Qui était vraiment Marie Madeleine ?

Marie Madeleine est l’une des figures les plus connues de la Bible et est peut-être aussi la moins bien comprise. C’est peut-être pour cela que les chercheurs n’ont jamais cessé de traquer la vérité à son sujet.

De Parissa DJangi
Publication 3 avr. 2024, 11:10 CEST

Marie Madeleine est l’un des personnages les plus reconnaissables (et les moins bien compris) de la Bible. Cela fait des siècles que des spécialistes du monde universitaire passent au crible des textes religieux et fouillent d’anciennes villes dans l’espoir d’y trouver des traces de sa vie.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman Images

On l’a dite possédée par des démons, prostituée et femme de Jésus : l’histoire de Marie Madeleine, fidèle de Jésus de Nazareth, a été écrite et revisitée d’innombrables fois au cours des 2 000 dernières années.

Marie Madeleine a beau être l’un des personnages les plus connus de la Bible, elle n’en demeure pas moins mystérieuse. Que sait-on réellement d’elle ? Et de quelles preuves les chercheurs disposent-ils au sujet de sa vie et du monde qu’elle habita ?

 

DÉMÊLER LE VRAI DU FAUX

Les traces textuelles concernant Marie Madeleine proviennent en majorité des Évangiles canoniques : ceux de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean. Ces derniers l’identifient comme faisant partie du cercle rapproché de Jésus et comme une femme s’étant rendue sur sa tombe afin d’oindre sa dépouille le matin de Pâques.

Cependant, leurs écrits ne concordent pas en ce qui concerne sa vie. Luc affirme par exemple qu’elle était possédée par des démons, tandis que d’autres affirment qu’elle fut témoin de la crucifixion de Jésus.

Des Évangiles apocryphes (des écrits du christianisme primitif qui ne font pas partie du Nouveau Testament) fournissent en outre des témoignages différents concernant la relation qu’entretenaient Marie Madeleine et Jésus. Ils font notamment allusion à l’existence d’un lien fort entre les deux. Pour certains, ces textes mettent en évidence le fait que les « disciples masculins la rejettent parce qu’elle est une femme », selon James R. Strange, professeur d’études du Nouveau Testament et titulaire de la chaire Charles-Jackson-Granade-et-Elizabeth-Donald-Granade à l’Université Samford, en Alabama.

Quelles autres informations les chercheurs peuvent-ils glaner dans ces textes ? Elizabeth Schrader Polczer, maîtresse de conférences en études du Nouveau Testament à l’Université Villanova, fait observer que « Marie Madeleine n’est jamais nommée par rapport à un autre homme, comme c’était le cas pour la majorité des femmes. Cela tend à montrer que Marie Madeleine était une femme indépendante. »

Cette absence de certitude dans les textes bibliques en ce qui concerne la vie de Marie Madeleine a nourri de nombreux mythes, idées fausses et spéculations. Au premier rang de ces inventions figure le fait qu’elle aurait été une prostituée. Cette idée trouve son origine en 591, date à laquelle le pape Grégoire Ier confondit par erreur Marie Madeleine et une femme qualifiée de « pécheresse » dans l’Évangile selon Luc. Rien ne prouve que cela soit vrai, mais cette croyance est tenace.

 

À LA RECHERCHE DE PREUVES ARCHÉOLOGIQUES EN TERRES BIBLIQUES

Toutefois, les chercheurs ne s’appuient pas uniquement sur des traces textuelles pour examiner le passé. L’archéologie a donné lieu à d’importantes découvertes concernant le monde décrit dans la Bible, malgré les défis que de telles recherches comportent.

« Une preuve archéologique concernant l’existence d’un personnage antique doit se présenter sous la forme d’une inscription, par exemple sur le sol en mosaïque d’une synagogue ou sur un sarcophage. Comme vous pouvez l’imaginer, nous découvrons généralement des noms de personnes riches ou puissantes, ou les deux, sur des objets antiques », commente James R. Strange.

A-t-on réalisé une telle découverte en ce qui concerne Marie Madeleine ?

La Lamentation sur le Christ mort, peinture à l’huile de Sandro Boticelli, représente Marie Madeleine aux pieds du Christ après sa crucifixion. Les Évangiles divergent quant au fait qu’elle ait effectivement assisté à la crucifixion, et l’absence de traces de son passage sur Terre a laissé le champ libre à l’imagination des artistes.

Le point de départ logique pour une exploration du monde qu’habitait Marie Madeleine serait de fouiller ses lieux de naissance et de vie.

Par automatisme, beaucoup sont partis du principe que le nom « Madeleine » faisait référence à son lieu de naissance : Magdala. Pour cette raison, on l’appelle souvent aussi « Marie de Magdala ». Où, exactement, vécut-elle ? Les premiers théologiens ne le savaient pas vraiment.

Peut-être venait-elle d’un village situé près de la mer de Galilée. L’archéologue Marcela Zapata-Meza, directrice du Magdala Archeological Project de 2010 à 2024, fait remarquer « qu’il existe des histoires de pèlerins qui affirment s’être rendus dans la maison de Marie Madeleine sur les rives de la mer de Galilée ».

Au 6e siècle, les chrétiens primitifs commencèrent à appeler « Madgala » un lieu tout  à fait particulier : les ruines d’une ancienne ville située en bordure occidentale de la mer de Galilée.

Cependant, ainsi que l’affirment Elizabeth Schrader Polczer et l’historienne Joan E. Taylor, rien ne prouve qu’il s’agisse de la maison de Marie Madeleine.

« Au 1er siècle, on appelait cet endroit "Tarichaea" [son nom grec]. On ne l’appelait pas Magdala du temps de Jésus », souligne Elizabeth Schrader Polczer. « C’est une erreur de l’appeler "Marie de Magdala", car aucun des auteurs des Évangiles n’appelle jamais Marie Madeleine ainsi. En fait, les auteurs des Évangiles l’appellent invariablement "Marie la Magdaléenne" ou "la Magdaléenne". "Madeleine" pourrait aussi faire référence à un titre honorifique ("Marie la Tourière") plutôt qu’à sa ville d’origine », ajoute-t-elle.

Si l’on venait à découvrir des preuves archéologiques, on pourrait théoriquement dissiper le mystère entourant ces questions. Des fouilles réalisées à Magdala offrent un aperçu précieux du monde de Marie Madeleine. En 2009, des chercheurs y ont mis au jour une ancienne synagogue ainsi qu’une pierre sculptée représentant une menorah, autant de possibles témoins des pratiques religieuses des habitants de Magdala au 1er siècle. Ils ont également découvert la présence de fontaines dans des espaces publics et privés qui servirent peut-être à la purification rituelle au sein de la communauté juive, et qui furent sans doute un luxe. « Toutes ces installations reçoivent de l’eau souterraine et cela fait d’elles les plus pures d’Israël », indique Marcela Zapata-Meza.

Toutefois, « il n’existe aucune trace archéologique concernant Marie Madeleine », ajoute-t-elle. Et bien que d’autres chercheurs aient prétendu avoir retrouvé la trace des restes de Marie Madeleine en France ou dans une tombe du 1er siècle à Jérusalem, les affirmations de ces derniers ne jouissent que de peu de crédit au sein du monde universitaire.

 

DES LACUNES À COMBLER

Les spécialistes continuent néanmoins à mettre au jour des indices sur la vie et sur l’œuvre de Marie Madeleine à mesure que d’anciens textes refont surface.

Fin 2023, P.Oxy 5577, un papyrus égyptien fragmentaire susceptible de révéler des informations cruciales, a ainsi été déchiffré. « Il est tout à fait possible que Marie Madeleine ait été l’une des plus proches disciples de Jésus, prévient Elizabeth Schrader Polczer. Et ce fragment de papyrus qui vient d’être publié étaye cette possibilité, car Jésus enseigne à une femme nommée Marie comment devenir "une image de l’incorruptible et éternelle lumière". » Cependant, le papyrus n’identifie pas explicitement la femme comme étant Marie Madeleine.

Malgré tout, ajoute-t-elle, les détails élémentaires de sa vie demeurent hors d’atteinte. « Il y a beaucoup de choses qu’on ne connaîtra jamais sur Marie Madeleine. Nous ne pouvons pas déterminer son lieu de naissance avec certitude, ni l’identité des membres de sa famille, ni son âge au moment de la crucifixion, ni ce qui lui est arrivé après les événements du matin de Pâques. »

On est donc en droit de se demander pourquoi les chercheurs continuent à tenter de dissiper le mystère entourant Marie Madeleine. Potentiellement parce que son histoire nous offre des aperçus de l’histoire du christianisme, et parce que cette femme fut incomprise pendant si longtemps. Si le manque de preuves concernant sa vie a permis la prolifération de mythes pendant des centaines d’années, « le bon côté, c’est que Marie a servi de sainte patronne des travailleuses du sexe et des "femmes déchues" à travers les siècles », selon Elizabeth Schrader Polczer.

En effet, Marie Madeleine est associée aux personnes historiquement marginalisées, comme les lépreux ; au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, les hôpitaux de lépreux portaient parfois son nom. Nombreux sont ceux qui continuent à voir en elle une représentante de ceux que la société néglige, rejette ou ignore.

« Le nom de Marie Madeleine résonne profondément chez les nombreuses personnes qui ont l’impression que leurs voix et leurs histoires ne sont pas entendues ou valorisées, affirme Elizabeth Schrader Polczer. En mettant Marie en lumière, nous ravivons des aspects cruciaux et négligés de la vision qu’avait Jésus pour l’humanité. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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