Néfertari, épouse de Ramsès II et femme de pouvoir

Au 13e siècle av. J.-C., Néfertari, épouse bien-aimée de Ramsès II, fut ensevelie dans la plus belle tombe de la Vallée des Reines. Mais est-ce vraiment l’amour du pharaon qui valut à la souveraine cet immense privilège ? 

De Damien Agut-Labordère
Isis et la reine Néfertari | Antiquité égyptienne, gros plan sur un papyrus
Isis et la reine Néfertari | Antiquité égyptienne, gros plan sur un papyrus
PHOTOGRAPHIE DE Galerie Arkan

Cet article a paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner 

L’histoire de l’Égypte ancienne est prodigue en grandes figures politiques féminines. On pense évidemment aux véritables « pharaonnes » que furent Hatshepsout (v. 1479-v. 1457 av. J.-C.) et Cléopâtre VII (51-30 av. J.-C.), qui tinrent les rênes de l’État égyptien pendant plusieurs décennies. On songe également aux grandes reines du Nouvel Empire (1550-1090 av. J.-C.) : Néfertiti, qui partagea la vie d’Akhenaton (1371-1355 av. J.-C.), mais aussi Néfertari, la plus fameuse des huit épouses de Ramsès II (v. 1279-v. 1213 av. J.-C.). 

Si la première est connue par le splendide buste conservé aujourd’hui à Berlin, la seconde l’est avant tout par sa magnifique tombe de la Vallée des Reines.

Par l’ampleur et surtout la finesse de ses ­décors, la tombe de Néfertari est sans aucun doute la plus belle de toutes celles que l’on trouve en Égypte. Aucun des vastes sépulcres de la Vallée des Rois n’offre un ensemble pictural aussi achevé. Non que le programme iconographique se signale par l’originalité de ses thèmes. Sans surprise, il relate le parcours effectué par l’âme de la défunte après que celle-ci est descendue dans le royaume des morts présidé par Osiris. Le point de départ de ce cheminement était la « salle de l’or », où se trouvait le sarcophage de la reine.

Là se produisaient la gestation et la renaissance de son âme qui, en revenant dans l’antichambre, renaissait à la lumière avant de « sortir au jour », comme le soleil à l’aube de la journée. Au-delà de ce programme attendu dans une sépulture égyptienne du 2e millénaire av. J.-C., ce qui signale la tombe de Néfertari entre toutes tient à la netteté du dessin mis en valeur  par un usage harmonieux de grands aplats de couleurs vives.

 

DE LA RESTAURATION À LA FERMETURE 

Lorsqu’ en 1904 l’égyptologue turinois Ernesto ­Schiaparelli pénétra dans l’édifice, il ne trouva que des éléments épars, des oushebtis (statuettes funéraires), quelques bijoux et des fragments de meubles. La tombe avait été depuis longtemps pillée. Mais la beauté des peintures murales suscita immédiatement l’enthousiasme du public et, durant près d’un demi-siècle, les touristes se pressèrent pour visiter la dernière demeure du « grand amour de Ramsès II ». Comme à Lascaux, ce défilé des visiteurs bouleversa le microclimat qui régnait là depuis deux millénaires. L’humidité induite par la respiration et la transpiration accéléra le ruissellement et la formation de cristaux de sel qui soulevèrent le support des peintures, tandis que les différents micro-­organismes, champignons et moisissures importés de l’extérieur, proliférèrent dans un environnement confiné.

Courageusement, les autorités égyptiennes prirent la décision de fermer la tombe au public en 1950. Il fallut attendre près de quarante ans pour que commencent les travaux de restauration conduits par l’équipe italienne de ­Paolo et Laura Mora.

De 1988 à avril 1992, ces spécialistes consolidèrent et restaurèrent l’enduit mural en éliminant les retouches et les tentatives de restauration anté­rieures qui avaient été parfois réalisées en utilisant du plâtre industriel ! Ce n’est qu’en 1995 que le Conseil suprême des Antiquités égyptiennes permit la réouverture de la tombe au public, moyennant un contingentement strict du nombre de visiteurs.

 

L’ÉPOUSE « DOUCE D'AMOUR »

C’est sous le règne de Ramsès Ier (v. 1295-v. 1294 av. J.-C.) que les reines commencèrent à bénéficier de tombeaux aménagés (et non de simples tombes à puits), situés au sein d’une nécropole spécifique. 

La Vallée des Reines accueillit ainsi les sépultures d’une centaine d’épouses royales, mais aussi de princes et, peut-être, de particuliers de haut rang. Un grand nombre de ces tombes étaient de facture médiocre ou demeurèrent inachevées.

Le jugement dans l'Egypte ancienne

Comment expliquer dans ce contexte que la ­première épouse de Ramsès II ait bénéficié d’un ensemble funé­raire de cette qualité ? L’amour qu’aurait éprouvé le pharaon pour sa femme est une expli­cation qui ne manque pas de romantisme, mais qui se révèle, pour l’historien, difficile à vérifier.

Si les inscriptions relatives à Néfertari abondent en épithètes amoureuses – « douce d’amour », « belle d’aspect », « pleine de charmes » – et incitent à croire que ­Ramsès II était profondément épris de sa femme, il convient toutefois de faire remarquer qu’une partie d’entre elles proviennent de la tombe de la reine, où – et c’est là un fait essentiel – le souverain ne ­figure nulle part ! En réalité, ce que nous savons de la biographie de Néfertari évoque davantage la femme de pouvoir que l’amoureuse éperdue.

Le fait qu’elle soit native d’Akhmim, cité importante du nord de la Haute-Égypte, qui contrôlait à la fois le Nil et l’accès au désert occidental, est en soi révélateur. Cette ville avait en effet déjà donné une grande reine à l’Égypte en la personne de Tiy, épouse d’Amenhotep III (v. 1391-v. 1353 av. J.-C.), fille d’une puissante famille locale, mais aussi le pharaon Ay (v. 1346-1343 av. J.-C.), successeur de Toutankhamon, qui solda la crise politique ouverte par le règne d’Akhenaton.

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    PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

    Les grandes familles d’Akhmim vivaient donc dans une grande proximité avec la couronne et constituaient un relais en Haute-Égypte pour une monarchie dont le centre de gravité avait alors tendance à se déplacer vers le nord, c’est-à-dire la région de Memphis et le ­delta du fleuve. Très vraisemblablement ­issue d’une de ces familles patriciennes du Sud, ­Néfertari demeura tout au long de sa vie fortement liée à sa ville d’origine. Ainsi, le pylône du temple funéraire de Ramsès II a conservé une représentation de la fête du dieu Min – le dieu local d’Akhmim – ­montrant la reine en train ­d’exécuter une danse devant un taureau symbolisant cette divinité. 

    Devenue reine, Néfertari fut étroitement mêlée aux affaires de l’État. Dès la première année de règne de Ramsès II, elle participa à différentes cérémonies dont certaines étaient d’une importance politique capitale. Dans la tombe thébaine de Nébounenef, on la voit ainsi se tenir aux côtés de son mari lors de la cérémonie au cours de laquelle le défunt fut élevé par le pharaon à l’éminente fonction de grand prêtre d’Amon de Thèbes.

     

    UN AMOUR AUX RAISONS POLITIQUES 

    La reine fut aussi associée à la politique étrangère de la monarchie. Une tablette cunéiforme découverte à Bogazköy, en Turquie, où se trouvait la capitale du royaume hittite, témoigne ainsi de la correspondance que Néfertari entretenait avec la reine Poudoukhep, épouse du roi hittite Hattousili III. On y voit les épouses des deux plus puissants monarques de l’époque échanger, outre des amabilités appuyées, ­bijoux et objets en or. Mais c’est à Abou-Simbel, face au temple semi-troglodytique qui lui fut consacré, que la puissance de Néfertari est la plus manifeste.

    À droite du grand temple dédié à Ramsès II se dresse en effet un édifice dédié au culte de la reine assimilée à la déesse Hathor. ­L’accès au sanctuaire est gardé par une série de statues colossales dont la majesté n’a rien à envier aux colosses royaux qui se dressent non loin de là. Le temple et la tombe témoignent ainsi des capacités politiques d’une reine sur laquelle Ramsès II, homme du Nord, issu d’une famille de militaires, sut s’appuyer pour imposer son emprise sur la Haute-Égypte. Installé dans sa capitale Pi-Ramsès (aujourd’hui Qantir), dans le delta oriental, Ramsès II avait besoin de l’appui des grandes familles patriciennes du Sud dont sa femme était issue.

    Outre un amour dont on ne peut que supposer l’existence, c’est bien cela que lui apporta la belle Néfertari d’Akhmim et qui valut à cette reine de reposer dans la plus belle des tombes d’Égypte. 

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