Comment l’Endurance, un navire prisonnier des glaces, a été retrouvé en Antarctique

Des chasseurs d'épaves ont découvert le navire d’Ernest Shackleton, disparu sous la banquise antarctique depuis plus d'un siècle. Et résolu l'un des plus grands mystères de l’histoire de l'exploration.
De Joel K. Bourne, Jr.
Photographies de Esther Horvath
Publication 2 janv. 2025, 10:56 CET

Retrouvez cet article dans le numéro 304 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Les secrets sont bien gardés en mer de Weddell. Deux hommes le savent mieux que quiconque – Ou, du moins, que toute personne en vie. 

Depuis des années, John Shears et Mensun Bound sont en effet en quête du plus grand trésor de la région. Et ce jour-là, au beau milieu de l’hostilité de l’océan Austral, ils sont sur le point de s’avouer vaincus. Descendus de leur immense brise-glace, ils font quelques pas sur la banquise, en réfléchissant à la façon d’annoncer au monde leur nouvel échec.

Le trésor en question est l’Endurance, célèbre trois-mâts goélette qui avait transporté Ernest Shackleton et son équipage de vingt-sept hommes jusqu’en Antarctique en 1914, avant d’être broyé par les glaces et englouti par la mer de Weddell. Cette expédition ratée – Shackleton était censé amarrer le navire et traverser le continent à pied – est devenue une épopée de la survie, mais aussi l’un des récits les plus détaillés de l’âge héroïque des explorations polaires. 

Surnommé « le Boss », l’Anglo-Irlandais Ernest Shackleton reste l’un des explorateurs britanniques les plus admirés, ...

Surnommé « le Boss », l’Anglo-Irlandais Ernest Shackleton reste l’un des explorateurs britanniques les plus admirés, en raison de son dévouement pour ses hommes après le naufrage. Ils voulaient être les premiers à traverser l’Antarctique à pied.

 

PHOTOGRAPHIE DE FRANK HURLEY, INSTITUT DE RECHERCHE POLAIRE SCOTT, UNIVERSITÉ DE CAMBRIDGE/GETTY IMAGES

Nous le savons aujourd’hui, le Britannique sut réunir son équipage naufragé autour de lui et ils bravèrent ensemble les tempêtes, les engelures et l’épuisement de leurs provisions. Tous survécurent et leur histoire inspira d’innombrables livres et films. C’est toutefois leur navire en perdition qui en est venu à symboliser leur aventure homérique. John Shears, fort de vingt-cinq ans d’expérience au British Antarctic Survey (le centre de recherche du Royaume-Uni sur l’Antarctique), et Mensun Bound, spécialiste de l’archéologie sous-marine à Oxford, sont déjà revenus bredouilles d’une précédente mission à la recherche du trois-mâts, organisée en 2019.

Contrairement à Shackleton, les deux hommes bénéficient d’outils modernes, tels que la surveillance des glaces par satellite, des hélicoptères lourds et des véhicules sous-marins dernier cri. Ils disposent aussi du S. A. Agulhas II, un brise-glace de 134 m à la coque d’acier, et d’un équipage chevronné. Mais le temps presse. L’hiver arrive : la banquise qui a emprisonné l’Endurance risque à tout moment d’immobiliser le brise-glace. Lequel devra repartir deux jours plus tard, au risque de se faire piéger.

L’Endurance était une merveille de 44 m, considérée comme l’un des navires les plus robustes de son temps. Il avait été construit avec de grands madriers de sapin norvégien, recouverts de planches en bois dur de Chlorocardium rodiei, et équipé d’une quille en chêne de 2 m d’épaisseur. En dépit de sa solidité, le bateau était conçu pour des navigations relativement tranquilles – emmener des hommes fortunés chasser l’ours polaire en lisière de la banquise arctique. Après avoir racheté le navire, Shackleton l’adapta pour qu’il accueille le matériel et l’équipage de sa future expédition, il ajouta des niches pour plusieurs dizaines de chiens de traîneau et changea le nom figurant sur la poupe. Pris dans la banquise pendant neuf mois, le gouvernail et l’étambot ont fini arrachés sous la pression des glaces, ouvrant des brèches où l’eau s’engouffra.

À 17 heures le 21 novembre 1915, les hommes, qui campaient sur un floe (plaque de banquise), observèrent avec horreur la poupe s’élever en l’air. « Le voilà parti, les gars », dit lapidairement Shackleton en voyant le navire s’enfoncer dans son tombeau glacé.

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    PHOTOGRAPHIE DE JAMES BLAKE, FALKLANDS MARITIME HERITAGE TRUST, NATIONAL GEOGRAPHIC

    Personne ne pensait revoir l’Endurance. Des épaves, comme celles du Titanic ou du Bismarck, ont certes été retrouvées grâce à des technologies sous-marines de plus en plus perfectionnées. Mais explorer ce qui se trouvait sous la banquise en mer de Weddell présentait de telles difficultés techniques et financières qu’il semblait illusoire d’espérer retrouver le trois-mâts. Jusqu’à ce jour de 2018, où la Flotilla Foundation, organisation caritative néerlandaise de protection des milieux marins, a annoncé financer la toute première mission pour localiser l’épave. John Shears a été nommé chef d’expédition et Mensun Bound directeur de l’exploration de la mission, avec un départ prévu début 2019.

    L’équipage disposait des meilleurs engins sous-marins d’Ocean Infinity, une entreprise américaine de robotique marine. Mais il a eu le plus grand mal à progresser en mer de Weddell, un des lieux les plus inhospitaliers de la planète. Suivre le pack – la banquise plus ou moins morcelée –, sa direction et sa vitesse d’une année à l’autre, restait une tâche à mi-chemin entre science et jeu de hasard. Et cibler la zone des fonds marins à ratisser nécessitait de se fier à des coordonnées notées un siècle plus tôt.

    L’équipe a du reste été ralentie par des dysfonctionnements avant même d’arriver dans la zone de recherche. Lors du premier essai en eau profonde de leur robot sous-marin téléopéré (ROV) – relié au navire et équipé de caméras pour examiner l’épave –, la capsule renfermant le matériel électronique a implosé. Après une semaine à attendre en vain des pièces détachées, l’équipage n’avait plus le temps d’effectuer que deux plongées avec un drone sous-marin (AUV) ultramoderne, le Hugin 6000, équipé d’un puissant sonar à balayage latéral pour explorer les fonds marins sous la banquise. Son voyage inaugural a été un succès : il a arpenté sept des onze parcours préprogrammés dans le périmètre supposé abriter l’Endurance. Puis le robot d’une valeur de 6 millions de dollars s’est volatilisé. John Shears, Mensun Bound et l’équipage ont alors capitulé.

    L’Endurance, quatre jours avant d’être piégé dans les glaces, le 18 janvier 1915.

    L’Endurance, quatre jours avant d’être piégé dans les glaces, le 18 janvier 1915.

    PHOTOGRAPHIE DE COLLECTION D’HISTOIRE ET D’ART, ALAMY STOCK PHOTO

    En août 2020, John Shears a reçu un appel de Donald Lamont, un ancien gouverneur des îles Malouines et le président du Falklands Maritime Heritage Trust, une organisation britannique chargée de préserver l’histoire de l’archipel et des mers avoisinantes. La fondation était prête à financer une nouvelle tentative et a engagé Nicolas Vincent comme chef adjoint d’expédition et directeur des opérations sous-marines.

    Cet ingénieur français spécialisé dans la robotique sous-marine, l’un des plus expérimentés dans son domaine, a participé à la localisation de centaines de navires et d’avions naufragés. Avec son équipe, il a commencé par étudier attentivement le rapport détaillé de l’expédition de 2019. Et en a tiré une conclusion cruciale : il fallait utiliser un autre type d’engin. « Le Hugin 6000 est le véhicule [sous-marin] le plus efficace du monde », dit-il, mais pas pour une mission dans un environnement glacé.

    Pour l’expédition suivante, Ocean Infinity a choisi deux Sabertooth de Saab, des AUV plus petits qui seraient reliés au navire par un câble à fibre optique protégé par une gaine en Kevlar.

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