Meurtre ou folie : comment Edgar Allen Poe est-il vraiment mort ?

Plus de 170 ans après la disparition d’Edgar Allan Poe, la dernière énigme posée par le célèbre écrivain et poète américain nous résiste encore. Quelle était l’origine du « délire » qui précéda son décès ? Et pourquoi mourut-il vêtu des habits d’un autre?

De Erin Blakemore
Publication 10 oct. 2024, 16:18 CEST
Poet and novelist Edgar Allan Poe died on October 7, 1849. The culprit behind his untimely end is still unknown.
PHOTOGRAPHIE DE Superstock, Bridgeman Images

« Edgar Allan Poe est mort », put-on lire le 9 octobre 1849 dans le New-York Daily Tribune. « Cette annonce en surprendra beaucoup, mais peu seront peinés. » Le poète et écrivain de quarante ans, principalement connu pour ses nouvelles policières macabres et des poèmes comme Le Corbeau, était mort deux jours plus tôt, à Baltimore, le 7 octobre 1849.

Son statut de grand écrivain américain était évident au moment de sa mort déjà. Mais les circonstances de son décès tragique demeurent enveloppées d’un mystère difficile à dissiper. Pourquoi le poète portait-il des vêtements qui n’étaient pas les siens ? Que pouvait-il bien faire à Baltimore d’ailleurs ? Et quels furent les causes du délire et des hallucinations qui précédèrent sa mort ?

« Ça met l’eau à la bouche », confie Amy Branam Armiento, professeure d’anglais à l’Université d’État de Frostburg et membre du comité exécutif de l’Association des études sur Poe. Mais après plus d’un siècle de fascination et de frustration, la mort d’Edgar Poe n’est toujours pas résolue.

 

CE QUE NOUS SAVONS DE LA MORT D’EDGAR POE

Les récits des derniers jours d’Edgar Poe sont troubles. Le poète vivait à New York et traversait une interminable période de difficultés personnelles et financières. Bien qu’il se fût déjà trouvé ruiné en 1842, il était de nouveau sans le sou. Son épouse, Virginia, était morte de tuberculose en 1847, le laissant veuf. La dernière année de sa vie avait été caractérisée par un comportement de plus en plus dissolu et paranoïaque.

Son ami John Sartain se souvint plus tard qu’en juillet 1849, Poe avait paru à l’improviste, « pâle et émacié, les yeux animés d’une expression sauvage ». De toute évidence en proie à des hallucinations, Poe était convaincu que quelqu’un essayait de le tuer et avait demandé à son ami de lui raser la moustache afin qu’on ne le reconnaisse pas.

Cependant, dès l’automne 1849, les choses s’étaient améliorées. Poe venait de recevoir une importante somme d’argent pour un nouveau projet de magazine. Et de renouer avec un ancien amour : Elmira Shelton, veuve à la fortune considérable.

Mais le soir du 3 octobre, Edgar Poe se rendit au Gunner’s Hall, taverne de Baltimore qui servait également de bureau de vote. « Nous ne savons pas ce qu’il faisait à Baltimore », concède Amy Branam Armiento ; l’auteur voyageait de Richmond à New York et s’était visiblement arrêté en chemin.

C’était un soir d’élection et la taverne était bondée. Plus tard ce soir-là, Joseph Evans Snodgrass reçut un message lui demandant de venir au Gunner’s Hall pour aider son ami Poe, « un gentleman, plutôt mal en point […] qui semble en grande détresse ».

Quand Joseph Evans Snodgrass arriva, il fut choqué. Poe était à peine conscient, portait des habits qui n’étaient pas les siens, et « avait un air de stupidité vide qui me fit frémir ». Il se résolut à le conduire à un hôpital du coin.

Là-bas, le poète, accablé par les tremblements et le délire, ne cessa d’appeler une personne répondant au nom de « Reynolds » qui demeure non identifiée à ce jour. Trois jours plus tard, il mourut au Washington College Hospital, ayant même été jusqu’à supplier son médecin de l’achever. Le médecin attribua la cause du décès à un delirium tremens. Mais aucune autopsie ne fut réalisée et aucun certificat de décès ne nous est parvenu. Un article paru dans un journal local fit quant à lui état d’une « congestion cérébrale » pour expliquer la mort.

 

POE EST-IL MORT D’UN EXCÈS D’ALCOOL OU DE DROGUES ?

Edgar Poe ne tolérait pas l’alcool. De petites quantités suffisaient à l’affliger d’une ébriété extrême. Bon nombre de ses amis et acolytes supposèrent que la boisson avait joué un rôle dans sa mort et dans le comportement erratique qui y avait conduit.

Mais selon des historiens contemporains, ses hallucinations et son comportement erratique lorsqu’il avait bu ne sont pas nécessairement le signe d’un alcoolisme. Le poète buvait bel et bien, mais il eut de longues périodes d’abstinence et était un franc défenseur de la tempérance au moment de sa mort. Il avait en outre récemment rejoint un groupe de tempérance et avait donné plusieurs conférences brillantes.

Les opinions pro-tempérance de ses compatriotes purent les pousser à exagérer les problèmes d’alcool du poète au point d’y voir la cause de son décès. Ou peut-être que des rivaux le qualifièrent d’alcoolique pour le calomnier. On vit un journal pro-tempérance soutenir qu’il avait « rompu son serment » et qu’il était mort d’alcoolisme, mais cette hypothèse ne fut jamais prouvée. Il n’existe pas non plus de preuve qu’il ait consommé des drogues, comme de l’opium par exemple.

 

A-T-IL ÉTÉ VICTIME DE « SÉQUESTRATION ÉLECTORALE » OU BATTU À MORT ?

Une autre théorie évoque une « séquestration électorale » (« cooping » en anglais), une pratique qui consiste à kidnapper un électeur et à le contraindre à participer à une fraude électorale sous différents noms et identités. Plus d’une décennie après la mort de Poe, son admirateur William Hand Browne, habitant de Baltimore, confia au biographe de l’écrivain que « de l’avis général ici, Poe fut alpagué par l’un de ces gangs […] "séquestré" à des fins électorales, abruti à l’aide d’alcool, traîné pour aller voter, puis abandonné à son sort ».

Cela expliquerait l’accoutrement ; allure débraillée et tenue minable contrastant avec le soin frisant le dandysme que Poe accordait à son apparence. De plus, la fraude électorale était endémique à Baltimore à cette époque.

Ou alors Poe fut-il agressé à un moment donné sur le chemin de Baltimore, agression qui aurait entraîné le diagnostic aujourd’hui obsolète de « congestion cérébrale », qui pouvait désigner un éventail de maux allant du trouble de l’humeur au mal de tête en passant par la lésion cérébrale et la crise d’épilepsie.

 

EDGAR POE FUT-IL EMPOISONNÉ ?

Selon d’autres théories, Edgar Poe aurait été empoisonné, soit à l’aide de médicaments, soit à cause du monoxyde de carbone des lampes à gaz, ou bien par un autre type de poison. Mais la science contemporaine a pratiquement réfuté l’ensemble de ces allégations.

Edgar Poe fut exhumé plusieurs fois au cours d’une saga qui conduisit à son ultime inhumation et à l’érection d’une stèle définitive. Au début des années 2000, des scientifiques analysèrent des mèches de cheveux lui appartenant ainsi que des mèches ayant appartenu à Virginia. Bien que les cheveux de l’écrivain aient présenté des concentrations élevées d’arsenic, de plomb, de mercure, de nickel et d’uranium par rapport aux taux actuels, aucune n’était assez élevée pour suggérer un empoisonnement.

 

MALADIE, DÉPRESSION ET THÉORIES MACABRES

Certains attribuent la mort de Poe à un complot. Dans un ouvrage intitulé Midnight Dreary, John Evangelist Walsh affirme que les frères Shelton étaient furieux du projet qu’entretenait Edgar Poe d’épouser leur riche sœur, qu’ils l’auraient tiré hors de Richmond et qu’ils l’auraient fait boire dans le but de le discréditer, ce qui aurait conduit à sa mort par intoxication alcoolique.

D’autres théories contemporaines évoquent des maladies en tout genre : rage, méningite, tumeur cérébrale, etc. La théorie de la tumeur vient d’un témoignage selon lequel lorsque Poe fut exhumé, une importante masse de tissu non décomposé roulait de manière visible à l’intérieur de son crâne, vide par ailleurs. (Puisque le cerveau est l’un des premiers organes à se décomposer, l’auteur Matthew Pearl croit qu’il s’agissait d’une tumeur calcifiée).

Une autre explication est à la fois plus banale et plus convaincante. Les spécialistes de Poe « penchent pour l’explication selon laquelle il s’agissait probablement d’une tuberculose exacerbée par une exposition aux éléments », explique Amy Branam Armiento. L’épouse d’Edgar Poe, Virginia, était morte de tuberculose et il avait été exposé plusieurs fois à cette maladie au cours de son existence. 

Peu importe ce qui conduisit le lugubre poète à sa fin tragique, aucune preuve tangible ne permet d’expliquer sa mort. « Il est impossible de savoir », déplore Amy Branam Armiento.

Selon elle, le mystère entourant la mort de Poe a paradoxalement probablement joué un rôle important dans son héritage et dans sa postérité. L’étrange mort de ce pionnier de l’horreur continuera probablement de séduire universitaires et scientifiques, qui poursuivent leurs recherches en passant les archives au peigne fin faute d’indices matériels à exploiter. « Nous pouvons projeter sur lui ce que l’on pense qu’il était et ce que l’on veut qu’il soit », constate Amy Branam Armiento.

À vous donc de choisir la théorie qui vous plaît le plus ; elle en révèlera peut-être autant sur vous et vos préoccupations que sur la vie et la mort de l’énigmatique Edgar Allan Poe.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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