Les plus vieilles momies du monde peuvent-elles être sauvées ?

Dans le désert chilien, des restes humains ingénieusement préservés sont aujourd'hui menacés par le changement climatique.

De mark johanson
Publication 26 oct. 2021, 16:00 CEST, Mise à jour 26 oct. 2021, 17:14 CEST
Les momies de Chinchorros, découvertes au début du 20e siècle dans le désert d’Atacama au Chili, ...

Les momies de Chinchorros, découvertes au début du 20e siècle dans le désert d’Atacama au Chili, et des sites archéologiques associés ont récemment été inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Un nouveau musée est en construction et accueillera leurs restes ainsi que d’autres découvertes archéologiques.

PHOTOGRAPHIE DE Martha Saxton, National Geographic Image Collection

En 1917, l’archéologue allemand Max Uhle était en train de ratisser le littoral du désert le plus sec du monde, sous un Soleil de plomb, quand il est tombé sur un assortiment particulier de restes humains. En creusant dans la terre couleur kaki, il a mis au jour des corps déformés avec des morceaux de bois et des roseaux, dont était les têtes étaient ornées de perruques subtiles et de masques expressifs d’argile rouge et noire.

« Plusieurs cadavres montrent des blessures post-mortem comme la substitution d’une tête par une fausse, la fracturation d’une tête avec le raccommodage adéquat, [et] des bras ou des jambes de paille remplaçant ceux d’origine », écrivait Max Uhle.

Ces humains primitifs découverts dans le désert chilien d’Atacama, près de la ville d’Arica, sont aujourd'hui connus sous le nom de « momies de Chinchorro ». Les corps d’une demi-douzaine de chasseurs-cueilleurs, issus de populations qui ont parcouru les littoraux du nord du Chili et du sud du Pérou d’environ 7 000 à 1 500 av. J.-C., devaient être excavés, consignés, et finir par retomber largement dans l’oubli pour cinquante années.

Ces autochtones décédés depuis longtemps sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs. L’UNESCO a inscrit ces momies ainsi que le village chinchorro d’où elles viennent au Patrimoine mondial en juillet 2021. Un musée dernier cri pour les préserver et les exposer est en construction à Arica, petite capitale littorale renommée pour son milieu du surf. Le changement climatique menace la survie des momies. Il est donc possible que cette reconnaissance et la préservation qui va avec (et le tourisme que cela pourrait générer) soient arrivées juste à temps.

 

LES PLUS VIEILLES MOMIES DU MONDE SONT CHILIENNES

De l’Afrique à l’Asie on a par tradition momifié les morts pendant des milliers d’années. Mais les Chinchorros sont à notre connaissance les plus anciennes momies à avoir été fabriquées délibérément, environ 2 000 ans avant que les Égyptiens n’emmaillotent leurs pharaons de bandelettes. Elles se sont faites discrètes jusqu’ici car elles n’étaient pas enfouies dans des pyramides démesurées ou rattachées à des sociétés avec l’ambition ronflante de devenir un empire. À vrai dire, chez les Chinchorros on enveloppait tous les membres de la société (pas uniquement les élites) dans des linceuls de roseaux avant de les mettre en bière humblement (et peu profondément) dans la terre aride.

« La plupart des [endroits] que nous connaissons qui sont associés au Patrimoine mondial ont tendance à être des méga-sites comme le Macchu Picchu », explique Bernardo Arriaza, anthropologue à l’Université de Tarapacá qui a été le fer de lance de ce dossier à l’UNESCO. « Les chasseurs et les cueilleurs ont été moins visibles, et les sites eux-mêmes sont moins visibles – ils ne sont pas monumentaux – et donc ils sont sous-représentés. »

Les Chinchorros se sont mis à momifier leurs morts il y a 7 000 ans environ près de Caleta Camarones. Ce petit village de pêche à 100 kilomètres au sud d’Arica détonne de verdure au milieu du paysage monochrome de l’Atacama. Niché dans une vallée où le Camarones coule goutte à goutte dans l’océan Pacifique, la ville abrite un long croissant de sable doré, des restaurants d’empanadas et le cimetière des Chinchorros.

Ceux qui arrivent par la portion de route d’une trentaine de kilomètres qui pénètre dans la vallée du Camarones sont accueillis par un symbole spectaculaire de la culture régionale : six statues monumentales de Chinchorros dans un style contemporain, dont certaines font cinq mètres de hauteur. Elles sont là pour permettre aux voyageurs de visualiser les momies invisibles qui gisent encore sous la terre brune.

Le Musée Azapa San Miguel d’Arica, au Chili, étudie et préserve les momies chinchorros. L’entrepôt actuel ...

Le Musée Azapa San Miguel d’Arica, au Chili, étudie et préserve les momies chinchorros. L’entrepôt actuel n’expose qu’un petit pourcentage de ces restes primitifs ; un nouveau musée d’archéologie est en construction non loin de là.

PHOTOGRAPHIE DE Ivan Alvarado, Reuters, Alamy

C’est par ici que les Chinchorros ont développé leurs premières techniques de momification autour de l’an 5 050 av. J.-C. Dans les faits, les habitants de l’Atacama dépouillaient les morts, enlevaient les muscles et les organes avant de remodeler le corps à l’aider de bâtons, de roseaux et d’argile. Bernardo Arriaza assure que cela servait à donner du volume aux squelettes avant qu’ils ne soient recousus par des artisans avec de la peau d’humain ou d’otarie.

L’anthropologue émet l’hypothèse que l’arsenic contenu naturellement dans le Camarones (il y en a cent fois plus que les limites légales d’aujourd’hui) a pu entraîner des empoissonnements accidentels et la préservation d’enfants pas encore nés et que cela aurait suscité un traitement rituel des morts. La majorité de ces momies primitives sont des bébés et des fœtus. Il ajoute qu’en transformant des cadavres en décomposition en objets décoratifs, ils devenaient « maîtres des morts », projetaient ainsi une impression d’immortalité sur les morts et pouvaient faire leur deuil avec eux longtemps après qu’ils aient quitté ce monde.

 

OÙ VOIR CES MOMIES ?

Pour observer les momies de plus près, rendez-vous au musée archéologique San Miguel de Azapa et au petit centre d’interprétation Colón 10 à Arica, à l’extrémité nord du désert d’Atacama. Cette ville plaisante attire les surfeurs avec ses plages couleur vergeoise, les mordus d’histoire avec ses champs de bataille de la Guerre du Pacifique, et les randonneurs dans les parcs parsemés de volcans qui surplombent la station.

C’est aussi à Arica qu’on a découvert les Chinchorros les plus évolués (et les plus récents) au début des années 1980. La plupart ont été mis au jour sous la colline Morro de Arica, morceau imposant de roche couleur de rouille qui s’élève à 138 mètres en surplomb de l’océan Pacifique. Les momies qu’on y a découvertes, dont 48 sont visibles in situ sous un sol en verre au Colòn 10, ont été badigeonnées de pâte faite à partir de cendres et de manganèse noir ou d’ocre rouge qui favorisaient leur conservation.

La plus vaste collection de momies chinchorros repose près de là, entre les murs du musée d’Azapa, ouvert depuis 1967. Les silhouettes, dont certaines sont si menues et stylisées qu’elles ressemblent à des poupées de chiffon gothiques, sont allongées dans des vitrines blanches qui ressemblent à des cercueils au couvercle de verre. Elles ne sont pas si différentes des épouvantails d’Halloween. Leur torse déborde de bouts de bois et de roseaux, et leur visage est occulté par un masque qui vous hante.

La collection d’Azapa contient environ 300 momies, mais 90 % d’entre elles sont hors champ et se trouvent dans un entrepôt sans air conditionné ni contrôle de l’humidité. Le musée en construction devrait coûter 21,3 millions d’euros et ouvrir ses portes sur un terrain adjacent d’ici 2024. Il fera 5 000 mètres carrés et pourra conserver les momies à un taux d’humidité optimal, entre 40 et 60 %

 

L'OMBRE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Le climat aride de l’Atacama a permis de converser les momies chinchorros pendant des milliers d’années mais certaines se sont rapidement dégradées ces dix dernières années : leur peau fond en un suintement noir. D’après des chercheurs de Harvard, le changement climatique pousse les micro-organismes à attaquer le collagène des momies.

Les courants d’El Niño sont plus forts et sont responsables de l’augmentation de l’humidité dans la région ; que les momies soient dans un musée ou enfouies dans le désert, elles sont de toute manière en danger. Au sud de Caleta Camarones, les habitants aperçoivent parfois des fragments fibreux, des os et d’autres restes chinchorros dévaler les pentes des collines. Jannina Campos, archéologue travaillant sur les sites chinchorros, affirme que « chaque fois qu’il pleut, des os fleurissent dans le désert. Ils disaient que ça n’arrivait qu’une fois tous les 100 ans mais à cause du changement climatique, cela se produit plus souvent et plus intensément à chaque fois. »

Au lieu d’enlever les restes à chaque fois qu’il bruine, elle se contente d’enregistrer les momies, de noter leurs coordonnées et de les enterrer de nouveau dans le sol hyperaride. « Dès qu’on retire ce matériau culturel du sol, il commence à se dégrader », explique-t-elle en ajoutant que jusqu’à ce que le nouveau musée soit construit, on ne pourra stocker les momies nulle part.

« Un nouveau musée avec des conditions environnementales équilibrées aura un effet phénoménal sur la préservation », assure Mariela Santos, en charge de la conservation et des musées à l’Université de Tarapacá. Elle espère que le musée et la reconnaissance de l’UNESCO permettront de transformer les régions d’Arica et de Parinacote, à l’extrême-nord du Chili, en nouveaux centres touristiques.

Selon Nicolás del Valle, coordinateur du programme culturel chilien à l’UNESCO, ces évolutions récentes sont le commencement d’un processus plus vaste visant à valoriser les Chinchorros. « Il y a encore du travail à fournir », explique-t-il en faisant remarquer que pour faire connaître la culture chinchorro dans le monde, ceux qui vivent aujourd’hui sur leurs terres ancestrales doivent prendre la mesure de leur histoire et la transmettre.

Ceux qui vivent en bordure des sites d’Arica se rappellent encore avoir joué avec les crânes chinchorros qu’ils trouvaient dans leurs arrières-cours dans les années 1960 et 1970. De nos jours, les gens se sentent une responsabilité. Il y a des restaurants et des hôtels sur le thème des Chinchorros. Des créatifs comme l’artiste Paola Pimental, le romancier Patricio Barrios et les musiciens de Grupo Raíces s’inspirent des momies. Les pilleurs de tombes involontaires d’autrefois sont désormais les premiers à signaler les profanations.

« Avec le temps, les gens se sont mis à abstraire les Chinchorros de la science et s’attacher à ces habitants primitifs du désert d’Atacama, analyse Bernardo Arriaza. La communauté se sent autonome ; ils ont l’impression que c’est leur propre héritage et que ça fait partie de leur identité. »

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    Le journaliste Mark Johanson vit au Chili et traite de sujets comme le voyage, la gastronomie et la culture. 

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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