En RDC, une photographe s'est retrouvée au milieu des violences quotidiennes
Adriane Ohanesian est partie en République Démocratique du Congo afin de réaliser un reportage sur la lutte acharnée pour l'appropriation des ressources. Bien malgré elle, elle a fini par faire partie de l'histoire qu'elle voulait raconter.
« C'est un cortège nuptial ? », plaisante un garde congolais. Il fait référence à la lenteur avec laquelle avance notre pick-up surchargé. C'était un matin brumeux de juillet. La vitesse anormalement lente s'explique par la présence de trois journalistes étrangers. Nous venions tout juste de quitter le quartier général des gardes du parc, situé à Epulu, et nous traversions la Réserve de faune à okapis en République Démocratique du Congo. Tandis que le soleil se levait, j'étais debout dans la benne du pick-up, photographiant les gardes et les villages qui défilaient.
Ces images, je ne les ai jamais vues. Lorsque nous avons roulé sur cette route quelques temps après, c'était pour nous rendre à un enterrement.
Je réalisais un reportage photo sur la vie et l'œuvre des gardes de la Réserve de faune de Okapi, située dans le nord-est du Congo. Ces hommes et femmes ont pour mission de protéger les Okapis, des animaux qui appartiennent à la famille des girafes, ainsi que leur habitat naturel, dans ce site inscrit au Patrimoine mondial de l'UNESO. Nous nous sommes rendus sur le site de la mine d'or Bapela, fermée il y a quelques mois par les gardes pour mettre un terme aux extractions illégales du précieux minerai.
J'avais bien conscience que ce voyage était risqué. Mais j'espérais que mes photographies pourraient montrer la lutte quotidienne des gardes pour protéger la faune et les conflits qui les oppposent aux locaux et aux milices qui pillent les ressources précieuses de la réserve, comme l'or et le bois.
Après avoir déchargé le camion, nous avons marché à travers la forêt pendant 16 km avant d'arriver à la mine d'or abandonnée de Bapela et le poste de gardes permanent installé en haut d'une colline pour surveiller la zone. Nous étions accompagnés de six rangers, deux jeunes pisteurs et un guide à canoë qui venaient relever ceux qui étaient déjà présents à l'avant-poste. Lorsque la mine était en activité, près de 30 kg d'or étaient extraits chaque semaine. Leur valeur sur le marché international dépassait le million d'euros.
Le lendemain après-midi, nous étions tous détendus. Les gardes venaient de déjeuner et se prélassaient près de leurs tentes de fortune. Après une matinée passée à les filmer et à photographier patrouillant dans la mine, je me suis changée et j'ai enfilé mes tongs. Puis, j'ai posé mon appareil photo pour me préparer à déjeuner sur le feu. C'est à ce moment là que la fusillade a commencé.
Je me suis mise à courir, suivie des gardes qui dévalaient la colline comme des cascadeurs, évitant les tas de terre sale sortie de la mine. Je me suis arrêtée pour regarder derrière moi, à la recherche d'une personne blessée ou morte. Mais le camp était désert, à l'exception d'un homme armé qui prenait la fuite.
Alors que je me remettais en route, deux attaquants sont apparus sur ma droite, tirant à vue. J'ai sauté dans un trou pour échapper aux tirs croisés. Au fond du puits de la mine, je me suis recroquevillée sur la gauche et j'ai avancé vers le centre de la colline. À chacun de mes mouvements, des pierres tombaient. Le trou se trouvait juste sous l'emplacement de la mitrailleuse des gardes dont se servaient la milice. Au moindre bruit que je faisais, ils se mettaient à tirer. Je m'attendais à ce que les attaquants quittent les lieux à la nuit tombée, mais ils ne sont pas partis. Je suis donc restée dans mon trou toute la nuit, complètement gelée.
Le lendemain matin, je ne voulais qu'une chose, m'enfuir. La milice était encore là, je les entendais se déplacer autour du camp. Je craignais qu'ils ne s'approprient à nouveau le territoire et les ressources que renfermait la mine. Puis le silence est tombé. Je me suis mise debout. C'est à ce moment que j'ai réalisé que le trou était environ deux fois plus haut que moi. J'avais la tête qui tournait et des courbatures, après avoir passé près de 20 heures immobile. J'ai attrapé à deux mains la racine d'un arbre et j'ai commencé à marcher le long de la paroi du trou jusqu'à la surface. Arrivée en haut, j'ai roulé sur le sol et j'ai dévalé la colline pour me cacher dans la jungle.
Je pensais être capable de me repérer dans la forêt mais tous les chemins se ressemblaient. J'ai traversé des rivières et me suis frayé un chemin au milieu des arbres. Lorsque le soleil s'est levé, j'ai abandonné l'idée de sortir de la jungle. Retrouvant le sentier principal qui menait à la mine d'or et qui, je le savais, était très fréquenté, je me suis cachée à proximité.
Je m'attendais à passer une autre nuit seule lorsque j'ai aperçu des hommes armés marchant le long du sentier. Je suis sortie de ma cachette les bras en l'air. Heureusement pour moi, il s'agissait de militaires et de gardes, qui m'ont immédiatement ramenée à l'avant-poste que j'avais fui 28 heures plus tôt.
La milice avait quitté les lieux, mais le camp était un véritable champ de bataille : les arbres et les bâches avaient été transpercées par les balles. Le déjeuner que j'avais commencé à me préparer se trouvait toujours à côté du feu. Et puis j'ai vu ce que je redoutais le plus : les corps de quatre gardes et d'un jeune pisteur reposant sous la bâche d'une tente effondrée.
Lorsque tout se passe comme prévu, nous, journalistes, sommes récompensés, peu importe l'imprudence dont nous avons pu faire preuve. Ce n'est que quand les choses se passent mal que notre préparation et notre implication sont analysées.
Nous avons appris plus tard que cette attaque de l'avant-poste des gardes avait certainement été prévue bien avant notre arrivée. Mais nous ne saurons jamais si notre présence a joué un rôle dans l'attaque. Cette question nous poursuivra pour toujours.
Je voulais aller au Congo pour faire un reportage photo. Au lieu de cela, je suis devenue un des sujets de ce reportage. Mon expérience n'est qu'un exemple de ce que vivent les gardes au quotidien et de la lutte acharnée pour la possession des ressources précieuses qui consume l'est du Congo. Depuis le début de l'année 2018, les affrontements entre les milices ont provoqué le déplacement de 200 000 personnes dans la région et environ 70 000 personnes ont quitté le pays et se sont réfugiées en Ouganda.
L'enterrement des gardes et du pisteur a eu lieu trois jours plus tard, à côté de la route où nous étions passés pour nous rendre à la mine. Ayant perdu tout mon équipement, j'ai emprunté le téléphone portable d'un collègue et est utilisé le reste de sa mémoire pour photographier ces scènes de recueillement. Je ne pouvais rien faire d'autre.
Ce reportage a été écrit par la photographe Adriane Ohanesian dans le cadre du World Press Photo JoopSwart Masterclass 2017.