à l'Asie. Il se considérait comme le descendant d'Achille et le fils de Zeus.
L'augmentation de son pouvoir allait de pair avec sa peur de le perdre. Parfois mégalomane et paranoïaque, il commença à se sentir menacé par tout le monde, y compris par ses proches. Il pensait qu'ils étaient jaloux, qu'ils convoitaient son pouvoir ou qu'ils voulaient le tuer.
DES DÉBUTS GLORIEUX
Grâce à un début de règne brillant, Alexandre le Grand se fait de nombreux fidèles compagnons, des frères d'armes qui l'aident dans son ascension rapide vers la gloire. En 334 avant J.-C., l'armée d'Alexandre traverse inébranlable l'Anatolie (l'actuelle Turquie) et envahit l'Empire achéménide (Empire perse). Elle remporte deux victoires, la première près du fleuve Granique et non loin de Troie, et la seconde à Issos.
De plus en plus en difficulté, Darius III, le roi de Perse, propose une trêve à Alexandre. Ce dernier refuse son offre et entre en 332 avant J.-C. en Perse contrôlée par l'Égypte. Il est accueilli par les chefs suprêmes comme un libérateur et fonde Alexandrie, la plus célèbre des villes, qu'il baptise d'après son propre prénom. Accompagné de ses hommes, le jeune roi fait un difficile voyage à travers le désert pour se rendre à l'oasis de Siwa, située non loin de la frontière actuelle avec la Libye et où se trouve l'oracle d'Amon, associé à Zeus par les Grecs. Là-bas, Alexandre est proclamé fils de Dieu par des prêtres en admiration devant lui, ce qui ne fait que renforcer son hégémonie.
Extrêmement sûr de lui, Alexandre vainc Darius pour la troisième et dernière fois en 331 avant J.-C., au terme de la bataille de Gaugamèles, qui se trouverait aujourd'hui près d'Erbil en Irak. Suite à cette victoire, Alexandre, accompagné de ses généraux, prend la Perse à Darius III, agrandissant ainsi son empire en pleine expansion. Mais cela ne suffisait pas à Alexandre, qui poursuit sa campagne à l'est. Les villes tombent dans ses mains les unes après les autres. Babylone, Suse et d'autres capitales de l'Empire achéménide passent sous son contrôle, et avec elles, leur importante richesse.
En -330, peu de temps après sa défaite lors de la bataille de Gaugamèles, Darius III est assassiné par l'un de ses gouverneurs provinciaux, également appelé satrapes. Alors qu'Alexandre entreprend de consolider son pouvoir, il adopte les coutumes perses, ce que bon nombre de ses compatriotes grecs jugent insultant. Mais le roi n'a pas remporté ses magnifiques victoires seul. Tout au long de sa campagne asiatique, ses proches amis et compagnons, à l'instar de Ptolémée, Cratérus, Cleitos « Le Noir », le fidèle Héphaestion et le grisonnant général Parménion, furent à ses côtés.
PARMÉNION ET PHILOTAS
Descendant d'une longue lignée de nobles macédoniens, Parménion fut un homme de confiance du père d'Alexandre, avant de servir ce dernier en tant que commandant en second. Il entretenait de très bonnes relations à la fois avec la cour et l'armée. Plusieurs fils du général septuagénaire servirent aussi Alexandre. Le plus âgé, Philotas, était peut-être le plus remarquable. Il fut choisi par Alexandre pour commander les hétairoi, la cavalerie des Compagnons, un corps d'élite entièrement composé de membres de la noblesse macédonienne.
Philotas avait la réputation d'être courageux, travailleur et un ami généreux et loyal. Certains le trouvaient arrogant et avaient des soupçons sur ses réussites, peut-être parce qu'ils étaient jaloux. Philotas ne partageait pas toujours l'avis d'Alexandre et le critiqua parfois. Ce fut notamment le cas sur la façon dont le roi avait été acclamé tel un dieu en Égypte.
La rumeur selon laquelle Philotas complotait contre Alexandre arriva aux oreilles de quelques généraux, placés sous les ordres de Cratérus. Des espions furent appelés pour le surveiller, mais le seul récit assimilable à de la trahison que ces derniers trouvèrent fut celui d'une prostituée grecque. Philotas se serait vanté auprès d'elle que lui et son père, Parménion, étaient responsables des victoires d'Alexandre. Cratérus fit part de ces découvertes à Alexandre, qui n'accorda pas beaucoup d'importante à cette confidence sur l'oreiller. Le roi faisait confiance à Philotas et ne voulait pas entrer en conflit avec Parménion, qui avait sa confiance depuis longtemps.
En -330, il y eu vent d'un autre complot de Philotas à l'encontre du roi, mais cette fois, un meurtre était évoqué. Alors qu'il passait l'hiver avec son armée à Phrada, aujourd'hui connue comme Farāh, en Afghanistan. Alexandre apprit qu'un homme, Dymnus, membre des hétairoi, projetait de l'assassiner. Un informateur, le frère de l'amant de Dymnus, avait fait part du projet à Philotas à deux reprises, mais ce dernier avait gardé le silence à ce sujet. Pour exposer Dymnus, l'informateur a fini par révéler le complot directement à Alexandre.
Dymnus se suicida avant d'être arrêté, laissant de nombreux mystères sans réponse. Convaincu de sa culpabilité, Alexandre exposa publiquement le corps de Dymnus, pour lancer un message aux potentiels traîtres. Se méfiant de plus en plus de son ami, Alexandre demanda à Philotas de s'expliquer sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas fait part du complot à son roi.
Philotas nia faire partie d'un complot destiné à assassiner Alexandre. Il affirma que les accusations dont il faisait l'objet semblaient sans grand intérêt, le résultat d'une querelle d'amoureux. Dans son œuvre L'Histoire d'Alexandre le Grand, rédigée au 1er siècle après J.-C., l'écrivain romain Quinte-Curce rapporte que Philotas prit Alexandre dans ses bras et le supplia « de prendre en considération son passé plutôt que cette faute, qui n'en était qu'une de silence ». Philotas accepta de laisser l'armée décider de son sort.
Alexandre rassembla l'armée macédonienne afin de juger Philotas. Face à elle, Cratère accusa Philotas d'avoir garder secret le complot d'assassinat, mais aussi d'en être à l'origine. Une fois tous les arguments entendus, l'armée rendit son verdict : elle jugea Philotas coupable de trahison et le condamna à mort pour cette faute.
L'ambition et la jalousie étaient tellement fortes parmi les proches d'Alexandre qu'ils ne concevaient pas que cette affaire prenne fin avec la mort de Philotas. Héphaestion prit la parole et proposa que le condamné soit torturé avant d'être exécuté, afin de découvrir qui d'autre était mêlé au complot. Héphaestion, Cratérus et les autres torturèrent Philotas toute la nuit, jusqu'à ce qu'il cède. Ils le forcèrent, encore une fois sous la torture, à donner les détails du prétendu complot et de tous ceux qui étaient impliqués. Le lendemain, l'ancien commandant de la cavalerie des Compagnons fut lapidé à mort.
UN ROI PLUS QUE MÉFIANT
La paranoïa, le complot et l'ambition l'emportèrent. À partir de ce moment, il n'y eut plus aucun procès. Une purge des rangs de l'armée fut simplement entreprise. Il n'y avait plus aucun doute pour ceux qui pensaient qu'une déloyauté soupçonnée ne serait pas punie. Alexandre savait que nommer des proches à des postes importants pourrait lui permettre de renforcer son pouvoir. Si Héphaestion voulait la chute de Philotas pour garantir sa propre ascension, il y est parvenu. Avec Cleitos Le Noir, il fut nommé par le roi commandant de la cavalerie des Compagnons, une position précédemment occupée par Philotas. Cleitos avait sauvé la vie d'Alexandre au cours de la bataille du Granique et entretenait de bonnes relations avec des hommes qui avaient servi le père d'Alexandre. Toutefois, Alexandre souhaitait garder Cleitos là où il était facile de le contrôler, car ce dernier, à l'instar de Philotas, avait critiqué les aspirations autocratiques du roi.
Suite à l'exécution de Philotas, Alexandre entre dans ce que certains universitaires considèrent comme sa plus sombre période. Le roi, peut-être paranoïaque, pense qu'il est impossible que Philotas ait pu comploter contre lui sans l'aide de son père, Parménion. Il sait que ce dernier pourrait agir à son encontre pour se venger de la mort de son fils. Alexandre doit agir vite pour se débarrasser du vieil homme, dont la loyauté fut remise en question lors du procès de Philotas. Le vieux général Parménion était désormais perçu comme une menace, et ce malgré une longue vie au service d'Alexandre et du père de ce dernier.
Bien que Parménion ait toujours été une personne influente, les tensions entre lui et son roi grandissaient. Avec l'âge, il avait gagné en prudence, ce qui contrastait avec le caractère impétueux d'Alexandre. Au fil des années, leurs différences avaient conduit à des désaccords fréquents concernant la stratégie et les tactiques de guerre. Parménion occupait une position importante : il était en charge de la plupart des richesses et des lignes d'approvisionnement stratégiques de l'empire. Certains historiens ont même suggéré que le complot contre Philotas avait été imaginé afin d'avoir une excuse pour destituer le père de ce dernier.
Parménion était basé à Ectabane, une ancienne résidence d'été des rois perses, lorsqu'il fut assassiné. Selon les sources, il ignorait tout du terrible sort qu'avait subit son fils. Alors qu'un semblant de procès avait eu lieu avant l'exécution de Philotas, son père n'en a pas eu. Parménion fut assassiné par un messager envoyé par Alexandre. Il aurait donné plusieurs lettres à Parménion avant de rapidement le tuer, un acte réalisé par simple opportunisme politique. Déterminé à réaffirmer son autorité une bonne fois pour toute, Alexandre avait également envoyé un petit contingent à Ecbatane, chargé d'étouffer tout mouvement de rébellion parmi les troupes de Parménion suite à la mort de ce dernier.
Avant de quitter Phrada pour une nouvelle campagne, Alexandre renomma la ville Alexandrie Prophthasia (Anticipation), car c'était dans cette ville qu'il avait anticipé le soi-disant complot de Philotas.
REMORDS ET RETRAIT
Malgré la mort de deux de ses plus fidèles conseillers, Alexandre ne s'apaisa pas, bien au contraire. Il continua d'adopter ce que les Macédoniens voyaient comme des manières perses, renonçant à la retenue dont faisait preuve un guerrier pour la décadence. Voici un exemple : les banquets grecs représentaient le summum d'une société civilisée, un moment de célébrations, d'échanges philosophiques et de raison. Les banquets d'Alexandre étaient eux devenus synonymes de débauche, de passion et de sensualité.
C'est en -328, à Maracanda (aujourd'hui Samarcande), qu'a lieu le plus notoire des banquets du roi. Alexandre, alors âgé de 28 ans, est déterminé à conquérir l'Inde et conduit son armée réticente dans les terrains difficiles de l'Est. Le soir du banquet, Cleitos Le Noir est ivre. Une violente dispute éclate entre le roi et son commandant au sujet des politiques et du style de plus en plus perse qu'adopte Alexandre. Furieux par les accusations de Cleitos, Alexandre le tue de rage avec un javelot. Il aurait éprouvé d'importants remords peu après. Dans son livre « Vies parallèles » écrit au 1er siècle après J.-C., le biographe romain Plutarque décrit comment « Alexandre passa la nuit et le jour d'après à se lamenter, avant de finir par s'allonger sans rien dire, épuisé par ses pleurs. »
Les actions d'Alexandre n'ont contribué en rien à atténuer l'opposition dont faisaient preuve les compagnons du roi à son égard et d'autres complots émergèrent. En 327 avant J.-C., plusieurs pages d'Alexandre furent soupçonnés de vouloir l'assassiner. L'historien et biographe Callisthène, un des collaborateurs d'Alexandre, se retrouve impliqué dans le complot.
Selon Plutarque, Callisthène « était un très grand orateur mais manquait de bon sens ». Callisthène avait glorifié haut et fort les exploits d'Alexandre, faisant le récit de son incarnation en tant que fils de Zeus en Égypte. Sa plume lui permit de gagner les faveurs du roi, mais Callisthène n'approuvait pas toujours l'ego d'Alexandre. Alors que ce dernier avait adopté la coutume perse de la proskynèse, c'est-à-dire la prosternation devant le roi, Callisthène, qui était grec, refusait de l'exécuter. Alexandre l'autorisa à ne pas se prosterner, mais les historiens estiment que cette attitude de défi fut remarquée.
De nouveaux éléments relatifs au complot furent révélés et un témoignage sembla sceller le destin de Callisthène. Plutarque raconte qu'un des pages aurait demandé à Callisthène comment devenir un « homme plus illustre », ce à quoi ce dernier aurait répondu « En tuant le plus illustre ». Aucun page ne mentionna Callisthène comme un conspirateur, mais le mal était fait. Tous les pages furent exécutés. Callisthène fut lui emprisonné pour ses « crimes » et serait mort en prison.
En 326 avant J.-C., arrivés en Inde jusqu'à l'Hyphasis, aujourd'hui connue comme la rivière Beas, les hommes d'Alexandre en ont assez. Ils se mutinent, forçant le roi à faire demi-tour. Un événement qui marqua son règne à tout jamais. Trois ans plus tard, Alexandre est emporté par la fièvre à Babylone à l'âge de 32 ans. Ce jour-là, un astronome babylonien écrit sans émotion dans son journal : « Le roi est mort ; les nuages rendent impossible toute observation du ciel. » Son empire fut divisé entre ses généraux et fut démantelé pour toujours.