"Terreur rouge", la genèse de la violence en Union soviétique

En 1918, le gouvernement bolchevik a lancé une campagne de détentions et d'exécutions de masse destinée à réduire au silence ses ennemis politiques et, ce faisant, a ouvert la voie à des décennies de violence en URSS.

De Erin Blakemore
1920, des bolcheviks armés de fusils patrouillent en camion dans les rues de Vladivostok, en Russie. ...

1920, des bolcheviks armés de fusils patrouillent en camion dans les rues de Vladivostok, en Russie. Mené par Vladimir Lénine, le régime bolchevik était une force politique de gauche déterminée à faire taire ses adversaires au travers d'une politique cautionnée par l'état d'exécutions de masse appelée « Terreur rouge ».

PHOTOGRAPHIE DE Cody Marsh, Nat Geo Image Collection

À la mort de Nikolaï Goumilev au mois d'août 1921, ses amis n'osèrent pas le pleurer en public. L'éminent poète et dissident russe avait été arrêté puis faussement accusé de fomenter une sédition contre les bolcheviks, le mouvement d'extrême gauche fondé par Vladimir Lénine qui avait pris le pouvoir dans le sillage de la révolution russe. Goumilev fut condamné sans procès au peloton d'exécution.

Ce poète n'était que l'une des nombreuses victimes de la terreur rouge, une vague de brutalité consentie par l'État lancée en Russie le 5 septembre 1918 qui s'est terminée en 1922. Avec la ferme intention de maintenir le contrôle qu'ils exerçaient sur un pays en proie à la guerre civile, les bolcheviks ont eu recours à la terreur pour réduire leurs ennemis au silence et dissuader les autres citoyens d'opposer une résistance. Des dizaines de milliers voire des millions d'individus furent étiquetés « ennemis du peuple » et emprisonnés dans des camps de concentration ou sommairement exécutés. La Terreur a ouvert la voie aux décennies de régime soviétique et de violences perpétrées au nom de l'État.

Au début du 20e siècle, après des années de famine et de profonde inégalité induites par un gouvernement impérial autocratique, la Russie était au bord du conflit pour un changement de régime. En 1905, les Russes se soulevèrent massivement et le Tsar Nicolas II n'eut d'autre choix que de promulguer la première constitution du pays à travers laquelle il garantissait des droits civiques fondamentaux et consentait à la création d'un parlement. Cependant, les tensions furent ravivées par la souffrance et la mort pendant la Première Guerre mondiale et, en mars 1917, les contestataires affamés et enragés exigèrent l'abdication du Tsar. Face à la révolte d'un vaste pan de la société russe, y compris celle de ses propres soldats, Nicolas II se résigna à abdiquer.

Sa décision venait de mettre un terme à la monarchie russe. Cependant, malgré les importantes réformes des droits civiques qu'il s'empressa de mettre en place, le gouvernement provisoire ayant succédé au tsar éprouvait encore des difficultés à diriger le pays. La Première Guerre mondiale faisait rage et les autorités craignaient qu'une défaite aux mains des Allemands n'entraîne une restauration de la monarchie. Parallèlement, les pénuries alimentaires continuaient de semer la discorde au sein du peuple russe. En novembre 1917, les bolcheviks tirèrent profit de cette instabilité et s'emparèrent du pouvoir en promettant « paix, terre et pain » au peuple de Russie. Cet événement porte le nom de Révolution d'octobre car il s'est produit au mois d'octobre du calendrier julien, abandonné par les bolcheviks dès le mois de janvier 1918.

Aux yeux des bolcheviks, la Russie était le lieu idéal pour mettre en marche la révolution communiste, non pas au travers d'un soulèvement de la classe ouvrière pour abolir le capitalisme, comme l'avait envisagé le philosophe allemand Karl Marx, mais au moyen d'un petit groupe autoritaire qui a établi un état socialiste promouvant la mise en place du communisme.

Menés par Lénine, les bolcheviks abolirent le gouvernement provisoire et renoncèrent purement et simplement à la démocratie. À compter de décembre 1917, la Russie minée par la guerre et ne pouvant plus compter sur son armée, trop dispersée, entama des discussions de paix avec l'Allemagne et les Empires centraux. La demande d'armistice fut acceptée par les Empires centraux qui réclamèrent à la Russie en contrepartie de leur retrait du conflit la cession à l'Allemagne un tiers de sa population et de ses terres agricoles ainsi que la plupart de ses ressources. Sous couvert de défendre la libre disposition des provinces baltes, de la Finlande, de l'Ukraine et du Caucase, le gouvernement allemand cherchait par dessus tout à agrandir sa zone d'influence à l'est.

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    PHOTOGRAPHIE DE Keystone, Getty

    Ce traité alimenta une guerre civile naissante entre les bolcheviks, également appelés les Rouges, et un large mouvement d'opposition, les Blancs, auxquels s'étaient ralliés des élites, des membres de l'armée et des citoyens souhaitant un retour à la monarchie ou à la démocratie. Début 1918, à l'aube de la guerre civile, une série de violentes représailles connue sous le nom de Terreur blanche fut orchestrée par les Blancs et entraîna la mort de dizaines de milliers d'individus. Malgré ces exécutions et l'intervention d'ex-alliés de la Russie comme la France et la Grande-Bretagne qui espéraient endiguer la propagation du communisme, l'Armée blanche ne parvenait pas à prendre le dessus sur la jeune Armée rouge.

    Puis, le 30 août 1918, Lénine fut blessé par balle après un discours donné dans une usine. Alors que la véritable identité du tireur reste encore aujourd'hui sujette à débat, la tentative d'assassinat fut imputée à une jeune révolutionnaire juive, Fanny Kaplan, arrêtée après une enquête menée par la Cheka, la police secrète bolchévique. Pendant son séjour à l'hôpital, Lénine adressa une lettre à l'un de ses collaborateurs, lui disant qu'il était « nécessaire - et urgent - de préparer la terreur. »

    L'heure était venue de lancer une campagne de répression brutale à l'encontre des « ennemis du peuple » listés par les Bolsheviks, soit toute personne suspectée de pactiser avec les Blancs. Baptisée Terreur rouge, la campagne servait deux objectifs : se débarrasser des ennemis des bolcheviks et peindre ces derniers en défenseurs de la classe ouvrière. La Terreur rouge devint officiellement une politique d'État le 5 septembre 1918.

    « Nous ne menons pas une guerre contre des individus, » avait alors déclaré Martyn Latsis, chef de la Cheka. « Nous exterminons la bourgeoisie en tant que classe. » Il encourageait ses camarades de la Cheka à s'en prendre directement aux prétendus sympathisants de la bourgeoisie au lieu de prouver qu'ils avaient réellement agi au détriment du régime soviétique. Quelques mois plus tard, la Cheka a procédé à l'exécution de 10 000 personnes, au bas mot. Des milliers d'autres furent envoyés dans les camps où des massacres étaient fréquemment perpétrés.

    Le bilan des victimes de la Terreur rouge pourrait être encore plus important, jusqu'à 1,3 million de morts d'après certaines sources. Cependant, en raison du secret, de la censure et du caractère sommaire de la plupart des exécutions, l'envergure véritable de la Terreur rouge ne sera probablement jamais connue.

    À la fin de la guerre civile en 1921, la victoire des bolcheviks mit un terme à la Terreur rouge, mais sa violence n'était que le prélude des décennies de violence et de mort qu'allait connaître la Russie soviétique. La Terreur rouge a posé les fondations des purges politiques et des exécutions de masse orchestrées dans les années 1930 sous la gouverne du successeur de Lénine, Joseph Staline, au cours desquelles près de trois millions d'ennemis du parti furent arrachés à la vie. Les camps de concentration étaient les prédécesseurs des goulags soviétiques, ces camps de travail forcé où plusieurs dizaines de millions de citoyens russes ont été réduits à l'esclavage dans l'URSS de Staline, entre 1929 et 1953. La Cheka est finalement devenue le KGB, l'agence de renseignements tant redoutée de l'URSS.

    La Terreur rouge a placé la Russie sur une trajectoire macabre. Pour les bolcheviks, cette répression démesurée était un outil nécessaire pour asseoir leur pouvoir politique et atteindre leur ambition socialiste. À leurs yeux, elle donnait une leçon cinglante à ceux qui auraient autrement défié le régime. « L'intimidation est une arme politique puissante, » écrivait Léon Trotsky, chef de l'Armée rouge et bras droit de Lénine. « La révolution tue quelques individus et en intimide des milliers. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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