Le jour où Jules César a été enlevé par des pirates
Des milliers d'années avant Barbe Noire, ces flibustiers ont parcouru la Méditerranée, amassé d'importants butins et même enlevé le jeune Jules César.
Les navires marchands, comme celui à gauche de ce bol grec du 6e siècle av. J.-C., étaient la cible des pirates dans l'Antiquité. Des navires de guerre, comme celui de droite, ont été périodiquement déployés pour réprimer la piraterie. British Museum, Londres
Tous les enfants savent à quoi ressemble un pirate : un corsaire avec un cache-œil et un perroquet perché sur son épaule. Cette perception des pirates et de la piraterie, qui influence encore profondément la culture moderne, a été façonnée par des auteurs de la fin du 18e et du début du 19e siècles.
Ces notions hautement fantaisistes ont été inspirées par les corsaires et les boucaniers de l'âge d'or de la piraterie, qui a duré environ de 1650 à 1730. Mais les pirates commencèrent à sillonner les mers bien avant cela : le banditisme maritime existe depuis presque aussi longtemps que la navigation maritime elle-même.
Les origines du terme moderne de « piraterie » remontent au mot grec ancien peiráomai, qui signifie « tentative » (comprendre « tentative de vol »). Peu à peu, ce terme s'est transformé en un terme grec à consonance similaire signifiant « brigand », puis en un terme latin, pirata.
Un relief romain du deuxième siècle après J.-C. représentant une bataille navale a été réalisé lorsque la suprématie navale de Rome avait réduit la piraterie. Musée archéologique national, Venise
Les pirates de l'Antiquité n'ont laissé aucune trace archéologique. Les preuves historiques de leurs actions, des raisons pour lesquelles ils les faisaient et des tentatives faites pour réprimer leur expansion proviennent entièrement de sources écrites. Celles-ci permettent de se faire une idée de la menace que représentaient les pirates et révèlent que cette pratique était répandue dans toute l'Antiquité.
ENTRE TERRES ET MERS
La piraterie dans le monde antique peut être liée, en partie, à la géographie. Le caractère accidenté de la région méditerranéenne favorisait souvent les moyens de subsistance maritimes plutôt qu'agricoles. Au cours de l'âge du bronze et du début de l'âge du fer, les occupants des établissements côtiers tels que Byblos, Sidon et Tyr au Liban, et Athènes, Égine et Corinthe en Grèce, dépendaient beaucoup des ressources marines, le poisson, les mollusques, les algues et le sel. La plupart des habitants de ces régions possédaient un bateau et avaient à la fois des compétences maritimes et une connaissance inégalée de la navigation locale et des conditions de navigation. Si les temps étaient particulièrement durs, ces compétences pouvaient être facilement utilisées pour la piraterie.
Des modèles et des images de navires trouvés en Grèce, en Égypte et au Levant révèlent qu'en 3000 avant J.-C., un large assortiment d'embarcations naviguait régulièrement en Méditerranée. Au cours des premiers millénaires de la navigation maritime, alors que celle-ci n'en était qu'à ses débuts, les navires étaient incapables de parcourir de longues distances en eau libre et restaient donc près des côtes. La navigation était donc limitée à quelques routes navigables, comme celle qui reliait l'Égypte à l'île de Crète.
Les navires chargés de marchandises se déplaçaient le long de ces voies côtières. Les côtes accidentées de la Méditerranée constituaient un autre avantage pour les pirates. De nombreuses criques permettaient à leurs navires de rester à l'abri des regards jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour faire demi-tour. Les navires marchands manquaient de vitesse et de maniabilité, les pirates étaient plus rapides et plus agiles.
PIRATES EN ÉGYPTE
Certains des plus anciens écrits sur la piraterie antique proviennent d'Égypte. L'un des premiers est une inscription datant du règne du pharaon Amenhotep III (1390-1353 av. J.-C.) qui décrit la nécessité d'établir des défenses dans le delta du Nil pour se protéger des pirates. Ces pillards étaient peut-être les premiers véritables pirates, car ils attaquaient n'importe qui, quelle que soit sa nationalité, et ne devaient allégeance à personne.
Au 14e siècle avant J.-C., l'Égypte et ses alliés ont fait montre de leurs frustrations face à deux confédérations de pirates dans les Lettres d'Amarna, plus de 300 tablettes d'argile. Musée du Louvre, Paris
Des témoignages plus anciens proviennent des Lettres d'Amarna, une série de correspondances diplomatiques entre le pharaon égyptien Akhenaton et des États alliés et vassaux. Rédigées sur des tablettes d'argile entre 1360 et 1332 avant notre ère, elles abordent de nombreux sujets, dont la piraterie. Les tablettes indiquent que deux groupes de pirates, les Lukka et les Sherden, perturbaient considérablement le commerce et la sécurité de la région. La correspondance entre le roi d'Alashiya (l'actuelle Chypre) et le pharaon égyptien révèle la menace que représentaient les Lukka (basés dans l'actuelle Turquie). Après avoir vigoureusement nié que le peuple d'Alashiya s'était allié aux pirates, le roi affirma ensuite avoir mis en place des contre-mesures et déclara qu'il punirait tous ses sujets impliqués dans la piraterie.
PEUPLES DE LA MER
Un autre texte égyptien important fait la lumière sur un groupe redouté et mystérieux de maraudeurs marins : les Peuples de la Mer. Dans L'histoire de Wenamon, une œuvre de fiction écrite vers 1000 avant J.-C., les Tjeker (un sous-ensemble des Peuples de la mer) contrôlaient la côte entre le sud d'Israël et Byblos (centre du Liban) et attaquaient les navires marchands en toute impunité. Le Wenamon titulaire se tourna vers la piraterie dans un effort désespéré de compenser l'argent volé par un membre de son équipage. Bien que les Tjeker ne fussent pas directement impliqués, Wenamon reprocha à leur chef de ne pas avoir appréhendé le criminel et s'empara donc d'un navire tjeker et d'un large butin.
Debout, un Ramsès III vengeur frappe des membres des Peuples de la mer faits prisonniers sur un relief du 12e siècle avant J.-C. à Medinet Habu, en Égypte. Les Peuples de la mer, une confédération de tribus dont l'origine reste indéterminée, ont sévi dans l'est de la Méditerranée aux 13e et 12e siècles avant Jésus-Christ.
La puissance maritime connue sous le nom de Peuples de la mer a éclipsé toutes les autres pendant les deux derniers siècles du Nouvel Empire égyptien. De nombreux archéologues pensent qu'il s'agissait d'une confédération peu structurée qui prospérait en Méditerranée entre le 13e et le 12e siècles avant notre ère. On trouve des récits vivants des batailles menées par l'Égypte contre les Peuples de la mer dans le temple mortuaire de Ramsès III, à Médinet Habou. Les inscriptions sur les murs racontent comment le pharaon les a attirés dans un piège soigneusement préparé : « Les pays qui venaient des îles au milieu de la mer se sont avancés vers l'Égypte... Entrant furtivement dans l'embouchure du port, ils tombèrent dans les filets de leurs ennemis. Pris au piège, ils furent dépouillés. »
L'identité et la nationalité des Peuples de la mer restent l'une des plus grandes questions de l'histoire de la Méditerranée antique. Le terme « Peuples de la mer » n'apparaît pas dans les textes anciens (c'est un égyptologue du 19e siècle qui a inventé ce nom). La plupart des sources décrivant leurs faits d'armes proviennent de l'Égypte ancienne, et aucune ne donne une origine géographique précise. Si les actions des Peuples de la mer peuvent apparaître comme de la pure piraterie, leur nature et leurs intentions font encore l'objet de nombreux débats. À différentes époques, ils ont pu être des migrants ou des entrepreneurs, plutôt que des pirates. Les historiens continuent d'étudier cette mystérieuse puissance maritime pour comprendre leur véritable place dans l'histoire de la Méditerranée.
LES PIRATES GRECS
L'attitude du pouvoir à l'égard de la piraterie dans la Grèce antique est décrite dans les épopées homériques, L'Iliade et L'Odyssée, composées vers 750 avant notre ère. Bien que les pirates soient souvent décriés dans ces œuvres, à quelques occasions, leurs actions et leurs activités sont non seulement tolérées mais louées.
L'historien Thucydide a plus tard décrit les différentes motivations des habitants des côtes à pratiquer la piraterie, « certains pour servir leur propre cupidité et d'autres pour soutenir les nécessiteux. » Comme Homère, Thucydide suggère que les maraudeurs pouvaient être tenus en estime : « Ils tombaient sur une ville non protégée par des murailles et la pillaient ; cela en venait à être la principale source de leur subsistance, aucun déshonneur n'étant encore attaché à un tel exploit, mais même une certaine gloire. »
À la fin du 6e siècle avant notre ère, le commerce grec s'étendait sur toute la longueur et la largeur de la Méditerranée. L'augmentation sensible du volume et de la valeur des marchandises échangées signifiait que, pour la première fois, de grandes villes côtières comme Athènes, Corinthe et Égine étaient presque entièrement dépendantes du commerce maritime. La piraterie représentant désormais une menace importante pour leurs intérêts commerciaux, ces villes introduisirent un certain nombre de mesures pour la combattre.
Dans l'Antiquité, Rhodes s'est enrichie grâce au commerce qui passait par son port. La marine rhodienne protégeait l'économie maritime florissante de l'île contre les pirates, jusqu'à son déclin au 2e siècle avant Jésus-Christ.
Selon Thucydide, les Corinthiens furent les premiers à utiliser leur flotte pour réprimer la piraterie. Cependant, les dépenses conséquentes et le manque de praticabilité des campagnes navales à grande échelle auraient empêché de nombreux autres États de déployer ce type d'efforts. Tout au long des 5e et 4e siècles avant notre ère, les États grecs tentèrent d'enrayer la piraterie en recourant à des mesures moins coûteuses, notamment des campagnes sporadiques visant à « nettoyer les mers des pirates », la création d'alliances et de pactes comportant des clauses spécifiques interdisant le banditisme maritime, la construction d'avant-postes navals dans des régions populaires auprès des pirates et le recours à des escortes navales pour protéger les navires marchands.
Ces mesures s'avérèrent insuffisantes pour arrêter les pirates. Au 4e siècle avant J.-C., Alexandre le Grand pensait que les attaques contre sa marine marchande menaçaient l'invasion qu'il comptait mener sur la Perse. Il créa la première véritable coalition internationale contre la piraterie, à laquelle ses alliés devaient contribuer. Mais après sa mort en 323 avant J.-C., aucune puissance n'était assez forte ou riche pour endiguer la piraterie. En fait, les successeurs d'Alexandre découvrirent que les pirates pouvaient être utilisés à leur avantage, soit pour menacer directement leurs ennemis, soit en les incorporant dans leurs propres flottes en tant qu'unités auxiliaires.
Démétrius Ier de Macédoine employait régulièrement des pirates dans ses forces navales. Diodore de Sicile, historien du premier siècle avant notre ère, rapporte que le nombre spectaculaire de navires déployés par Démétrius lors du blocus de Rhodes comprenait un certain nombre de pirates, dont la vue « semait la peur et la panique chez ceux qui observaient ».
PIRATES ROMAINS
Au cours des 4e et 3e siècles avant notre ère, les pirates étrusques représentaient une menace majeure pour les marchands grecs, notamment pour l'île de Rhodes dont l'économie florissante était fortement tributaire des routes maritimes de l'Adriatique entre la Grèce et l'Italie. Rhodes déploya donc sa flotte bien équipée pour protéger les navires de commerce.
Avec l'effondrement de la puissance navale rhodienne en 167 avant J.-C., cependant, la piraterie n'était plus fortement contrôlée. Dans la seconde moitié du 2e siècle avant notre ère, la piraterie redevint une menace considérable pour la navigation en Méditerranée avec l'apparition des célèbres pirates ciliciens, originaires de la région côtière de l'actuelle Turquie. Les redoutables maraudeurs de Cilicie s'en prenaient aux navires céréaliers. Les équipages étaient capturés et réduits en esclavage. Les passagers importants ou riches étaient pris en otages pour obtenir une rançon.
Hermès, une des divinités vénérées par les pirates ciliciens. Détail d'un Kilix du 5e siècle avant J.-C. Musée du Louvre, Paris
Comme les industries agricoles et minières de Rome dépendaient d'un approvisionnement abondant en esclaves bon marché, les Romains étaient d'abord disposés à tolérer les Ciliciens, mais leur tolérance prit fin en 75 avant J.-C. lorsqu'un groupe de pirates ciliciens enleva le jeune Jules César le retint sur l'île de Farmakonisi. L'historien Plutarque (1er et du 2e siècle), décrit la réaction blasée de César à sa captivité de 38 jours : il participait à leurs jeux, leur lisait à haute voix ses discours et menaçait en riant de les tuer tous.
« Les pirates en étaient ravis », écrit Plutarque, « et attribuaient l'audace de son discours à une certaine simplicité et à une joie enfantine. » Il s'est avéré qu'ils avaient fatalement sous-estimé leur captif. Une fois la rançon payée, il les pourchassa et les emprisonna. Un peu plus tard, « il fit sortir les pirates de prison et les fit tous crucifier, comme il leur avait souvent dit qu'il le ferait quand il était sur l'île sur le ton de la plaisanterie. »
Le sac de la ville portuaire de Rome, Ostie, aux mains des pirates en 67 avant J.-C. persuada finalement les Romains d'entreprendre un effort plus concerté et systématique pour lutter contre la piraterie. Une nouvelle loi accordait au général romain Pompée le Grand une autorité et des finances sans précédent pour combattre ce fléau commercial.
Au fond de la Méditerranée, des archéologues ont mis au jour des vestiges de béliers en bronze du 3e siècle avant J.-C. provenant de navires de guerre romains.
Dans sa Vie de Pompée, l'historien Plutarque brosse un tableau saisissant de l'ampleur du défi que devait relever le général :
« Leurs flûtes et leurs instruments à cordes, leurs beuveries le long de chaque côte, leurs saisies de personnes haut placées, et leurs rançons sur les villes conquises, étaient une honte pour la suprématie romaine. Car, voyez-vous, les navires des pirates étaient plus de mille, et les villes qu'ils avaient prises quatre cents. »
En conséquence, Pompée entreprit une série de raids contre les principales places fortes pirates en Méditerranée. Bien que des milliers de personnes aient péri aux mains des troupes de Pompée, celles qui se rendirent furent graciées et reçurent des propriétés et des terres dans des régions éloignées. Ces récompenses permettaient au bénéficiaire de gagner honnêtement sa vie et diminuaient l'attrait de la piraterie. La politique de Pompée, qui alliait pression et persuasion, s'avéra être la méthode la plus efficace pour lutter contre la piraterie pendant une grande partie de la période romaine.
PAX ROMANA
À la mort d'Auguste en l'an 14, la quasi-totalité du littoral méditerranéen était sous le contrôle direct de Rome. Cette Pax Romana, la paix résultant de la domination de Rome, réduisit les activités des pirates. Les occupations traditionnelles comme l'agriculture et le commerce devenant plus rentables, les risques et les difficultés de la vie en mer devinrent nettement moins attrayants. L'unité politique et économique de l'Empire romain favorisa également une plus grande coopération lorsqu'il s'agissait d'éradiquer la piraterie.
Néanmoins, comme ceux qui les ont précédés, les Romains ne sont jamais parvenus à éradiquer complètement cette pratique. Les épisodes occasionnels de piraterie étaient généralement réprimés par des opérations navales de grande envergure. Ces campagnes visaient à localiser et à détruire les mouillages et les flottes des pirates. Une inscription honorifique commandée par les citoyens d'Ilion (dans l'actuelle Turquie) remercie le général romain Titus Valerius Proculus d'avoir « détruit les groupes de pirates dans l'Hellespont et d'avoir gardé la ville de toutes les manières possibles sans l'accabler. »
Bien que l'Empire romain ait très fortement limité la piraterie à l'apogée de sa puissance, lorsque son influence politique et économique s'affaiblit à la fin de l'Antiquité, cette pratique recommença à fleurir en Méditerranée. Même la puissante flotte de Byzance ne réussit pas à empêcher la piraterie de devenir un grand fléau pour la région, et les maraudeurs semèrent à nouveau la terreur sur les routes maritimes jusqu'à l'émergence des marines arabes et européennes au début de la période médiévale.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.