La véritable histoire des exorcismes, celle que l'on ne raconte pas dans les films
Les exorcismes ont souvent été source de fascination pour les cinéastes, qui aiment à brouiller la frontière entre la réalité et la fiction. L'idée de purger le mal est pourtant bien plus ancienne, et remonte au début de l'ère chrétienne.
BOGOTÁ, COLOMBIE : une fillette colombienne, prétendument possédée par des démons, hurle de douleur et de peur au cours d'un rituel d'exorcisme pratiqué dans une église de maison. Chaque semaine, des centaines de chrétiens se rassemblent en groupes anonymes dans des églises de maison, sans aucune inscription, dispersées dans la périphérie de la ville, pour effectuer des prières de libération et d'exorcisme.
Pour la plupart d’entre nous, le mot « exorcisme » évoque probablement cette image : celle d’un prêtre catholique, poussé par le pouvoir du Christ, qui chasse des créatures démoniaques et des esprits malins d'une personne ou d'un lieu, le vent soufflant soudainement, faisant vaciller les flammes des bougies qui l’entourent. Des films comme L'Exorciste, sorti en 1973, mettent en avant l'utilisation de l'eau bénite, de la prière et même de la raison pour repousser une force maléfique alors que la bataille épique entre le bien et le mal se déroule sous les yeux des spectateurs. Mais un exorcisme se déroule-t-il vraiment ainsi ?
Les exorcismes existent vraiment et, pour un certain type, les enjeux ne sont peut-être pas si éloignés de ce que la culture populaire nous donne à voir. Le film L'Exorciste du Vatican qui sortira le 10 mai 2023 et qui est basé sur les mémoires du Père Gabriele Amorth, véritable prêtre catholique et exorciste, propose par exemple une version hautement fictive du point de vue d'un initié en matière d'exorcisme. En se concentrant sur les aspects terrifiants de l'exorcisme contemporain, ce type d’œuvre ne permet pas de comprendre clairement comment l'exorcisme, en tant que pratique, a vu le jour.
À QUOI RESSEMBLAIENT LES PREMIERS EXORCISMES ?
Les exorcismes pratiqués par l'Église catholique sont probablement les plus connus. Au cœur de tout exorcisme se trouve le combat permanent contre le mal. La définition de ce dernier est cependant malléable et dépend du système de croyance, de la pratique et du contexte. Par conséquent, il peut prendre la forme d'un démon, d'une impureté spirituelle ou d'une simple tentation. L'exorcisme, en tant qu'arme de lutte contre le mal, l’expulse, purifie ou protège de toute force maléfique.
Le véritable Père Gabriele Amorth assis devant un crucifix à Rome.
En Mésopotamie, au cours du premier millénaire avant J.-C., des experts de la magie appelés ašipu repoussaient et expulsaient les démons qui répandaient la maladie et le chaos. En tant que guérisseurs spirituels, les ašipu étaient des protecteurs estimés qui utilisaient des amulettes, accomplissaient des rituels élaborés et, le cas échéant, faisaient appel à des figures démoniaques pour les aider dans leurs efforts. Le mot grec ancien daimon, d'où dérive le terme moderne de « démon », désigne des esprits semblables à des dieux et des forces surnaturelles. Alors qu’un daimon pouvait être bon ou mauvais, le « démon » était une force malveillante qu'il fallait chasser ou exorciser. L'historien Josèphe, du 1er siècle après J.-C., raconte l'histoire d'Éléazar, un homme qui a libéré d'autres personnes d'un démon en le faisant sortir de ses narines et en invoquant à plusieurs reprises le nom du roi Salomon. Ceci atteste également d'une forme d'exorcisme dans la tradition juive.
Durant les trois premiers siècles de notre ère, avec l'essor du christianisme, les exorcismes se sont solidement ancrés. Dans le sillage de la persécution religieuse, ils sont devenus un moyen d'unir les fidèles chrétiens et de défendre leurs croyances. L'expansion du christianisme a conféré au paganisme une dimension maléfique, transformant les croyances non chrétiennes en quelque chose qu'il fallait exorciser.
Par conséquent, le renoncement au paganisme, représentant le mal, est devenu une condition du baptême dans la foi chrétienne. Retomber sous l'influence d'une croyance païenne s'apparentait donc à une possession. Dans ce contexte, l'exorcisme, pratiqué volontairement, constituait un outil permettant de renforcer la foi et la communauté chrétienne.
Cette plaque en bronze datant de la Mésopotamie et conservée au musée du Louvre à Paris illustre un exorcisme ancien.
Il servait à légitimer le christianisme et, dès le 4e siècle après J.-C., était très souvent pratiqué avant les baptêmes. Les convertis et les aspirants chrétiens se soumettaient à un exorcisme matinal quotidien les jours précédant le baptême. Le jour de l’événement, lors d’un processus appelé exsufflation, un évêque soufflait littéralement sur eux pour chasser le mal. Dans les instants précédant le baptême, l'individu était oint avec de l'huile, elle-même préalablement exorcisée.
En dehors du baptême, les ecclésiastiques pratiquaient l'exorcisme en imposant les mains aux possédés tout en ordonnant aux mauvais esprits de quitter leur corps. Les chrétiens de la fin de l'Antiquité et du début du Moyen Âge pouvaient s'exorciser, pour ainsi dire, eux-mêmes : ils invoquaient un saint comme intercesseur, se rendaient dans un lieu saint et sollicitaient l'aide d'une entité sacrée pour se rapprocher de Dieu et s'éloigner du mal.
PUIS VINT LE MOYEN ÂGE
Ce n'est que vers le 12e siècle que l'exorcisme a amorcé une importante transition. Cette évolution est due à la montée des sectes hérétiques chrétiennes. Des mouvements comme le catharisme épousaient la lutte dualiste entre le bien et le mal, un affront à la doctrine et à la hiérarchie catholiques romaines. Pour les fidèles catholiques orthodoxes, et plus important encore, pour les responsables catholiques, cette hérésie présentait un tout nouvel avantage pour l'exorcisme : un rituel essentiel permettant aux chrétiens de se libérer des croyances hérétiques pécheresses auxquelles l'époque donnait naissance.
Cette œuvre d'art du 13e siècle provenant de la cathédrale de Bari, en Italie, illustre un exorcisme.
L'exorcisme s’est alors formalisé comme preuve du dévouement au christianisme, les prières personnelles devenant une forme d’« auto-exorcisme ». En outre, des théologiens comme Saint Thomas d'Aquin (1225-1274 après J.-C.) se sont penchés sur des sujets tels que la démonologie, contribuant ainsi à définir et à clarifier l'objectif de l'exorcisme.
La publication du premier livre sur l'exorcisme vers l'an 1400 a été suivie de ce qui a été des décennies, voire des siècles, de crise pour l'Église catholique. La Réforme protestante a divisé la chrétienté, poussant le Vatican à penser que le mal était peut-être plus présent qu'il ne l'avait jamais été. En conséquence, les persécutions telles que l'Inquisition ont pris des allures d'exorcisme. Dans ce contexte, le premier rite officiel d'exorcisme a été sanctionné par l'Église catholique.
En 1614, le Rituel romain (Rituale Romanum) a été institué et n’a presque pas été modifié avant la deuxième moitié du 20e siècle. Il comprenait De Exorcismis etSupplicationibus Quibusdam, ou Rituel de l'exorcisme et prières de supplication, qui, après les réformes entreprises par le IIe concile œcuménique du Vatican (1962-1965), fut la dernière partie du Rituale Romanum à être révisée. La dernière version a été publiée en 1999.
La structure et les formules des versions de 1614 et de 1999 du De Exorcismis et Supplicationibus Quibusdam sont très similaires, bien que la dernière renforce le lien entre le baptême et l'exorcisme. En conséquence de quoi, les exorcismes contemporains ne sont pas de simples miroirs des exorcismes anciens, mais ont, à bien des égards, bouclé la boucle.
Qu'en est-il de la culture populaire ? Les films peuvent être source de divertissement et revêtir une dimension cathartique tout en permettant de découvrir les interprétations modernes de ce qu’est l’exorcisme. Pour connaître la véritable histoire, toutefois, il est toujours préférable de se tourner vers les dogmes.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.