Amérique centrale : que deviennent les caravanes de migrants ?
Depuis octobre 2018, quatre caravanes de migrants venues d’Amérique centrale ont fait route vers les États-Unis. Le sociologue Jean Clot décrypte ce nouveau mode de migration en groupe.
Un phénomène migratoire nouveau a vu le jour en Amérique centrale ces derniers mois : des déplacements de populations constitués de plusieurs centaines de personnes, formant des caravanes de migrants. La première a vu le jour en avril 2018, à l’initiative de l’ONG mexicaine Pueblo sin Fronteras. « Il s’agissait d’abord de symboliser le chemin de croix des migrants allant du Guatemala vers le Mexique, explique Jean Clot, chercheur au laboratoire Pacte (CNRS-université de Grenoble-Institut d’études politiques de Grenoble). Organiser de tels rassemblements est une façon de dénoncer et de rendre visibles les conditions des migrants centraméricains durant leur traversée du Mexique, notamment pour interpeller les gouvernements et mobiliser le soutien logistique de groupes associatifs et religieux. »
Le cortège a déclenché les foudres de Donald Trump, qui a publié une série de tweets assassins. Ce qui n’a pas suffi à décourager le mouvement. Depuis octobre 2018, quatre convois de grande ampleur, de plus de 1000 personnes, ont quitté l’un des trois pays du triangle du Nord – le Salvador, le Guatemala et le Honduras. Leur but est le même : fuir la pauvreté pour un avenir meilleur aux États-Unis. Le dernier en date a quitté le Honduras le 15 janvier dernier, pour arriver, début février, à Piedras Negras, ville du nord-est du Mexique, à la frontière avec les États-Unis. Mais la plupart des migrants restent bloqués au Mexique.
UN EXODE MASSIF DEPUIS LES ANNÉES 1980
L’émigration des pays du triangle du Nord trouve ses origines dans l’instabilité politique des années 1970 et 1980. « L’interventionnisme nord-américain a provoqué, à l’époque, de nombreux déplacements », explique Jean Clot. Le soutien à la dictature au Salvador, par exemple, a engendré une guerre civile entre 1980 et 1992, ainsi qu’un exode massif vers les États-Unis. Dans ce pays d’accueil, certains migrants ont alors intégré des gangs. À la fin des années 1990, les autorités américaines ont durci leur politique migratoire, expulsant des milliers de détenus issus de ces réseaux délinquants. De retour au pays, ces derniers ont recréé le modèle nord-américain de gangs de rue (lire Salvador : au pays des guerres de gangs).
Les pays de la région affichent désormais des taux d’homicide records : 83 pour 100 000 habitants au Salvador en 2016, 27 au Guatemala et 57 au Honduras, selon les statistiques de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). « En plus des gangs, il y a une forte répression politique, ajoute Jean Clot. Au Honduras, les manifestations contre l’élection controversée du président Juan Orlando Hernandez, en décembre 2017, avaient fait au moins 12 morts et de nombreux blessés. Victimes de violence domestique, souvent considérées comme des travailleuses jetables, les femmes se trouvent également dans une situation terrible. Les minorités vulnérables (indigènes, communauté LGBT, enfants...) souffrent également de la brutalité ambiante. »
LA PAUVRETÉ, CAUSE PRINCIPALE DE DÉPART
On évoque souvent ce climat d’extrême violence pour expliquer l’exode massif des habitants des pays du triangle du Nord. D’autres points peuvent être également soulevés : le changement climatique, notamment, touche de plein fouet la zone, provoquant fréquemment ouragans et sécheresse. La déforestation et l’expropriation des terres agricoles par les industries minières sont également problématiques.
Mais, pour Jean Clot, la cause principale des départs reste la grande pauvreté : « La plupart des gens de ces pays n’ont qu’un accès limité à la santé et à l’éducation, alors qu’un faible pourcentage de personnes aisées détiennent toutes les richesses. Le salaire minimum mensuel tourne autour de 300 dollars et il n’y a que peu d’emplois dans l’économie formelle. »
S’ajoute aussi la corruption. Les trois pays connaissent une faiblesse institutionnelle importante, entraînant une perte de crédibilité des dirigeants. En réaction, des figures médiatiques appellent à fuir leur pays. « Au Honduras, certaines personnalités, comme le journaliste Bartolo Fuentes, critiquent le pouvoir à la télévision et exhortent la population à rejoindre les caravanes. La première d’entre elles, partie de San Pedro Sula, une ville très violente du nord-ouest du Honduras, s’est formée à l’initiative de militants et de journalistes, via les réseaux sociaux, rassemblant au départ un groupe de 200 personnes, qui se sont données rendez-vous la veille au soir pour partir d’une gare routière. » Mais cette caravane, comme beaucoup d’autres, s’est progressivement dissoute au Mexique.
L’INSÉCURITÉ DES ROUTES MIGRATOIRES
Pourquoi cette nécessité de se rassembler en groupes importants alors que, jusqu’à maintenant, l’idée était plutôt de se déplacer en nombre limité afin de passer inaperçu ? Se protéger face à l’insécurité qui règne sur les routes migratoires est l’une des premières raisons. « Enlèvement, rançonnage, extorsion… Au Mexique, les exactions vis-à-vis des migrants sont en forte progression ces dernières années, souligne le chercheur. Se déplacer en groupe dans ce but n’est d’ailleurs pas un phénomène totalement nouveau. Il y a dix ans, déjà, des migrants mexicains des États-Unis se sont coordonnés pour revenir passer Noël en famille en toute sécurité. »
Le parallèle s’arrête là : ces rassemblements sont restés épisodiques, étaient motorisés et comportaient tout au plus une centaine de membres. Autre explication du phénomène : éviter de payer les “coyotes”. Le prix de ces passeurs a flambé avec le renforcement des politiques sécuritaires. « De nos jours, le voyage du Guatemala aux États-Unis, en passant clandestinement par le Mexique, coûte au moins 5 000 dollars américains », note Jean Clot.
AU MEXIQUE : DES SOLUTIONS POUR LES MIGRANTS
Le 19 décembre 2018, 152 pays ont adopté le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, lors de l’Assemblée générale des Nations unies. Les États-Unis font partie des cinq pays ayant voté contre. « Tout le monde est d’accord pour dire que les migrations doivent être coordonnées, régulières et se dérouler en toute sécurité, observe Jean Clot. Mais les moyens mis en œuvre pour y parvenir diffèrent beaucoup d’un pays à l’autre. »
Le président du Mexique récemment élu, Andrés Manuel López Obrador, semble prendre le problème à bras-le-corps. Il vient de proposer 12 000 visas humanitaires aux migrants des caravanes. Pour les inciter à rester, López Obrador propose de créer une zone franche le long de la frontière avec les États-Unis, ce qui pourrait favoriser l’installation d’entreprises et générer de l’emploi. Au Mexique, la plupart des migrants occupent aujourd’hui des métiers précaires.
« À Tapachula, ville du sud du pays, pour subsister, les hommes nettoient les vitres aux feux rouges ou recyclent les ordures, déplore le chercheur. Les femmes guatémaltèques deviennent souvent des muchachas (employées de maison) et les honduriennes intègrent fréquemment des table dance, des bars à strip-tease, où elles se prostituent. » Un avenir très différent de ce que les migrants imaginaient en faisant route vers les États-Unis. Bien que la plupart d’entre eux ne soient pas dupes, selon Jean Clot, sur les conditions de vie difficiles et les sacrifices financiers qu’ils devront surmonter en chemin pour atteindre l’eldorado du Nord.