Le peuple autochtone de l’île de Pâques aurait inventé l’écriture avant l’arrivée des Européens

L’analyse d’une tablette gravée de signes rongorongo révèle que le bois date du 15e siècle, bien avant l’arrivée des Européens. Cette découverte suggère que les habitants de Rapa Nui pourraient avoir inventé l’écriture seuls, sans influence européenne.

De Manon Meyer-Hilfiger
Publication 24 juil. 2024, 14:07 CEST
Cette tablette retrouvée à Rapa Nui (île de Pâques) présente des signes Rongorongo faisant référence à différentes ...

Cette tablette retrouvée à Rapa Nui (île de Pâques) présente des signes Rongorongo faisant référence à différentes postures humaines, parties du corps, animaux, plantes, outils, corps célestes, etc. De nouvelles datations permettent d'en apprendre plus sur les origines de cette écriture. 
 

PHOTOGRAPHIE DE Archives du Musée de la Congregazione dei Sacri Cuori di Gesù e Maria

C’est une tablette en bois qui pourrait bien bouleverser nos certitudes sur l’écriture. Calfeutrée depuis plus d’un siècle derrière les murs d’un institut religieux de Rome, en Italie, cette tablette originaire de l’île de Pâques a été sortie de l’oubli par la philologue Silvia Ferrara et son équipe de linguistes, d’historiens, d’archéologues, et d’un botaniste. 

Gravée de signes de l’ancienne langue de l’île de Pâques, le rongorongo, cette tablette date de la fin du 15 siècle ou du tout début du 16e siècle, soit bien avant l’arrivée des Européens sur l’île, au 18e siècle. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour le monde de la recherche, c’est potentiellement un coup de tonnerre. 

Jusqu’ici, les spécialistes attribuaient l’émergence de l’écriture sur Rapa Nui (le nom autochtone de l’île de Pâques) à l’influence des Européens. Cette nouvelle découverte, détaillée dans une étude de la revue Scientific Reports, suggère que les habitants auraient pu inventer l’écriture seuls sur ce bout de terre au milieu de l’océan Pacifique, à 3800 km des côtes chiliennes.

Les spécialistes décomptent (jusqu’à présent) quatre foyers d’invention de l’écriture :  la Mésopotamie, la Chine, l’Égypte et la Mésomérique. Dans tous ces cas de figure, l’écriture était d’abord un outil des empires pour gouverner. « Traditionnellement, l'écriture est considérée comme un moyen de gérer de grandes populations dispersées à travers de grands espaces. Mais l’écriture des habitants de Rapa Nui, si elle date bien d’avant l’arrivée des Européens, pourrait changer ce paradigme » explique Silvia Ferrara, professeure à l’université de Bologne. Car, au contraire de l’empire de Chine, l’île de Pâques ne dépasse pas les 163 km², soit deux fois la superficie de Belle-île-en-mer, et la population locale se limitait, avant l’arrivée des Européens, à quelques milliers de personnes.

Modèle 3D d'une autre tablette retrouvée sur l'île de Pâques présentant des signes Rongorongo, la tablette B Aruku Kurenga (échantillon P002) avec une texture de haute qualité. 

PHOTOGRAPHIE DE © Archives du Musée de la Congregazione dei Sacri Cuori di Gesù e Maria

Mais pour l’instant, prudence, rappelle l’historienne. La datation radiocarbone a permis de connaître l’âge du bois. Pas de connaître le moment où la tablette a été gravée. « Le carbone se dégrade à un rythme régulier, donc grâce à l’analyse de sa présence dans la tablette, nous pouvons affirmer avec certitude que ce bout de bois servant à fabriquer cette tablette a été détachée de l’arbre entre 1493 et  1509 ap. J.-C., soit plus de deux cents ans avant l’arrivée des Européens ». 

Ensuite, deux options : soit ce morceau de bois a été transformé en tablette et gravé peu de temps après la séparation avec l’arbre. Soit il a été conservé pendant près de 200 ans et gravée après l’arrivée des Européens. Mais, « cet essence d’arbre devient de plus en plus sèche à mesure que les années passent. Il aurait été difficile de graver dessus plus de 200 ans après sa mort, d’autant que les signes sont très incurvés. Il y a donc des raisons de penser que nous pourrions avoir un nouveau foyer d'invention de l'écriture ».

Pour en avoir le cœur  net, Silvia Ferrara espère pouvoir dater la vingtaine d’autres tablettes en bois gravées de glyphes de rongorongo qui subsistent encore. Des rescapées de la destruction des missionnaires européens à la fin du 19e siècle, désormais conservées dans des musées aux quatre coins du monde, de Hawaï jusqu’à Rome en passant par Saint Pétersbourg. Ces premières analyses pourront donner une tendance plus globale sur l’âge des tablettes. Les trois autres tablettes analysées par l’équipe de Silvia Ferrara datent du 19e siècle.

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    Reste encore une interrogation. Si ce n’est pour gouverner un empire, pourquoi donc les habitants de Rapa Nui auraient inventé l’écriture ? Difficile à dire, puisque, sur l’île, plus personne ne sait lire ni écrire cette langue ancestrale. Ils ne sont d’ailleurs plus qu’une poignée à savoir la parler. Silvia Ferrara note tout de même cette intrigante manière d’écrire sur les tablettes : « Une ligne se lit de gauche à droite, la suivante de droite à gauche. Il faut retourner le morceau de bois à chaque changement de ligne ». Peut-être que ce maniement de la tablette était intégré à une sorte de cérémonie religieuse, suppose la professeure à l’université de Bologne… 

    L’île de Pâques, entre les moaï, ces monumentales statues de pierre, et ces tablettes remplies de glyphes indéchiffrables, n’est décidément pas avare en mystères.

     

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