Le système métrique, fruit de la révolution française
Alors que la révolution faisait rage dans les années 1790, les scientifiques français ont remplacé un système chaotique de poids et de mesures par une méthode unifiée : le système métrique.
Un calendrier républicain français de 1793-94, surmonté d'une allégorie de la Justice.
Mathématicien et auteur, le marquis de Condorcet (1743-1794) était un aristocrate qui embrassa les premiers mouvements de la Révolution française. Alors qu'il était acculé par les Jacobins pendant la Terreur - il faisait partie des modérés et était opposé à la mise à mort de Louis XVI - il écrivit l'Esquisse pour un tableau historique du progrès de l'esprit humain, exprimant sa foi en un avenir guidé par la science et la raison. Deux jours après son arrestation, il se suicida en prison pour éviter de monter sur l'échafaud en place publique.
Les idéaux de Condorcet perdurent dans la manière dont la plupart des pays mesurent les choses : c'est ce qu'on appelle le système métrique. Condorcet croyait qu'un système universel et standard permettrait aux gens de calculer leurs propres intérêts, « sans lesquels ils ne peuvent pas être vraiment égaux en droits... ni vraiment libres. »
Un détail d'une édition de 1794 du calendrier républicain français, mettant en vedette une figure féminine mesurant le monde.
DE L'ORDRE DANS LE CHAOS
Au moment de la Révolution française en 1789, Paris était la capitale mondiale de la science, dont les chefs de file, les savants, ont apporté des contributions durables aux domaines de la physique, la chimie et la biologie.
Dans ses premiers actes, la révolution a permis d'abolir les derniers vestiges de la féodalité en France. Elle a également mis fin au droit de la noblesse de contrôler les poids et mesures utilisés dans leurs fiefs.
Comme ailleurs en Europe, les anciens poids et mesures trouvaient leur origine dans un système utilisé par les Romains. Au cours des siècles depuis la chute de Rome, il avait muté en une myriade de systèmes locaux à travers la France. Les savants étaient confrontés à la réforme d'un patchwork de 800 unités de mesure différentes, de la toise à la lieue en passant par le quart et la pinte. Certaines mesures étaient extrêmement basiques : dans le Bordeaux du début du 18e siècle, une unité de terre était définie par la portée de la voix d'un homme. Il y avait peu ou pas de standardisation : à Paris, une pinte équivalait à 0,93 litre ; à Saint-Denis, elle équivalait 1,46 litre. Une aune, utilisée pour mesurer le tissu, était basée sur la largeur des métiers à tisser locaux. Ce système chaotique était sujet à la fraude et étouffait le commerce intérieur et extérieur.
Une première proposition fut d'imposer les mesures parisiennes au reste de la nation. Mais pour les savants, cette approche semblait une ligne de base arbitraire et non scientifique.
Le diplomate Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord proposa alors qu'une norme immuable fournisse l'unité de mesure de base, qu'il espérait être adoptée par d'autres nations pour harmoniser le commerce international. L'Assemblée nationale accepta et demanda à l'Académie des sciences, dirigée par Condorcet, de former une commission pour déterminer une nouvelle unité de mesure de base. Le gouvernement républicain promit au peuple de France « une loi, un poids et une mesure », un objectif qui mit dix ans à être approuvé et plus encore à être accepté.
DU NEUF AVEC DU VIEUX
Les savants ont finalement convenu que les diverses unités de longueur, de masse et de volume du nouveau système seraient toutes liées les unes aux autres. Chacune pouvait être divisée et multipliée à l'aide d'une échelle décimale.
Des citoyens utilisent les nouvelles mesures métriques dans ce détail d'une gravure en couleur de 1795. Musée Carnavalet, Paris
Cette idée n'était, en soi, pas nouvelle : les systèmes basés sur les décimales avaient été utilisés par les Romains, les Indiens et les Arabes. À partir du 14e siècle, les progrès économiques et techniques ont rendu la quantification plus importante, ce qui a conduit à utiliser des décimales pour les fractions, une idée avancée par le mathématicien flamand Simon Stevin. Le concept de mesure universelle n'était pas non plus nouveau, il avait déjà été proposé par l'Anglais John Wilkins en 1668. Wilkins proposa d'utiliser une infime partie de la circonférence de la Terre comme norme pour mesurer les longueurs.
La commission a arrêté une courte liste d'unités, dont la plus élémentaire était le mètre (du mot grec métron pour « mesure »). En 1790, l'Assemblée nationale et Louis XVI approuvèrent le nouveau système.
DÉFINIR LE MÈTRE
Le défi de définir la longueur du mètre a été relevé par un groupe d'éminents scientifiques : Jean-Charles de Borda, Joseph-Louis Lagrange, Gaspard Monge, Pierre-Simon Laplace et Condorcet.
Après quelques discussions, le groupe a adapté une idée proposée par Wilkins un siècle auparavant : un mètre équivaudrait à un dix-millionième de la distance du pôle Nord à l'équateur. La distance serait calibrée en mesurant l'arc méridien allant de Dunkerque, sur la côte nord de la France, via Paris, à Barcelone. L'invention par Borda du cercle répétitif, un instrument d'arpentage plus précis qu'un quadrant conventionnel, a rendu cette option plus souhaitable.
Les astronomes Jean-Baptiste Delambre (ci-dessus) et Pierre Méchain ont mesuré le méridien Dunkerque-Barcelone - sur lequel le nouveau système métrique repose. La prise en compte des montagnes dans leurs calculs a rendu leur travail encore plus difficile et la précision de leurs résultats d'autant plus remarquable.
En 1792, les astronomes Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain commencèrent leurs mesures du méridien. Le chimiste Antoine-Laurent Lavoisier qualifia ce voyage de « mission la plus importante dont un homme ait jamais été chargé ». Après plusieurs années de travail, ils livrèrent leurs calculs (des relevés satellites récents ont permis de vérifier que leurs valeurs étaient décalées, mais pas de beaucoup).
PROMOUVOIR LE NOUVEAU SYSTÈME
En 1795, les savants avaient utilisé cette mesure comme fondement d'un tout nouveau système : le mètre serait utilisé pour la longueur, le gramme pour la masse et le litre pour le volume. Le système métrique a été officiellement adopté en France le 10 décembre 1799. La mise en pratique de ce système fut plus longue. Beaucoup de gens préféraient garder leurs vieilles habitudes de mesure. En outre, en calculant les prix des marchandises sur la base du nouveau système, les vendeurs arrondissaient au chiffre supérieur, suscitant un peu plus la défiance du grand public pour ce nouveau système.
Napoléon Bonaparte arriva au pouvoir en 1799. Il était pour le moins réservé quant au nouveau système métrique, le voyant comme un inutile « tourment du peuple ». En 1812, alors que le commerce continuait de se faire avec les anciennes unités de mesure, il introduisit les mesures usuelles, un compromis entre le système métrique et le système traditionnel. Il rallongea, par exemple, la toise traditionnelle d'environ 50 centimètres pour que la nouvelle toise équivale à deux mètres dans le nouveau système métrique.
Après la chute de Napoléon au printemps 1814, les mesures usuelles ont continué d'être appliquées, mais les mesures traditionnelles d'avant la révolution sont revenues en force. Dans le même temps, et en dépit des résistances rencontrées dans le pays dans lequel il avait été inventé, le système métrique a fait de nombreux adeptes dans d'autres pays. En 1820, Guillaume Ier d'Orange-Nassau fit du système métrique le système de mesure officiel aux Pays-Bas. Quand la Belgique prit son indépendance dix ans plus tard, elle conserva le nouveau système de mesure. Le Luxembourg était également passé au système métrique.
Une affiche en couleur produite en 1850, détaille les poids et mesures, les mètres, les kilos et les litres aux écoliers français.
En 1837, désireux de se prévaloir de l'héritage de la révolution française pour asseoir son régime, le roi Louis Philippe Ier révoqua l'usage à la fois des mesures traditionnelles et des mesures usuelles et rétablit le système métrique pour orienter le pays vers la modernisation.
En fin de compte, ce ne sont pas les lois qui installèrent durablement le système métrique en France, mais la généralisation de l'éducation, de l'alphabétisation et de l'apprentissage des sciences et du commerce. Aujourd'hui, deux siècles après sa première mise en œuvre, seuls trois pays ont un système officiel non-métrique : le Myanmar, le Libéria et les États-Unis.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.