Résistance : quand les zazous défiaient le régime de Vichy

Durant l’occupation, la résistance s’est exprimée de nombreuses manières, notamment à travers la danse swing, pratiquée par les zazous dans une volonté de contestation de l’autorité.

De Amandine Venot
Publication 28 déc. 2024, 18:39 CET
Février 1948 concours pour les Jitterbugs, les danseurs de swing, au Trocadéro.

Février 1948 concours pour les Jitterbugs, les danseurs de swing, au Trocadéro.

PHOTOGRAPHIE DE EMU history / Alamy Banque D'Images

Durant la Seconde guerre mondiale, divers mouvements de résistance ont vu le jour, dont beaucoup ont été oubliés après-guerre. Le mouvement zazou, malgré son exubérance, était un mouvement qui n’organisait aucune action concrète de lutte contre le régime de Vichy, mais mettait plutôt à l’ordre du jour une rébellion sous une forme très particulière… la danse !

Le swing et sa musique, le jazz, ont été très pratiqués par les zazous dans des bals clandestins organisés dans les caves parisiennes. À travers le swing, les zazous exprimaient leur désir de liberté, et mettaient à l’honneur une culture réprimée par les nazis : la culture noire américaine.

 

UN MOUVEMENT CONTRE L’OPPRESSION ESCLAVAGISTE

« Politisée par nature, cette danse est propice pour véhiculer des idées de liberté de par son histoire et le contexte de l’époque », raconte Guillaume Kosel, danseur professionnel et co-créateur de l’association Les affreux swing /Swinguez Zazou où il enseigne la danse swing, entre autres.

« Le swing est né d’un mouvement libertaire afro-américain pendant la période d’esclavage », continue-t-il. Avec le déplacement forcé des populations africaines aux États-Unis, la culture musicale africaine s'est mêlée aux cultures locales. Les esclaves ont su la préserver même dans des conditions où toute forme d’expression culturelle était prohibée. 

Ils pratiquaient par exemple, ce que l’on appelle le call-and-response, une manière de communiquer à travers des mélodies plus ou moins rythmées, à caractère parfois religieux. Une fois réunis le soir, ils y ajoutaient des instruments de fortune. Leurs corps, des objets trouvés ici et là, tout faisait l’affaire. Les percussions se résumaient d’abord aux mains qui tapaient en rythme et aux pieds qui frappaient le sol - qui plus tard prendront le nom de body percussion. Ils y ont ajouté des instruments tels que la contrebassine, une contre-basse improvisée, constituée d’une corde, d’une bassine et d’un balai. Une planche à laver et un dé à coudre suffisaient à ajouter du rythme. « C’était le début du jazz », relève Guillaume Kosel. 

« Ce sont sur ces musiques que la danse swing apparut », commente Aurore Gaulier, danseuse professionnelle et cocréatrice de l’association Les affreux Swing/Swinguez Zazou, où elle enseigne. « C’est une danse où on imite des animaux, des choses du quotidien, en dansant. [Plus tard] c’est également cette danse qui va donner naissance au charleston et au Lindy Hop ». Le swing peu à peu prit toute son ampleur avec de nouveaux instruments à vent et à cordes.

Des personnes dansent et swinguent au Savoy Ballroom à Harlem, le 24 avril 1953. Ce quartier de New York ...

Des personnes dansent et swinguent au Savoy Ballroom à Harlem, le 24 avril 1953. Ce quartier de New York connut une explosion des expressions culturelles au début du 20e siècle, ce qui donna naissance au Lindy Hop, toujours populaire parmi les danseurs et danseuses de swing aujourd’hui.

PHOTOGRAPHIE DE Hans von Nolde, AP

Le swing était pour les Afro-Américains une manière de fuir leur quotidien. Ils tentaient à travers cette danse de créer une échappatoire vers la liberté. « Cela devint quelque chose qui leur était propre, pour survivre et pour nourrir cet esprit de communauté », indique Guillaume Kosel. 

 

LE MOUVEMENT ZAZOU SOUS LE RÉGIME DE VICHY

Après la Grande guerre, la France devint la terre d'accueil de nombreux musiciens de jazz et de danseurs de swing. Ils apportèrent avec eux la culture afro-américaine. Tout au long de la période d’entre-deux-guerres, de grands noms comme Joséphine Baker, chanteuse, danseuse et résistante française d’origine américaine, participèrent à l’adoption de la culture afro-américaine et notamment du jazz et de la danse swing.

En France, Jean Reinhardt, connu sous le nom de Django Reinhardt, s’inspira du jazz afro-américain pour donner naissance à une nouvelle branche, le jazz manouche, avec des notes gitanes inspirées de ses origines tziganes. Il devint l’un des guitaristes les plus respectés de l’histoire du jazz et sa musique traversa les frontières de l’Europe. 

Mais avec la montée des idées fascistes et du nazisme en Europe, la liberté se fit plus rare. La guerre éclata et la danse fut relayée à l’arrière-plan, avant d'être interdite le 25 juin 1941. Une circulaire du ministère de l’Intérieur dans les territoires occupés interdit « l’organisation et la tenue des bals publics, apéritifs et thés dansants ». 

Avec l’occupation, l’oppresseur nazi tenta d’annihiler cette culture de la liberté. Pour eux, « l’origine de la danse swing était déjà en soit un problème », estime Aurore Gaulier. « Mais en plus d’avoir été créée en Amérique, elle était pratiquée par les communautés juives et tziganes, deux peuples ciblés par les nazis. Ajoutons à cela un contexte d’autoritarisme où danser le swing, une danse rythmée et joyeuse, contrastait avec l’atmosphère lugubre du régime de Vichy ». 

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    « C’est ainsi que, tout naturellement, le swing, né de l’oppression, devint sous le régime de Vichy une forme de résistance en France, mais aussi en Allemagne », étaie Guillaume Kosel. Ce symbole fut repris par le mouvement zazou, un groupe de jeunes danseurs fans de jazz ayant tout juste atteint la vingtaine au moment de la guerre. Tous milieux sociaux confondus, ils s'en allaient danser le swing, cachés dans les sous-sols de Paris et de Berlin dans un esprit de rébellion.

    Le terme « zazou » fut utilisé pour la première fois en 1938 dans la chanson de Johny Hess, Je suis swing dont le refrain répète : « je suis swing, je suis swing, zazou, zazou, zazou, zazou dé ». Cette chanson était elle-même inspiré du morceau de jazz, Zaz Zuh Zaz enregistré en 1933 par Cab Calloway. 

    En Allemagne, l’ampleur du mouvement fut encore plus importante qu’à Paris. Le film Swing Kids retrace cet engouement à travers l’histoire de trois jeunes gens, fans de jazz, qui tentent tant bien que mal d’échapper à l'embrigadement dans les jeunesses hitlériennes.

    En plus d’être mal perçus à cause de leurs activités, les zazous l’étaient aussi à cause de la manière dont ils s’en servaient pour narguer l’autorité. En effet, le mouvement zazou ne se résumait pas à danser le swing dans les caves de Paris. C’était aussi une mode vestimentaire et capillaire extravagante, très identifiable. « Leurs vestes de costumes extra-larges, jaunes à carreaux, avec de larges épaulettes ainsi que leurs chapeaux à bords larges détonnaient avec le style terne et limité des vêtements autorisés sous le régime de Vichy », souligne Aurore Gaulier. 

    Tout comme dans le film Swing Kids, en Allemagne, les zazous refusaient de participer à l’effort de guerre et ils ne le cachaient pas. En contestation, « ils portaient, de leur plein gré, des étoiles de David avec l’inscription « zazou » ou « swing » à l’intérieur ».

    Image tirée du documentaire "Les amis des juifs" de Bernard Debord et Cédric Gruat, en 2006.

    Image tirée du documentaire "Les amis des juifs" de Bernard Debord et Cédric Gruat, en 2006.

    PHOTOGRAPHIE DE B. Debord et C. Gruat

    Leur témérité ne les protégea pas de représailles. Les jeunes du mouvement étaient traqués par la presse et par le régime. Les médias de l’époque décrivaient les danseurs zazous comme « des personnes dévergondées, dangereuses, qu’il fallait corriger », explique Guillaume Kosel. En France, les médias les qualifiaient même de « bolcheviks décadents » et de « personnes enjuivées ».

    S’ils étaient attrapés, « ils risquaient les camps de travail forcé, ou des camps de redressement pour les plus jeunes. Dans le pire des cas, la sanction pouvait aller jusqu’à la déportation », affirme le danseur.

    « Après la guerre, le mouvement garda sa mauvaise réputation en refusant de participer à l’effort de reconstruction de la France. Ils ne souhaitaient ni travailler ni fonder une famille », souligne Aurore Gaulier. 

    Ainsi, même si le mouvement zazou marqua l’histoire du swing et de la Seconde Guerre Mondiale en France, « le mouvement fut invisibilisé par les médias qui mirent en avant une liberté représentée par la musique du quartier de Saint-Germain des prés », explique Guillaume Kosel. 

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